Opposition aux mesures sanitaires

Un convoi veut « jammer » Québec

Québec — Des opposants aux mesures sanitaires promettent de « jammer » Québec dès cette fin de semaine en organisant des convois comme ceux qui ont convergé vers Ottawa.

Le maire Bruno Marchand réclame du « respect » envers les résidants et les commerçants de sa ville. Mais déjà, le Carnaval de Québec, qui doit débuter en fin de semaine, envisage de bouleverser sa programmation en réaction aux manifestations.

« On va aller jammer Québec. C’est pour mettre de la pression partout. Ce n’est aucunement pour diviser le peuple. C’est une question de mettre de la pression partout. Il y a des gens qui ne peuvent pas aller à Ottawa », a expliqué dans une vidéo Kevin Bilodeau.

M. Bilodeau avait été l’un des organisateurs du Festival des Gaulois en Beauce l’été dernier. Il explique vouloir organiser un convoi de voitures et de camions à partir de la Beauce pour gagner Québec dès jeudi.

L’homme, qui n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse mardi, affirme que le syndicaliste Bernard Gauthier, qui se fait appeler « Rambo », et un dénommé Kevin Big Grenier organisent quant à eux un convoi à partir de la Côte-Nord.

« Québec, ce sera pas long. Deux ou trois jours et ça va être jammé net », promet Kevin Bilodeau.

Le convoi nord-côtier prévoit de quitter Port-Cartier jeudi à 7 h, s’arrêter à Baie-Comeau à 9 h, et devrait arriver à Québec en fin d’après-midi.

Pas d’argent de la FTQ

La FTQ-Construction a assuré qu’elle n’allait pas financer le convoi, même si Bernard Gauthier, qui est l’un de ses représentants sur la Côte-Nord, a fait une demande en ce sens.

En entrevue avec La Presse Canadienne mardi, le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly, a invité à une plus grande solidarité de tous envers les travailleurs de la santé qui sont épuisés et envers les malades qui souffrent du délestage.

Le dirigeant de la FTQ-Construction dit aussi respecter le choix de ceux qui refusent de se faire vacciner, mais souligne qu’il n’est pas du ressort de la FTQ-Construction de remettre en question les directives de la Santé publique.

Le maire Marchand demande « du respect »

Le maire de Québec s’est dit préoccupé mardi par l’annonce de la manifestation. À Ottawa, les camions et les voitures du convoi ont paralysé une partie de la ville. Bruno Marchand estime qu’un tel cas de figure dans sa ville serait catastrophique pour les commerçants, les hôteliers et les restaurateurs.

« Ça me préoccupe, ça me préoccupe beaucoup. On est dans une période où on essaye de créer de l’espoir de donner aux gens de Québec des évènements », a lancé le maire en référence au Carnaval de Québec, qui commence en fin de semaine.

Les organisateurs du Carnaval ont d’ailleurs indiqué sur les réseaux sociaux qu’il pourrait y avoir « des impacts sur la programmation ou l’horaire ». « Notre priorité est d’assurer la sécurité des festivaliers, de nos employés et bénévoles ainsi que des manifestants », ajoute le Carnaval.

Le maire de Québec rappelle que manifester est un droit et dit comprendre que « les gens veulent manifester près du parlement ». Mais « on est capables de revendiquer des choses sans écœurer tout le monde », ajoute le maire.

« Je m’attends à du respect. Du respect envers les citoyens avec le bruit, l’environnement, la circulation et du respect envers nos commerçants. S’il y avait des entraves pour accéder aux commerces, ce serait une catastrophe. »

— Bruno Marchand, maire de Québec

Le premier ministre François Legault a aussi dit s’attendre à ce que l’évènement « se fasse dans le respect ». M. Legault a annoncé mardi un assouplissement des mesures sanitaires.

« Il n’y a aucun lien entre Rambo Gauthier puis ce que je vous annonce aujourd’hui », a assuré M. Legault en réponse à la question d’un journaliste qui demandait « s’il avait reculé face à la menace de Rambo Gauthier et de sa gang ».

