Nicolas Sarkozy

« Je raconte aux Français nos souvenirs »

La politique active, il assure en avoir tourné la page. Investi dans le monde de l’entreprise, Nicolas Sarkozy est pourtant hanté par le passé. Il suffit qu’il se penche sur son quinquennat pour que cet hypermnésique revoie tout. D’où 807 pages manuscrites pour un dixième livre, paru aux éditions de l’Observatoire. Exercice du pouvoir par Emmanuel Macron, crise du Covid, gilets jaunes, état de la droite… Pour Match, l’ancien chef de l’État pose son regard sur la France d’aujourd’hui. Dans « Le temps des tempêtes », l’ancien président revient sur le début de son quinquennat. Nous l’avons rencontré en vacances en Corse. Il se livre sans réserve.

Après « Passions » publié l’été dernier, voici « Le temps des tempêtes ». Est-ce votre vision de l’exercice du pouvoir ?

C’est d’abord l’histoire d’une vie partagée avec les Français. C’est ensuite celle du pouvoir et c’est enfin la mienne. C’est mon dixième livre, mais c’est la première fois que j’ai trouvé le titre avant de commencer à écrire. Les tempêtes me fascinent et m’attirent depuis l’enfance, quand je regardais les vagues déferler sur la plage de Royan, où je passais mes vacances. Les tempêtes ont été le fil conducteur de ma vie : j’ai connu des drames, des échecs, des affrontements, des crises, et puis parfois des succès… de la prise d’otages à la maternelle de Neuilly jusqu’à l’Élysée. L’existence de chacun est une succession de hauts et de bas : la maladie, les divorces, les ruptures professionnelles, les problèmes avec les enfants… Celle d’un président aussi, à bien des égards, avec sans doute l’intensité en plus, et des responsabilités écrasantes. Au fond, si on n’aime pas les tempêtes, il vaut mieux ne pas vouloir le pouvoir.

Dans ce tome I, vous relatez les dix-huit premiers mois de votre présidence en entrant souvent dans les détails. Vous êtes-vous appuyé sur des archives ?

Ma façon de travailler est très personnelle. Je pars d’un détail que j’ai gardé en mémoire ou que je redécouvre en lisant un document, et tout me revient. Je me revois alors vivant la scène, je retrouve mes sentiments du moment. Grâce au travail de Véronique Waché, ma collaboratrice, du préfet Michel Gaudin, mon directeur de cabinet, et de Pierre Régent, mon ancien conseiller diplomatique, j’ai pu me replonger dans les événements de l’époque. L’écriture est un gros travail. Il faut organiser les souvenirs, leur donner une cohérence, tirer un fil. Si on ne travaille qu’avec la mémoire, on reste à la surface, on ne retrouve pas les émotions vraies. Et si on ne se fie qu’aux archives, on écrit une somme sans grand intérêt. Je n’ai pas voulu écrire pour l’Histoire mais pour les Français. Ce que je raconte, ce ne sont pas seulement mes souvenirs, ce sont nos souvenirs : une sorte de journal de la France de la fin des années 2000, un patrimoine que nous avons en commun, et qui en dit peut-être plus sur notre pays que sur moi-même.

Est-il exact que vous avez mis à profit la période de confinement pour accélérer la rédaction du livre ?

Le projet existait, bien sûr, mais sans l’épidémie de Covid-19, rien ne se serait passé ainsi. Au moment du confinement, en mars, Carla et moi étions au cap Nègre ; je me suis installé dans mon bureau et j’ai commencé à travailler. Carla m’a demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? » Je lui ai répondu : « J’écris un livre. » Elle a souri en me disant : « Décidément, tu ne peux pas rester inactif. » J’étais parti pour faire 250 pages. A l’arrivée, j’en ai écrit 807, à la main : huit à neuf heures par jour, 6 à 7 pages quotidiennes. Je relisais et corrigeais après le dîner, puis ma secrétaire tapait le texte, que je recorrigeais. Ensuite, je n’y touchais plus et j’avançais.

