Rassemblement à L’Assomption

« C’était un être d’exception »

À L’Assomption, ils étaient plusieurs milliers à s’être déplacés dans le cœur de la ville pour chanter et honorer la mémoire de Karl Tremblay. Ils ont eu droit à une surprise inespérée : deux membres des Cowboys Fringants sont venus sur place les saluer et les remercier brièvement.

En effet, Jean-François Pauzé et Marie-Annick Lépine, tous deux résidants de L’Assomption, sont arrivés vers 20 h dans une voiture banalisée. En les voyant monter sur scène, la foule a explosé. Les lumières, les chandelles et les lampions portés à bout de bras ont rapidement formé une marée de lucioles qui a déferlé de la scène jusqu’à la rue. Des spectateurs ont essuyé des pleurs. D’autres ont crié : « On vous aime ! »

« Merci énormément au nom de Karl ! a lancé Jean-François Pauzé. Karl était quelqu’un d’humble et de modeste et il aurait été le premier surpris de tout cet amour. C’est très beau. »

Marie-Annick Lépine, la conjointe de Karl Tremblay, a aussi pris la parole.

« Mon homme, notre grand Karl Tremblay, était d’une bonté extrême. Il pensait aux autres et était toujours de bonne humeur. C’était un être d’exception. C’était un homme sensible qui se permettait de pleurer, surtout devant la beauté et le bonheur des gens heureux. Il disait que c’était devant la beauté du monde qu’il fallait s’extasier. »

— Marie-Annick Lépine

Elle a ajouté que le chanteur souhaitait être enterré à L’Assomption, « là où il a passé les plus belles années de sa vie ».

Elle a aussi expliqué avoir composé une chanson de Noël pour le groupe de petits choristes qu’elle dirige, chanson qu’elle a fait entendre à son conjoint lundi. « C’est la dernière larme qu’il a versée. Il m’a dit : “C’est la plus belle chanson de Noël que j’ai entendue.” » Elle espère pouvoir enregistrer cette chanson d’ici la fin décembre. « J’aimerais que l’argent amassé [avec cette chanson] serve à la recherche sur le cancer », a-t-elle dit avant de remercier le personnel hospitalier qui les a soutenus durant les quatre dernières années.

De son côté, Jean-François Pauzé a tenu à remercier la Ville de L’Assomption, qui a décidé de rebaptiser sa place publique. Elle s’appellera place Karl-Tremblay. « Il le mérite en tabarnak ! », s’est exclamé le musicien.

Les deux Cowboys Fringants sont ensuite repartis sous escorte policière, non sans avoir reçu quelques embrassades de personnes en pleurs.

Une cérémonie préparée en une journée

C’est après avoir reçu une vidéo de la foule chantant en chœur dans les premières minutes de la cérémonie que Jean-François Pauzé et Marie-Annick Lépine ont décidé de se joindre à l’évènement. Le maire de L’Assomption, Sébastien Nadeau, a eu le flair de leur faire parvenir les images.

Cette visite surprise a été le temps fort d’une journée riche en émotions pour le maire et l’équipe des travaux publics qui ont réussi à organiser cette cérémonie en moins de 24 heures. La Ville a aussi annoncé qu'elle baptisera sa place publique, qui existe depuis trois ans, la place Karl-Tremblay.

« Mercredi soir, je me suis retrouvé devant avec une soixantaine de citoyens pour une cérémonie improvisée au Vieux Palais de justice. Plusieurs m’ont dit qu’ils avaient besoin de quelque chose de plus. J’ai communiqué avec Marie-Annick, qui m’a donné son accord. »

— Sébastien Nadeau, maire de L'Assomption

Le maire de Repentigny, Nicolas Dufour, a aussi indiqué à La Presse qu’il étudiait divers scénarios pour trouver un lieu qui portera aussi le nom de Karl Tremblay « On veut un lieu à son image et à sa hauteur, » a indiqué celui qui jadis entrait illégalement dans le bar La Ripaille pour assister aux spectacles des Cowboys Fringants !

Toutes générations unies

Devant la scène dressée sur la nouvelle place Karl-Tremblay, des spectateurs de tous âges ont commencé à se masser dès 17 h. Plusieurs portaient des chandails aux couleurs des Cowboys, d’autres étaient drapés dans le fleurdelisé.

« Karl Tremblay a été le chanteur de toute notre enfance », ont indiqué les sœurs Marina et Frédérique en allumant des lampions avec leur mère, Julie. « Il ralliait tout le monde », a ajouté cette dernière.

Pas très loin de là, la petite Danaé, 5 ans, agitait un drapeau bleu et blanc en entonnant avec la foule sa chanson préférée, Le shack à Hector. « Elle a grandi avec Les Cowboys », a lancé sa mère, Émilie.

Prof d’anglais au secondaire, Lizabel Nitoi est arrivée à L’Assomption de sa Roumanie natale il y a 34 ans. « Pour moi, Les Cowboys représentent la culture du Québec, sa liberté. Merci à eux de m’avoir fait aimer le Québec encore davantage », a-t-elle dit avant de fondre en larmes.