Le Service de police de la Ville de Québec doit organiser une conférence de presse d’ici la fin de semaine pour expliquer comment elle se prépare aux convois.

— Avec La Presse Canadienne

Des bricolages du convoi de camionneurs retirés d’une école

Une enseignante du centre de services scolaire Marie-Victorin a fabriqué avec ses élèves des bricolages faisant l’apologie du convoi de camionneurs. « C’est le Convoi qui amène les souvenirs : des amis qui mangent au resto, des gyms ouverts, une personne qui accompagne un mourant, des enfants qui fêtent leurs fêtes […] », a détaillé Josée Dagenais dans une publication Facebook. Des inscriptions « L’amour est fort ! » et « Je m’en souviens » accompagnent l’œuvre installée sur le mur de l’école. « La direction a procédé rapidement au retrait de cette œuvre, les activités réalisées à l’école devant répondre d’abord et avant tout aux objectifs pédagogiques du Programme de formation de l’école québécoise », a affirmé à La Presse le centre de services scolaire situé sur la Rive-Sud. Un message sera transmis aux parents des élèves concernés. Le message de Mme Dagenais avait récolté plus de 2000 mentions « j’aime » et des centaines de commentaires dans le groupe Facebook « Le convoi de la liberté 2022 » avant d’être supprimé en soirée mardi. Au moment de publier, Mme Dagenais n’avait pas répondu à notre demande d’entrevue.

— Alice Girard-Bossé, La Presse

Blanchet accuse Trudeau d’attiser la colère des manifestants

Ottawa — Les propos de Justin Trudeau à l’égard des manifestants qui bloquent les rues d’Ottawa ne sont pas dignes d’un chef d’État, selon le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. Il l’accuse de provoquer au lieu de tenter d’apaiser les tensions. Parallèlement, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander aux protestataires de quitter le centre-ville de la capitale canadienne.

« La comparaison avec les chapeaux en papier d’aluminium, ça ne se fait pas, a déploré M. Blanchet en point de presse mardi. C’est franchement indigne d’un chef d’État. » Ce genre de provocation « pourrait s’avérer très nuisible dans la gestion de la crise », selon lui. Il a précisé que les manifestants « n’ont pas un allié chez le Bloc québécois ».

M. Blanchet estime que le premier ministre devrait plutôt faire preuve de retenue, reconnaître le droit de manifester, rencontrer les meneurs de l’industrie du camionnage, reconnaître qu’il faut mieux informer la population et mieux financer le système de santé et prévoir des mesures d’atténuation économique, si la COVID-19 perturbait le transport frontalier au point de nuire à l’approvisionnement des commerces.

Justin Trudeau avait affirmé la veille qu’il ne céderait pas à l’intimidation d’une « minorité marginalisée », tout en condamnant le vandalisme et le recours à des symboles haineux. Il a associé les revendications des manifestants aux théories conspirationnistes sur « les micropuces » et « les chapeaux en papier d’aluminium ».

Départ des camions réclamé

De plus en plus de voix demandent le départ des camions lourds, dont celles de nombreux élus fédéraux et du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. « Je comprends, je vous entends, mais il faut laisser les gens d’Ottawa vivre leur vie », a-t-il dit en conférence de presse.

« Votre message a été entendu, mais il est temps de vous en aller », a affirmé à son tour le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avant la rencontre du cabinet.

Le leader parlementaire des libéraux, Mark Holland, a répété le même message. « Il est temps pour les gens de retourner à la maison et de se faire entendre d’une autre façon, a-t-il dit. Ce n’est pas une façon légitime de s’exprimer en démocratie. »

Le Private Motor Truck Council of Canada, qui représente les flottes privées de camionnage, a reconnu que la manifestation était allée « trop loin » en portant atteinte aux droits, à la sécurité et à la capacité des autres citoyens de se déplacer librement et de se rendre au travail.

L’association suggère aux manifestants d’utiliser une partie des 9,8 millions de dollars collectés afin de réparer les dommages causés par certains participants. L’association cite la profanation du Monument commémoratif de guerre et de la statue de Terry Fox au centre-ville, ainsi que le harcèlement des serveurs et des clients du refuge pour sans-abri des Bergers de l’espoir.

