375
de MontréalMARIE-JOSÈPHE ANGÉLIQUE
Symbole de l’esclavage à Montréal
La Presse
À l’image de la Nouvelle-France, de la Province de Québec et du Bas-Canada, Montréal a été territoire esclavagiste durant 200 ans. S’il y a un personnage symbolisant cet état de fait, c’est Marie-Josèphe Angélique, esclave noire torturée, pendue et brûlée après avoir été reconnue coupable d’incendie criminel au terme d’un procès alambiqué.
Tout commence le samedi 10 avril 1734, vers 19 h, lorsqu’un incendie se déclare dans le grenier de la résidence de Thérèse de Couagne, veuve de François Poulin de Francheville, rue Saint-Paul. Le brasier se propage et, en quelques heures, détruit 46 des 387 immeubles de la ville, dont l’Hôtel-Dieu, hôpital récemment reconstruit. Il n’y a pas de morts, mais des centaines de personnes se retrouvent sans toit.
Très vite, les soupçons se tournent vers Marie-Josèphe (certains utilisent la graphie Marie-Joseph) Angélique, esclave chez M
de Couagne depuis neuf ans. La jeune femme – qui est née à Madère, au Portugal, et qui aurait été âgée de 29 ans – n’avait-elle pas, quelques mois plus tôt, tenté de fuir avec son amant, le Blanc Claude Thibault, contrebandier de sel exilé au Canada ? N’aurait-elle pas mis le feu à la résidence de sa propriétaire qui songeait à la vendre à un homme de Québec qui, à son tour, voulait l’envoyer travailler aux Antilles ?C’est la rumeur qui court en ville au moment de son arrestation, le lendemain de l’incendie. On a dit aussi qu’elle avait pris la fuite après l’incendie. Après un long travail de dépouillement des archives du procès, l’archiviste et historienne Denyse Beaugrand-Champagne affirme au contraire qu’elle est restée sur place pour aider sa maîtresse à sauver les meubles de la maison.
Chose certaine, dès le lundi 12 avril, Marie-Josèphe comparaît devant le juge Pierre Raimbault, de la Juridiction royale de Montréal, lui-même résidant de la rue Saint-Paul et… propriétaire d’esclaves. Comme les avocats sont interdits dans la colonie, elle doit se défendre seule.
Le procès dure six semaines. Plusieurs témoins comparaissent, mais aucun n’est capable de faire la preuve formelle de la culpabilité de l’accusée. Leurs témoignages reposent sur des ouï-dire. Marie-Josèphe nie tout. Arrive alors Marie-Amable Lemoine dit Monière, fillette de 5 ans. Témoignant le 26 mai devant le juge, la fillette assure qu’« étant assise sur la porte, la négresse prit du feu sur une pelle et monta au grenier ».
C’en est fait. Marie-Josèphe Angélique est condamnée à l’amputation de la main droite et à être brûlée vive au bûcher. En processus d’appel devant le Conseil supérieur du Québec, sa peine est « atténuée ». On ne lui coupera pas la main et elle sera pendue avant d’être brûlée. Mais avant, on doit lui arracher des aveux. Ce qui sera fait sous la torture des brodequins, appareil servant à broyer les jambes. Le lundi 21 juin 1734, Marie-Josèphe Angélique est embarquée dans un tombereau à vidanges et amenée devant l’église paroissiale pour faire amende honorable. Elle est exécutée sur une place publique près des lieux ravagés par l’incendie.
« L’histoire de Marie-Josèphe Angélique est aujourd’hui un symbole de la résistance des Noirs et de la liberté. Elle est aussi révélatrice de la façon dont on percevait les esclaves à cette époque. »
— Martin Landry, historien
« Il est en effet difficile de savoir si elle a réellement mis le feu et si elle l’a fait de façon volontaire, explique l’historien Martin Landry. Les incendies étaient nombreux à Montréal durant cette période et plusieurs d’entre eux étaient accidentels. »
Comédienne et réalisatrice du documentaire
consacré à cette femme, Tetchena Bellange déclare de son côté : « Marie-Josèphe Angélique nous rappelle que la famille montréalaise est constituée depuis des siècles de Noirs aussi. Sa vie nous révèle des facettes cachées de notre histoire. Cette esclave forte, rebelle et éprise de liberté fait partie de notre répertoire de femmes québécoises qui ont dit “Non !” aux atteintes à la dignité humaine. »Outre cette histoire, que sait-on des esclaves montréalais ? L’historien Marcel Trudel, un des plus importants spécialistes de la question, a dénombré 1525 esclaves, soit 1007 Amérindiens et 518 Noirs, à Montréal sous les régimes français et anglais.
« À Montréal, les esclaves amérindiens appartiennent surtout à des personnes de la haute société : marchands, officiers militaires, seigneurs, clercs, etc., rappelle de son côté Martin Landry. Les femmes amérindiennes sont plus nombreuses que les hommes et souvent très jeunes (l’âge moyen au décès était de 17,7 ans). Elles sont surtout employées aux travaux domestiques. Certaines d’entre elles peuvent s’affranchir grâce au mariage mixte, en devenant les conjointes légitimes de leur maître. En ce qui concerne les hommes, ils sont surtout utilisés pour le commerce des fourrures et participent aux expéditions de traite en tant que membre d’équipage. »
« Les esclaves héritent en général des tâches les plus ingrates, lit-on par ailleurs sur le site web du Centre d’histoire de Montréal. Ils vident les pots de chambre, transportent les seaux d’eau potable plusieurs fois par jour depuis la petite rivière Saint-Pierre, coupent et transportent le bois pour les nombreuses cheminées, lavent les planchers, battent les tapis, font la lessive au fleuve, soignent les animaux et passent de longs moments à tourner la broche pour cuire la viande. »
Après l’exécution de Marie-Josèphe Angélique, ses cendres furent dispersées au vent. Recherché après l’incendie, Claude Thibault ne sera jamais retrouvé.
On s’entend généralement pour dire que 4200 esclaves ont vécu au Québec entre 1629 et 1833. Le 20 février 2012, le conseil municipal de Montréal a adopté une résolution consacrant un espace public à Marie-Josèphe Angélique. Sise à deux pas du métro Champ-de-Mars, cette place rend hommage à cette femme et constitue une façon de reconnaître l’existence de l’esclavage dans l’histoire de Montréal.
Une plaque du gouvernement du Québec est aussi installée à l’intersection des rues Vaudreuil et Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal.
Grâce à ses ouvrages
(en collaboration avec Micheline D’Allaire) et son , l’historien Marcel Trudel fait autorité sur le sujet. de Denyse Beaugrand-Champagne (Libre Expression) et le documentaire de Tetchena Bellange sont d’autres œuvres bien documentées pour qui souhaite en apprendre davantage sur le sujet.