Entre le groupe de pompiers qui chantait sans fausse note la chanson Comme Joe Dassin, les adolescentes qui se consolaient les unes les autres et les enfants qui ont lancé des fleurs sur la scène dès que Marie-Annick Lépine y a posé le pied, l’ambiance était autant à la fête qu’au recueillement.

Rassemblement à Montréal

« Il a écrit la soundtrack de nos vies »

Ils étaient plusieurs centaines d’admirateurs, rassemblés jeudi au parc Jeanne-Mance, à Montréal, à pleurer et à célébrer Karl Tremblay, dont la mort avait été annoncée la veille.

« Ça peut avoir l’air gros à dire, mais je ne serais pas la personne que je suis sans les Cowboys, sans lui. Il a donné une voix à une génération au complet. »

Pour Nancy, bien des étapes de la vie sont associées à la musique de Karl Tremblay et des Cowboys Fringants. Son « chanter québécois » l’a portée dans ses prises de conscience à l’adolescence, dans ses réflexions à l’âge adulte, dans ses moments de joie et ses moments de peine. Aujourd’hui, comme tant d’autres, elle est « en grand deuil ».

On savait déjà de son vivant à quel point le Québec l’aimait. Depuis son départ, mercredi, l’ampleur de cette affection pour Karl Tremblay se fait sentir. C’est d’une tristesse infinie, mais c’est aussi sublime. Au son de la musique du groupe qu’ils adorent, qu’ils entonnent tous en chœur, les Montréalais pleurent et s’étreignent. En chantant Les étoiles filantes, Le shack à Hector ou L’Amérique pleure, ils se consolent d’une peine difficile à décrire. Celle de la perte d’un artiste qu’ils ne connaissaient pas vraiment, pas personnellement, mais qui a laissé dans leur vie une trace indélébile.

« On a souvent l’impression que les artistes sont loin de nous, mais lui, à sa façon, il était près de nous. On ne le connaît pas personnellement, mais il nous a suivis toute notre vie, il a écrit la soundtrack de nos vies », dit Nancy.

« On voulait pouvoir partager cette peine, ajoute Émilie, son amie de toujours, à ses côtés. C’est tellement un choc pour nous, tellement une grosse perte… C’est une façon de commencer à passer au travers. On en avait besoin. »

Au centre du large rassemblement d’admirateurs, on a formé le prénom Karl avec des lampions.

Un peu partout autour du monument à sir George-Étienne Cartier, on croise des familles, des gens de toutes les générations.

Certains chantent toutes les chansons par cœur, d’autres s’aident des paroles sur leur cellulaire. On boit des bières, on brandit des drapeaux du Québec, on fait de ce moment une communion réconfortante : même dans le deuil, les amoureux des Cowboys Fringants rendent hommage à leur chanteur dans une ambiance qui rappelle celle que sa bande et lui voulaient créer avec leur public.

Plusieurs personnes que nous abordons nous répondent, le regard embué par les larmes, qu’ils sont trop émus pour parler. Marion Archambault et Bérangère Thomas, elles, acceptent de nous raconter ce que leur groupe favori a fait pour elles. « Ça fait du bien de parler de lui », nous dit Marion, arrivée de France il y a 17 ans, pour qui la musique des Cowboys Fringants a été une rencontre avec sa nouvelle identité québécoise.

« De me dire qu’on n’entendra plus cette voix après le dernier album, ça me donne le sentiment que c’est une partie de mon identité qui a disparu. »

Être ensemble

L’évènement à Montréal a été planifié peu de temps après l’annonce de la mort de Karl Tremblay. En moins de 24 heures, près de 2000 personnes ont manifesté leur intérêt sur Facebook ou indiqué qu’ils seraient présents à la veillée. Ils étaient plusieurs centaines, 500 au moins, amassés autour de quelques musiciens qui se sont improvisés accompagnateurs de la chorale d’admirateurs, le temps de quelques heures. Le temps de « vivre ce deuil ensemble », comme l’exprime Nancy.

« L’évènement a pris une ampleur incroyable et inespérée, qui n’aurait pas dû me prendre de court, car est-ce si surprenant qu’on soit autant à vouloir lui rendre hommage ? », a écrit jeudi l’organisateur du rassemblement, qui explique également l’avoir fait sur un coup de tête et n’avoir prévu aucune réelle organisation.

La chose s’est faite naturellement. On a sorti les instruments, les lampions et les lumières des téléphones, en guise d’« étoiles filantes ».

« Tous ces rassemblements spontanés dans plusieurs villes en même temps, ça montre qu’il y a beaucoup de monde qui a eu le même besoin de se retrouver ensemble », affirme Émilie.

Abigaelle et Maya ont toutes les deux 16 ans. Les deux cousines sont venues de la Rive-Sud avec leur famille pour dire au revoir à Karl Tremblay, qui faisait partie de leur vie « depuis toujours ».