Dans une vidéo publiée en ligne tôt mardi, l’organisateur du convoi, Pat King, se réjouissait de voir Ottawa bloqué. Les manifestants qui sont encore sur place soutiennent qu’ils ne bougeront pas tant que toutes les restrictions sanitaires ne seront pas levées.

« Le vent tourne en faveur de la liberté », a écrit sur Twitter le député conservateur Pierre Poilievre, en réaction à l’abandon par le gouvernement du Québec de la contribution santé pour les non-vaccinés et à la fin des restrictions sanitaires dans d’autres provinces. Ce dernier a publié plusieurs messages d’appui aux manifestants.

250 manifestants restants

Les klaxons résonnent depuis vendredi au centre-ville de la capitale canadienne, où de nombreux camions lourds bloquent la rue Wellington, devant le parlement. Ce « convoi de la liberté » a été organisé par le mouvement Canada Unity.

Plusieurs centaines de véhicules ont quitté Ottawa depuis, mais d’autres n’ont pas l’intention de partir. Il resterait moins de 50 manifestants sur la colline du Parlement et 200 dans les rues avoisinantes, selon la police. Une autre vague de manifestants est attendue durant le week-end. Certains auraient toutefois l’intention de converger vers la ville de Québec.

La police a arrêté deux hommes, l’un pour méfait et l’autre pour avoir porté une arme dans un lieu public. Cela porte le nombre d’arrestations à trois depuis le début des manifestations. Treize enquêtes sont en cours.

La Ville d’Ottawa prévoit encore des bouchons de circulation ce mercredi. Le maire Jim Watson a déjà évoqué la question du recouvrement des coûts avec le premier ministre et le député fédéral d’Ottawa-Centre, Yasir Naqvi. Le bureau du maire a déclaré dans un communiqué que ces demandes d’assistance avaient été bien reçues.

La police estime devoir dépenser environ 800 000 $ par jour pour surveiller les manifestants et répondre aux urgences.

— Avec La Presse Canadienne

Recherche sur le complotisme

« La pandémie a créé des ponts » entre le Québec et l’Ouest

Peu enclines à collaborer entre elles et encore moins avec leurs équivalents anglophones, les multiples franges conspirationnistes québécoises, bien présentes au blocus des camionneurs à Ottawa, ont uni leurs forces pour la première fois de façon aussi claire avec leurs équivalents du reste du Canada. Et pour ce faire, elles ont adopté une tactique d’organisation décentralisée élaborée par les Black Panthers dans les années 1960, affirme le chercheur Martin Geoffroy.

Le directeur du Centre de recherche et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), affilié au cégep Édouard-Montpetit, publie cette semaine un rapport de recherche sur l’« ethnographie du complotisme » pendant la pandémie, financé par le ministère de la Sécurité publique.

Avec son équipe, M. Geoffroy a analysé 489 vidéos publiées par des influenceurs conspirationnistes québécois sur les réseaux sociaux, d’une durée totale d’environ 500 heures.

Il en ressort que les groupes complotistes adhèrent essentiellement à deux « matrices » : l’extrême droite et le spiritualisme religieux. Ces groupes « ont comme principale caractéristique commune le rejet de toute forme d’autorité institutionnelle qui exerce un pouvoir rationnel légal au profit d’autorités alternatives dont la crédibilité repose sur diverses formes de pouvoir charismatique », affirme le chercheur. Ils prétendent abondamment qu’ils représentent « le peuple », alors que la démocratie « ne serait qu’une illusion [et] les parlements ne seraient qu’un théâtre de marionnettes au service d’une élite mondialiste ».

Discours reformaté avec la pandémie

Dans le groupe associé à l’extrême droite, Martin Geoffroy inclut les groupes identitaires, comme les Farfadaas, qui participent au blocus dans les rues d’Ottawa. Ces groupes sont nés de l’opposition à l’immigration, mais ont reformaté leur discours avec la pandémie. Leur objectif n’est pas d’influencer les décideurs publics, mais plutôt de « transformer la façon dont les citoyens eux-mêmes perçoivent le monde », note le rapport de recherche du CEFIR.