Le livre s’arrête avec la crise financière et la réunion du G20 à Washington. Pourquoi ce choix ?

Quand j’ai commencé, je ne savais pas vraiment où j’arrêterais mon récit. J’ai revécu beaucoup de moments avec intensité. Arrivé à ce point capital, je me suis souvenu de ce que j’avais éprouvé en entrant dans la salle où allait se tenir le sommet. J’aperçus autour de la table les dirigeants des plus grandes nations du monde. J’eus ce sentiment rare en politique d’être parvenu à réaliser ce à quoi j’avais rêvé. C’est peut-être l’un des moments les plus forts de mon quinquennat. C’est à cet instant que j’ai imaginé que cela pourrait faire une bonne fin. Je suis un grand amateur de séries télévisées. Je sais donc que la fin d’un épisode se doit d’être prometteuse.

Vous décrivez votre installation à l’Élysée comme un moment « vertigineux ». Ressentiez-vous dès le premier jour la solitude du pouvoir ?

En fait, je la découvre. Pendant la campagne électorale, on ne pense qu’au combat. Après la victoire, le temps est suspendu. On est entouré de gens ravis. Comme un soleil, tout le monde tourne autour de vous. Et beaucoup pensent à eux, au rôle qu’ils vont jouer, à ce qu’ils vont obtenir. Mais à l’instant où je suis entré dans le bureau du président, tout à coup, j’ai compris que, pour la première fois, il n’y avait plus personne au-dessus de moi. C’est bien cela, le poids du pouvoir. Avant d’accéder à l’Élysée, je pensais avoir acquis beaucoup d’expérience : j’avais été ministre de l’Intérieur, ministre de l’Économie, élu local pendant des années, vingt ans parlementaire. C’étaient des fonctions lourdes, mais je pouvais me tourner vers quelqu’un. Là, soudain, il n’y avait plus personne. La politique est une sorte de jeu brutal, l’élection est un pari incertain ; le pouvoir, lui, est grave, car il met en cause la vie des gens.

On ne vous a pas senti intimidé : vous avez été décrit comme un « omniprésident », et vous l’assumez…

Ça oui ! Je le revendique même – pas pour m’en glorifier mais pour expliquer ce que j’ai voulu faire. J’avais intégré, plus que les observateurs qui m’ont critiqué à l’époque, la présidentialisation du régime qu’imposaient le passage du septennat au quinquennat et l’alignement des élections législatives sur l’élection présidentielle. Je mesurais que cinq ans, c’est très court. Le pouvoir, il faut l’exercer pleinement. De toute façon, j’ai toujours considéré qu’on ne peut pas être chef à moitié ; on l’est ou on ne l’est pas. Je pensais à cela depuis trente ans, ce n’était pas pour y renoncer au moment où j’y arrivais ! Je sais que cela peut choquer car, culturellement, en France, il est mal vu de revendiquer le pouvoir, comme l’argent d’ailleurs. On peut en avoir, mais il ne faut pas dire qu’on l’aime. C’est une hypocrisie. D’autant que, si vous voulez faire bouger les choses, il faut y mettre toute votre énergie. Avec le volontarisme, vous n’êtes pas sûr d’y arriver mais, sans le volontarisme, vous êtes certain d’échouer.

Vous l’avez constaté d’emblée, dès votre arrivée ?

