Un champignon peut-il décimer l’humanité ?

Inspirée du jeu vidéo du même nom, la série The Last of Us accumule les millions de vues depuis la sortie de son premier épisode, le 15 janvier 2023. Mais au-delà des visuels époustouflants et du jeu des acteurs, que peut-on dire de la science derrière le point de départ du scénario : un mystérieux champignon qui pourrait décimer l’humanité ?

Une fiction inspirée de la réalité

Un champignon mortel qui prend le contrôle de notre cerveau, nous rend agressifs et nous pousse à mordre nos congénères pour répandre l’infection, jusqu’à tuer 60 % de l’humanité en l’espace d’un an : cette vision des enfers n’est pas entièrement issue de l’imagination des auteurs de The Last of Us. Elle s’inspire d’un spécimen bien réel. « Il s’agit d’un champignon du genre Cordyceps, qui infecte les fourmis et modifie leur comportement – on appelle d’ailleurs communément les fourmis infectées “fourmis zombies” », souligne Simon Dufresne, clinicien-chercheur au département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal, spécialiste de la mycologie médicale.

Plus précisément, le comportement des fourmis sous l’emprise de ce champignon a beaucoup été étudié dans la littérature scientifique. Selon un article de 2011 publié dans BMC Ecology, la fourmi infectée « déambule aléatoirement comme un zombie », avant de mordre dans une feuille en hauteur pour y mourir. Le champignon pousse alors hors du corps de son hôte en se nourrissant de ce dernier, pour finalement répandre des spores et infecter d’autres fourmis.

Ce genre de modification du comportement fait penser à certaines maladies qui peuvent être transmises à l’humain par l’entremise des virus ou des parasites, comme la rage ou la toxoplasmose. « Donc si certains microorganismes peuvent modifier le comportement des humains, pourquoi les champignons ne pourraient-ils pas y arriver un jour ? », avance Jennifer Ronholm, professeure au département de sciences animales et au département des sciences alimentaires et de chimie agricole de l’Université McGill.

Température, comportement et transmission

Il existe trois bémols majeurs à cette théorie. « Premièrement, les champignons ne supportent pas très bien les hautes températures », explique d’emblée la chercheuse. En l’occurrence, la majorité d’entre eux poussent à température ambiante, soit autour de 20 °C. « Très peu sont capables de tolérer une température aussi élevée que 37 °C », ajoute Simon Dufresne. « Donc juste sur cette base biologique, il y a énormément d’espèces qui ne seraient jamais capables de pousser à l’intérieur du corps humain. »

De plus, il serait très improbable qu’un champignon puisse prendre le contrôle de notre cerveau comme Cordyceps contrôle celui de la fourmi, et encore moins comme le décrit le scénario de The Last of Us.

« Le comportement humain est un peu plus complexe que celui des insectes. »

— Jennifer Ronholm, professeure au département de sciences animales et au département des sciences alimentaires et de chimie agricole de l’Université McGill

« Il existe des tonnes d’infections du cerveau chez l’humain, mais aucune ne peut influencer le comportement de cette manière-là. On peut avoir un impact sur le plan neurologique, avec des hallucinations ou des paralysies, mais cela ne va pas provoquer un comportement agressif, par exemple », affirme Simon Dufresne.

Enfin, quant à la transmission de l’infection par morsure, c’est un non catégorique pour lui. « On a coévolué avec les champignons depuis des millions d’années, mais il y a très peu d’exemples où une infection fongique peut se transmettre par contagion d’un humain à l’autre », explique-t-il. « Il y a quelques exceptions, par exemple certaines espèces qui ont colonisé notre tube digestif comme Candida albicans, mais seule une poignée de champignons fonctionnent de cette façon. »

Mutation éventuelle, progression de l’infection et antifongiques

Un champignon pourrait-il cependant être amené à muter, notamment en raison du réchauffement climatique qui pourrait l’inciter à s’adapter à des températures plus élevées ? Sur ce point, le clinicien-chercheur se veut rassurant. « Je pourrais imaginer des déplacements d’espèces, des niches écologiques qui s’agrandissent ou se réduisent », explique-t-il. « Mais pour qu’une espèce en particulier évolue assez rapidement pour être capable de pousser à une température aussi élevée, ça demanderait des changements génétiques importants. Même si elle arrivait à s’adapter à une hausse d’un degré ou deux, est-ce que ce serait suffisant pour qu’une espèce vivant à 20 ou 25 °C infecte soudainement des humains à 37 °C ? L’écart me paraît assez important. »

Le scénario présenté dans la série et dans le jeu vidéo montre également que le champignon affecte différentes parties du cerveau bien précises selon le stade de l’infection. Or, « il n’y a pas de raison de penser qu’un champignon pourrait faire cela », souligne Simon Dufresne.

« La plupart du temps, quand une bactérie, un virus ou un champignon pénètre dans le cerveau, il se propage de façon aléatoire. »

— Simon Dufresne, clinicien-chercheur au département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal, spécialiste de la mycologie médicale

Enfin, le deuxième épisode de la série indique qu’aucun traitement connu ne pourrait être envisagé pour lutter contre ce nouveau spécimen. Or, c’est un cas de figure peu probable, selon le clinicien-chercheur. « La plupart des antifongiques qu’on utilise chez l’humain sont à large spectre et visent des cibles assez universelles chez les champignons, comme la paroi », souligne-t-il. « Ils seraient donc sûrement efficaces contre de nouveaux champignons. »

La réalité des infections fongiques

Au-delà de la fiction, les champignons sont présents partout dans notre environnement, et si notre système immunitaire est capable la plupart du temps de se défendre contre eux, ce n’est pas toujours le cas. Les infections causées par les champignons tuent chaque année un millier de personnes au Canada et plus d’un million de personnes dans le monde. Parmi les plus mortelles, on en retrouve certaines qui attaquent le cerveau, comme la méningite cryptococcique. En général, les personnes susceptibles d’être infectées sont celles dont le système immunitaire est affaibli en raison d’une chimiothérapie ou d’un stade avancé du sida. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié en octobre 2022 une liste des 19 champignons qui représentent un risque important pour la santé publique, soulignant que les infections fongiques avaient tendance à se répandre de plus en plus rapidement en raison du réchauffement climatique et d’une résistance accrue aux antifongiques.

« Je ne peux pas imaginer qu’un scénario comme celui de The Last of Us puisse arriver, mais j’invite les gens à se préoccuper des vraies infections fongiques qu’on voit réellement chez des patients, et qui nécessitent d’avoir de bons outils diagnostiques et de bons traitements », conclut Simon Dufresne.

300 millions

de cas d’infections fongiques dans le monde par année

653 000

de cas d’infections fongiques au Canada par année

Sources : EJCMID, 2017, Global Action Fund for Fungal Infections

1,6 million

de morts d’infections fongiques par an dans le monde

1000

morts d’infections fongiques par an au Canada

Sources : EJCMID, 2017, Global Action Fund for Fungal Infections

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