D’autres leaders de la mouvance d’extrême droite relèvent plutôt des « citoyens souverains », qui cherchent des failles juridiques et constitutionnelles, souvent avec des argumentaires pseudojuridiques « à la limite de l’ésotérique », et en multipliant les requêtes volumineuses ou incompréhensibles devant les tribunaux.

M. Geoffroy se dit étonné de voir ces groupes nationalistes d’extrême droite québécois s’associer à des séparatistes de l’Ouest qui ont lancé le convoi de camions vers Ottawa.

« C’est la première fois où on les voit autant s’associer. Normalement, ces militants du Québec rencontrent très peu ceux du reste du Canada. Mais dans le cadre de leur combat contre les mesures sanitaires, se réunir, pour eux, c’est plus fort que tout. La pandémie a créé des ponts entre ces groupes auparavant hétéroclites », souligne-t-il.

Le chercheur avance que les groupes complotistes québécois ont adopté une structure typique des Black Panthers (un mouvement d’extrême gauche), que les sociologues appellent « réseau polycentrique décentralisé ». « Quand ils organisent quelque chose, ce n’est pas toujours le même chef. Ils fonctionnent en cellules et les leaders changent en fonction des situations. Ils peuvent se réunir rapidement et se désagréger tout aussi vite », explique M. Geoffroy. Ce mode d’organisation est en partie dû au fait qu’il y a un « manque de consensus sur les buts du mouvement et les moyens de les atteindre », mais offre aussi l’avantage de rendre « difficile d’exercer une surveillance ou une influence » sur ses membres et dirigeants.

« Bricolage de croyances »

Dans la mouvance spirituelle et religieuse, le chercheur inclut les groupes Nouvel Âge, l’intégrisme catholique et les fondamentalistes protestants.

Élaborée autour d’un « bricolage de croyances », la mouvance Nouvel Âge est souvent axée sur une conception inégalitaire des rapports sociaux, qui se rapproche dans certains cas de l’eugénisme, affirme Martin Geoffroy. « Ils croient que la COVID-19 est dangereuse uniquement pour un faible pourcentage de la société » et que le comportement alimentaire et les rituels des gens jouent un rôle prédominant. Certains des leaders les plus adulés ont par exemple un discours « grossophobe » par rapport à la COVID-19, arguant que les personnes obèses sont responsables du fait qu’elles courent un plus grand risque de complications.

Les croyances de la matrice d’extrême droite

Les citoyens souverains : Rejet virulent de toute autorité étatique. Le « contrat social » qui lie la population leur a été imposé de force, en manipulant le peuple à son insu.

La mouvance identitaire : Croyance qu’une minorité est en train de diluer l’identité de la population en imposant sa culture, au point de représenter un danger pour la préservation de la nation. Ces forces destructrices sont contrôlées par une élite politique et financière, de connivence avec l’« État profond ».

La mouvance survivaliste : L’effondrement de la société est imminent. Il conduira à des troubles civils et à une rupture de la loi et de l’ordre. L’humain est esclave d’un système dont il ne contrôle pas les leviers.

Les croyances de la matrice spirituelle et religieux

Le réseau du Nouvel Âge : La libération de l’être n’est possible que par la connaissance de soi et des lois cosmiques. Le savoir est « purement intuitif » et se base sur l’expérience personnelle et le vécu. Les adeptes s’approprient le langage scientifique en l’adaptant à leurs croyances.

L’intégrisme catholique : Le retour à la tradition et aux valeurs familiales, à travers un système social religieux qui peut organiser tous les aspects de la vie. Les gouvernements profitent de la COVID-19 pour accroître leurs pouvoirs.

Le fondamentalisme protestant : La conversion par une rupture avec un passé marqué par l’erreur permet d’atteindre la « Vérité ». Les mesures sanitaires de la « fausse pandémie » créent un climat de peur qui empêche d’atteindre cet état.

Source : Typologie des discours conspirationnistes au Québec pendant la pandémie, Martin Geoffroy, Frédéric Boily et Frédérick Nadeau, CEFIR

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