J’ai tout de suite touché du doigt cette réalité. Toutes les forces se liguent pour imposer un immobilisme de fait. Prenez la défiscalisation des heures supplémentaires : je n’ai eu aucun mal à convaincre une majorité de Français de l’intérêt de cette mesure ; mais la haute administration, elle, n’a cessé de me mettre des bâtons dans les roues afin d’affadir mon projet initial. C’est pourquoi je dis qu’avoir le pouvoir ne suffit pas ; il faut profondément vouloir l’exercer, ne jamais se laisser entraver. Le jour de mon intronisation, j’ai voulu arrêter le cortège sur les Champs-Élysées pour aller à la rencontre des Français qui attendaient depuis des heures. On m’a alors expliqué que c’était impossible ! J’avais souvent besoin de rester seul dans mon bureau pour réfléchir, mais des visiteurs m’attendaient. Car même l’emploi du temps est contraint. Tout exige un effort. Pour instaurer les peines planchers comme pour décider du grand emprunt, il a fallu bousculer, entraîner, forcer la main de ceux qui sont pourtant censés vous obéir. Le quinquennat fut une bataille de chaque instant. On croit être libre, on l’est moins qu’on imagine.

Est-ce ce qui vous conduit à regretter de n’en avoir pas fait assez ?

Le regard des Français sur mon quinquennat a sans doute évolué ces dernières années. Je suis persuadé qu’ils ne sont pas d’accord avec tous ceux qui m’accusaient d’en faire trop. Je pense, comme eux, que j’aurais dû en faire davantage ! J’ai des regrets, bien sûr. Ainsi, si les printemps arabes n’avaient pas éclaté, l’Union pour la Méditerranée se serait installée durablement et, avec elle, un changement profond pour la France et les rapports avec le Maghreb et l’Afrique. En revanche, j’aurais dû davantage aider mes ministres de l’Intérieur. On n’en fait jamais assez pour la sécurité des Français, et le président de la République doit lui-même assurer une part de cette responsabilité. Sur la suppression des postes de fonctionnaires, j’ai longtemps pensé que j’aurais pu aller plus loin, que 155 000 postes supprimés étaient insuffisants. Mais j’ai depuis relativisé mon jugement en observant ce qui s’était fait après moi : François Hollande en a recréé et Emmanuel Macron n’en a supprimé que quelques milliers… Enfin, sur l’économie en général, j’aurais dû être plus audacieux. Il fallait être disruptif car, sans doute, la situation l’exigeait, et l’exige plus encore aujourd’hui.

Diriez-vous que le pouvoir vous a changé ?

Non, c’est le regard que l’on porte sur vous qui change. Le pouvoir altère profondément le rapport que les autres ont avec vous. Je ne crois pas que mes défauts se soient augmentés ni que mes qualités aient disparu. Je suis resté le même, cette expérience en plus. D’ailleurs, quand j’étais au pouvoir, je n’ai cessé de me préparer au moment où je devrais le quitter.

Parmi les crises que vous avez eu à affronter, il en est une qui relève de l’intime : votre divorce avec Cécilia, votre deuxième épouse. Avec le recul, estimez-vous qu’elle a gâché le début de votre présidence ?

Non, même si cela ne m’a pas facilité la tâche. Je regrette d’avoir dû gérer mon divorce en même temps que mon élection. Mais je n’ai pas eu le choix. Dans la vie, même pour un président, il y a des événements qui s’imposent à vous. J’en ai souffert, mais il faut rester digne. Maintenant, quand je regarde l’ensemble de mon quinquennat, je me dis que, sur l’essentiel, tout s’est plutôt bien passé. Je n’ai pas eu à retirer la moindre réforme. Les manifestations contre la retraite à 62 ans se sont déroulées sans violence. Je n’ai pas eu à traverser des crises comme celles que François Mitterrand a connues avec l’affaire Greenpeace ou les manifestations pour l’école libre, ni celles qu’a eu à subir Jacques Chirac avec l’échec du référendum européen ou les manifestations contre le CPE. Même ma défaite, en 2012, n’a rien eu d’infamant : j’ai été battu de justesse, c’est quand même mieux que de ne pas avoir été en mesure de se représenter… Je n’ai pas à rougir de mon bilan, même s’il y a des choses que je ne referais pas.

Lesquelles, par exemple ?