« C’est un truc de famille pour nous », dit Abigaelle. Avec la mort du chanteur dont la voix l’a accompagnée de l’enfance à l’adolescence, Maya a l’impression « que c’est une étape de [s]a vie qui se termine ». Quelque chose en elle s’en va avec Karl Tremblay.

« Mais d’être ensemble ici, ça montre que le Québec se tient et se soutient. Je trouve ça beau. On voit qu’il y avait beaucoup, beaucoup de gens qui l’aimaient. »

Plusieurs rassemblements du genre ont été organisés au Québec. « C’est très rare de voir ce genre de chose quand un artiste meurt, on ne les pleure pas de cette façon d’habitude », observe Nancy. « Mais s’il n’y avait pas eu cet évènement à Montréal, on serait allées à L’Assomption. Il fallait qu’on aille quelque part. »

C’est rare, des moments comme ceux-là, et pourtant, ça semble tout à fait logique, inévitable. Quand un artiste rassemble les gens comme l’a fait Karl Tremblay tout au long de sa carrière, il ne semble pas y avoir de meilleure façon de célébrer sa vie que d’« être ensemble ».

Karl Tremblay (1976-2023)

Déferlement d’hommages

Les hommages à Karl Tremblay ont continué à déferler, jeudi, au lendemain de la mort du chanteur des Cowboys Fringants. Le message le plus bouleversant a sans doute été celui de son complice Jean-François Pauzé, qui, avant de monter sur scène à L’Assomption, a écrit un court mais poignant message sur Instagram dans la journée de jeudi.

L’auteur-compositeur principal de la formation a partagé sa peine de perdre son collègue, mais aussi sa chance d’avoir été son ami et de lui avoir tenu la main jusqu’à son dernier souffle. Karl Tremblay, 47 ans, a été emporté par le cancer de la prostate, mercredi, près de quatre ans après son diagnostic.

« J’ai eu la chance de côtoyer un homme d’exception, a écrit Jean-François Pauzé, également guitariste du groupe. Le privilège d’avoir été ton ami et de te tenir la main jusqu’à ton dernier souffle. J’ai beaucoup de peine aujourd’hui, mais je suis heureux de savoir que tes souffrances sont choses du passé. Je t’aime mon gros. »

Sur les réseaux sociaux, des artistes ont continué jeudi à exprimer tout le respect qu’il vouait à Karl Tremblay, la voix des Cowboys Fringants depuis plus de 25 ans.

Le groupe Les Trois Accords a publié une photo prise au mois d’août au Festival de la poutine, à Drummondville. Au centre, Karl Tremblay enlace le chanteur des Trois Accords, Simon Proulx, entouré d’artisans et de bénévoles.

« À Karl, notre ami. C’est difficile de croire que tu ne seras plus là pour faire chanter les foules et rire avec nous. Merci pour ta générosité, ton talent, ta force, ta gentillesse et ton amitié. »

— Extrait du message des Trois Accords

L’autrice-compositrice-interprète Catherine Durand, qui a accompagné Les Cowboys Fringants en tournée, a diffusé une vidéo de Karl Tremblay interprétant Les étoiles filantes sur la scène du Centre Bell, en janvier. « Plus grand que nature », a-t-elle simplement écrit.

Mara Tremblay a relayé la vidéo, en remerciant Karl « pour tout l’amour partagé ». « On soupait ensemble il y a à peine trois semaines, a-t-elle écrit sur Facebook. Tu voulais entendre des nouvelles chansons de moi, je n’ai pas eu le temps de les écrire avant ton départ, mais promis, tu vas les entendre d’où tu es. »

Le rappeur Koriass a pour sa part raconté la genèse de Supernova, la pièce musicale qu’il a construite sur la chanson Les étoiles filantes. Il a parlé de l’enthousiasme immédiat des membres du groupe envers son idée et du privilège d’avoir pu partager la scène avec Karl Tremblay.

Sur mon épaule à l’unisson

À 8 h jeudi matin, de nombreuses radios ont fait jouer simultanément Sur mon épaule, l’hymne que les Cowboys ont offert avec beaucoup d’émotion lors de leur spectacle sur les plaines d’Abraham, cet été. C’est le directeur de la programmation de 107,3 Rouge FM, Jean-Philippe Marcil, qui a lancé l’idée sur les réseaux sociaux, mercredi soir.

« Je cherchais comment lui rendre hommage. Les Cowboys nous ont accompagnés depuis tellement d’années, avec des textes qui pouvaient autant être prenants que festifs. On vit un deuil collectif en ce moment. »

— Jean-Philippe Marcil, directeur de la programmation de 107,3 Rouge FM

Les 21 stations de Bell partout au Québec (Rouge et Énergie), le réseau Rythme et les stations de RNC ont notamment embarqué. Le 98,5 – une station de radio parlée de Cogeco – a également emboîté le pas. « Ça a créé un moment rempli d’émotion », dit Jean-Philippe Marcil.

Même l’aéroport international Montréal-Trudeau a modifié son enseigne en troquant le « O » de Montréal pour une étoile filante. Des drapeaux ont été mis en berne à Montréal, à Québec et à Sherbrooke, entre autres, à la mémoire du chanteur.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.