Commençons par celles que je ne regrette pas, comme la libération des infirmières bulgares – même s’il a fallu pour cela recevoir Kadhafi à Paris et supporter ses délires. Pas davantage le bouclier fiscal, qui était une condition nécessaire pour rassurer les investisseurs dans notre pays. En revanche, je ne dirais pas « casse-toi pauvre con », même à un malotru au Salon de l’agriculture. Pas plus que je ne lancerais « viens, descends » à un pêcheur du Guilvinec, même s’il m’avait insulté – il l’a regretté ensuite, moi aussi. Ce sont des moments qui ont marqué les esprits et qui m’ont attiré bien des reproches, à juste titre. Mais d’un autre côté, ces expressions illustraient ma « réactivité ». Elles m’ont valu la compréhension de nombreux Français – beaucoup m’ont écrit pour me le dire.

Vous voulez dire que le décalage se creuse entre les élites et une partie de la population ?

Oui, et cette fracture m’inquiète. Pour moi, elle résulte d’une triple crise. D’abord, une crise de l’Occident, qui autrefois dominait le monde par ses idées et son mode de vie et qui, à présent, est dominé. Ensuite, une crise de l’Europe car son modèle unique au monde, à la fois fédéral et confédéral, a de plus en plus de mal à fonctionner. Enfin, une crise purement nationale : la France se fait une idée d’elle-même glorieuse mais ressent son déclassement, ce qui entraîne le repli sur soi et le raidissement de sa population. Chacun a la tentation de se recroqueviller sur sa communauté, sa ville, sa région, ses origines. Or la France est faite pour les grandes ambitions, pas pour les petites.

La crise des gilets jaunes, sur laquelle on ne vous a pas entendu, était-elle révélatrice de cette peur du déclassement que vous évoquez ? Quel regard portez-vous sur cette tempête-là ?

C’est la crise de la France du travail. On évoque sans arrêt la crise économique et sociale comme si, dans notre pays, on manquait de social : on oublie que c’est chez nous que les prélèvements sont les plus élevés, la redistribution la plus large et que, malgré tout, le sentiment d’injustice est le plus fort ! On l’a encore vu avec la crise du Covid-19 : aucun État n’a été plus généreux pour atténuer les conséquences du désastre économique, pour les entreprises comme pour les individus. Le gouvernement a bien fait. Mais qui ne voit pas que notre modèle social est à sa limite ? On ne pourra plus instaurer de nouvelles prestations. La vraie crise est ailleurs. Il y a une France qui a le sentiment de n’en avoir pas assez en contrepartie de son travail. Et une France éternelle, à qui on voudrait imposer des modes de vie et de comportement qui ne sont pas les siens. Cette France se bat pour ne pas disparaître.

Doit-on comprendre que vous ne partagez pas la distinction entre « monde d’avant » et « monde d’après » ?

Bien sûr que non ! Quoi de plus artificiel que ce genre de débat ? Rien n’est plus démodable que la mode. La vie est toujours plus forte que les circonstances, même les plus terribles. Une crise sanitaire nous ferait basculer dans un autre monde ? Il faut lire Giono, qui décrit dans « Le hussard sur le toit » la France frappée par le choléra au XIXsiècle. Et la grippe espagnole, après la Première Guerre mondiale, la grippe de 1968, les a-t-on oubliées ? Elles ont frappé la France, elles ne l’ont pas transformée.

Vous abordez souvent dans votre livre les difficultés de l’Europe ; l’accord sur le plan de relance, obtenu à Bruxelles par Emmanuel Macron et Angela Merkel, mérite-t-il d’être qualifié d’historique ?

Ce qui aurait été historique, à coup sûr, c’est l’échec ! Donc, à mes yeux, il s’agit d’un bon accord. Il était indispensable de réussir. Maintenant, il faut se poser la question : pourra-t-on encore longtemps tenir des sommets qui durent quatre jours, où toute l’Europe est immobilisée parce que deux ou trois pays font primer les égoïsmes nationaux sur l’intérêt commun ? Ce système est en vérité à bout de souffle. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il faudrait un nouveau traité.

Vous dressez un portrait élogieux de la chancelière allemande. A-t-elle été pour vous une partenaire ou une rivale ?

J’admire Angela Merkel, son intelligence et sa force. Elle est comme un chêne. J’ai vite compris que je ne pourrais jamais la faire bouger si je l’attaquais de front ; il fallait que je la contourne. C’est aussi une personnalité sensible : le mensonge la déstabilise, elle peut être très susceptible. Un jour, elle m’a offert le film « La vie des autres », qui décrit l’espionnage quotidien dans l’ex-Allemagne de l’Est, d’où elle vient. Elle m’a dit : « C’est ce que j’ai vécu. » Pour elle, durer est plus important que faire – et d’ailleurs, elle a duré ! Il m’est arrivé de la brusquer, nous sommes allés au clash quatre ou cinq fois, mais jamais publiquement. Quand elle me reprochait de m’être prévalu de son accord, je lui répondais : « C’est vrai, je ne t’avais pas prévenue. Mais le plus important est qu’on ne puisse pas dire que nous sommes en désaccord. » Alors elle répondait : « OK, mais tu ne refais jamais ça… » L’amitié franco-allemande est fondamentale. C’est l’Histoire qui nous a laissé cette leçon.

Vous dites la même chose au sujet des États-Unis. Pourquoi avoir tenu à rendre un hommage aussi appuyé à George W. Bush ?

C’est un homme cultivé, un homme de parole, bien loin de l’image qu’il a laissée. Il a commis des erreurs, mais qui n’en commet pas ? Je me suis entretenu avec lui quelques semaines après mon élection. C’était durant un sommet du G8 en Allemagne, il venait d’avoir un malaise mais tenait à me rencontrer. Je me suis rendu seul dans sa suite en secret et je l’ai trouvé allongé, un coussin sous la tête, blanc comme un linge, sa femme lui tenant la main. Et sa conseillère, Condoleezza Rice, à son côté. Personne n’en a jamais rien su mais, croyez-moi, ce sont des circonstances qui ne s’oublient pas…

Mais cette amitié franco-américaine, faut-il l’entretenir encore quand Donald Trump s’oppose si brutalement à toute forme de multilatéralisme ?

Oui, il faut poursuivre les efforts. La relation entre deux grands pays ne peut pas dépendre de la seule personnalité d’un président. On ne peut pas aimer l’Amérique quand c’est Obama et la haïr quand c’est Trump. Ce serait réduire à peu de choses 330 millions d’Américains. De surcroît, Trump n’est pas la cause de la crise morale américaine, il en est le symptôme !

Vous aussi avez eu un problème de santé qui est resté secret : vous révélez dans votre livre avoir été opéré d’urgence à la gorge. La santé des présidents demeure-t-elle un tabou ?

Ce dont je souffrais était très douloureux, mais ne mettait pas en cause mon aptitude à exercer ma fonction. Si je le raconte aujourd’hui, c’est pour montrer qu’à certains égards la vie quotidienne d’un président n’est pas différente de celle des Français. Je sortais d’un match officiel de rugby, j’avais mal à la gorge, j’étais à mille lieues de penser que c’était grave. Quand le médecin m’a dit : « On doit vous amener à l’hôpital », j’ai d’abord refusé. Puis au Val-de-Grâce, on m’a diagnostiqué un phlegmon, j’ai compris alors que c’était sérieux. Mais je devais partir le lendemain au Maroc, il était impossible de rester alité dans une chambre d’hôpital. J’ai dû me faire opérer sans anesthésie générale… C’était quelques jours après mon divorce. Imaginez les commentaires si j’avais annulé mon voyage. J’ai donc effectué cette visite officielle dans ce Maroc que j’aime tant en étant très affaibli physiquement. Dans mon livre, j’ai voulu montrer que, derrière la froideur apparente de la vie publique, il y a la chaleur de la vie, la vraie.

Carla Bruni est très présente dans votre récit. Quelle place a-t-elle eue pendant votre présidence ?

Une place centrale, évidemment, dans ma présidence comme dans mon existence. Elle a été une première dame exceptionnelle. Dès qu’elle a été là, j’ai dû partout partager la vedette avec elle. Lors de notre visite à la reine d’Angleterre, elle a ébloui le monde entier ! Le lendemain, la presse britannique titrait : « France 1-England 0 ». Quand on sait ce qu’ils pensent des Français, ce n’était pas rien ! Et pourtant, combien de bassesses avons-nous subies…

Emmanuel Macron est très jeune, et vous pas si vieux : 65 ans. Votre livre va une nouvelle fois alimenter les questions sur un éventuel retour…

En toute franchise, j’ai la même énergie, la même passion qu’il y a dix ou vingt ans. Mais c’est la passion de la vie ! Résumer mon existence à la politique serait très réducteur. Je suis heureux aujourd’hui. Je suis très occupé, je regarde vers l’avenir. Le fleuve est fidèle à sa source quand il va vers la mer. Donc je ne prépare aucun retour, ni pour aujourd’hui ni pour demain.

Et quel est votre avenir ?

Vivre pleinement, passer du temps avec ma famille. Je veux montrer qu’on peut avoir eu de très hautes responsabilités dans la politique et réussir dans la vie des entreprises. Ce n’est pas parce que je raconte mon expérience que je suis nostalgique. Mon livre est un texte d’amour à la France et aux Français, à qui je dois énormément et qui m’ont appris tant de choses. Croyez-moi, ce n’est pas l’amorce d’un nouveau plan de carrière.

Vous gardez quand même un œil sur votre parti, Les Républicains. Quel avenir leur prédisez-vous ?

Je suis toujours membre de cette famille politique et je ne l’abandonnerai pas. Christian Jacob, son actuel dirigeant, est un ami. La famille a eu de la chance de pouvoir compter sur lui dans un moment difficile. Pour le reste, chacun voit qu’elle a un problème d’incarnation au plus haut niveau.

Vous tracez un parallèle entre la crise financière de 2008, que vous avez eu à affronter, et l’épidémie de Covid-19. Quel est votre diagnostic sur la façon dont le pouvoir a géré celle-ci ?

C’était difficile, compte tenu du peu d’informations dont il disposait. Il y a eu des erreurs à propos des masques et des tests. C’était sans doute inévitable. J’ai été frappé par l’extraordinaire aversion que notre monde éprouve désormais pour toute forme de risque. Les virus ont toujours existé mais, dans les sociétés modernes, on n’accepte plus l’idée de la maladie ni celle de la mort. S’y ajoute une peur des responsabilités, notamment en raison du risque judiciaire : on ne décide plus rien sans envisager les conséquences judiciaires ; c’est paralysant. Quand j’ai dit à Roselyne Bachelot, au moment de la grippe H1N1 : « Ne te préoccupe pas du coût des vaccins, commande ce qu’il faut », je ne me suis pas demandé si on me le reprocherait. En 2014, son directeur de cabinet au ministère de la Santé a été mis en cause dans le cadre d’une enquête, à la suite d’un rapport de la Cour des comptes ; l’enquête a ensuite fort heureusement été classée sans suite… Enfin, il y a le rôle dévastateur des prétendus experts qui parlent à tort et à travers à la télévision, surtout quand ils ne savent rien. Avoir réuni un conseil scientifique n’était pas une erreur. Mais le laisser s’exprimer en public, c’en était une ! Pendant la crise de 2008, j’avais même demandé à mon premier ministre de ne pas s’exprimer : j’étais convaincu qu’il fallait une parole unique pour qu’elle soit écoutée. Le politique est le seul qui a la légitimité pour décider. Au fond, c’est la grande leçon de la crise du Covid-19. Rien ne peut remplacer le leadership de la politique.

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