Soutien aux familles d'enfants autistes

« CE SONT NOS ANGES GARDIENS »

En plus d’encaisser des coups au quotidien, être parents d’un jeune autiste avec des troubles graves de comportement, c’est vivre avec la peur que l’enfant soit expulsé de l’école. Ou qu’il soit placé en centre jeunesse. Voici comment une petite équipe d’éducateurs spécialisés du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal s’y prend pour éviter que leurs pires craintes se concrétisent.

Les parents de Kaddour ont toujours encaissé les coups et les morsures de leur fils autiste non verbal sans broncher.

« On souffre, c’est vrai, mais ce n’est rien à côté de sa souffrance à lui », décrit Salah Labsari, le père du garçon de 13 ans qui a aussi une déficience intellectuelle.

Quand l’adolescent est à l’école, ils peuvent souffler un peu.

Mais en mars 2022, la direction de l’établissement a annoncé à ses parents qu’il ne pouvait plus la fréquenter à temps plein.

Ses crises étaient devenues trop difficiles à gérer.

Il lançait son bureau, sa chaise, tout ce qu’il avait sous la main. Il mordait. Il frappait. Il tirait les cheveux de tout le monde. Il s’automutilait aussi.

C’était dangereux pour les autres élèves, pour le personnel et pour lui-même.

Il a fini par ne plus y aller du tout.

Les parents de Kaddour sont devenus en quelque sorte prisonniers de leur appartement avec un fils hors de contrôle.

Car pas question de laisser un seul parent – sauf pour de rares sorties essentielles – gérer les crises. « On a besoin d’être deux, parfois trois, pour le maîtriser », explique le père.

La famille en est à son cinquième téléviseur, cible de la colère de l’ado. Dans sa chambre, il n’y a aucun meuble à part un sommier et un matelas, question d’éviter tout risque de blessure.

Les voisins se sont mis à se plaindre du bruit et des cris, faisant du même coup craindre à la famille d’être forcée de quitter son appartement. Encore.

Car cela leur est déjà arrivé. En pleine crise du logement, trouver un grand appartement abordable pour une famille de cinq – Kaddour est le cadet de trois enfants – relève d’une mission quasi impossible. Ils n’ont certainement pas besoin de ce stress supplémentaire.

« J’étais désespérée », résume la maman, Meriem Bendounane.

« Ma femme était épuisée », ajoute son mari, M. Labsari.

Des spécialistes à domicile

Si la famille parle au passé, c’est que le comportement de Kaddour s’est amélioré récemment grâce à l’intervention intensive à domicile d’une nouvelle équipe du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Créée à l’automne 2021, l’équipe de Prévention en troubles graves du comportement soutient les familles et différents milieux – dont l’école que fréquente l’enfant – afin de prévenir les ruptures scolaires et les demandes d’hébergement en institution – entre autres en centre jeunesse, souligne sa cheffe en réadaptation, Caroline Vallières.

Formée de dix éducateurs spécialisés, l’équipe soutient actuellement 27 familles comme celle de Kaddour. Autant de familles dont l’enfant a une déficience intellectuelle modérée à sévère ou un trouble du spectre de l’autisme et qui peut représenter un danger pour lui-même ou pour ses proches.

Le suivi est très intensif. L’éducateur spécialisé se rend chez l’enfant de trois à cinq fois par semaine durant deux ans. Au besoin, l’équipe a accès à différents professionnels de la santé (kinésiologue, orthophoniste, sexologue, infirmière, psychoéducateur).

En juillet dernier, donc, les parents de Kaddour étaient au bout du rouleau. Mais ils ne voulaient surtout pas placer leur fils en institution.

C’est là que « Mme Sophia et M. Jean » sont entrés dans leur vie.

« Ce sont nos anges gardiens », insiste le papa en accueillant La Presse dans son six et demi du nord de Montréal par un froid après-midi de février.

« Mme Sophia », c’est l’éducatrice spécialisée Sophia Maisonneuve, qui est l’intervenante pivot de la famille.

« M. Jean », c’est Jean Charbonneau – spécialiste en activités cliniques en soutien aux éducateurs spécialisés de l’équipe.

« Ne déplacez rien, sinon Kaddour va faire une crise », lance le papa au photographe qui a du mal à circuler dans le salon en raison des dizaines de voitures et personnages de la Pat’Patrouille alignés sur le plancher.

Même avertissement quand on entre dans la chambre de l’ado. On constate que la pièce est nue à l’exception d’un sommier et d’un matelas sans drap sur lequel sont ordonnés des dizaines de paquets de cartes à collectionner.

Moins il y a d’objets et de meubles, moins il y a de risques de blessure.

Réduire les risques de blessures graves

L’approche des éducateurs est très concrète.

Le CIUSSS a équipé la maman d’un casque de protection – pour prévenir le tirage de cheveux –, d’un coussin bloqueur – pensez à celui utilisé dans les arts martiaux – et d’un immense ballon gonflable Omnikin – celui utilisé pour jouer au kinball. Les parents peuvent mettre le ballon entre eux et leur enfant. Ainsi, c’est l’objet, et non le parent, qui absorbe les coups.

Au départ, on doit réduire le plus possible les interventions physiques pour éviter les blessures, indique Mme Vallières.

En travaillant le sentiment de sécurité, on augmente la vitesse du retour au calme, ajoute M. Charbonneau.

Un système très élaboré de pictogrammes a été conçu et affiché bien en évidence dans le logement. Il a aussi été reproduit à l’école.

Car la vie de Kaddour doit être prévisible à la minute près. Une chaussette qui doit être enfilée à 7 h 58 ne peut pas l’être à 7 h 59. Sinon, c’est la crise.

Des images lui montrent ce qu’il ne doit pas faire – tirer les cheveux, par exemple – et lui offrent des solutions de rechange – frapper sur le gros ballon, par exemple.

« Mme Sophia » a aussi réalisé un grand cartable où des photos de ses besoins sont consignées : les rares aliments qu’il accepte de manger (pain, Doritos, jus et chips, essentiellement), les lieux qu’il aime fréquenter.

Plus Kaddour parvient à s’exprimer, moins il se fâche, résume l’éducatrice spécialisée.

L’éducatrice spécialisée a aussi convaincu l’école de le reprendre à temps plein en septembre dernier. L’établissement voulait le réintégrer à temps partiel seulement.

« Mme Sophia » s’y rend au besoin pour soutenir l’enseignante.

En six mois de suivi intensif, l’adolescent est passé de quatre à cinq crises par jour à trois à quatre crises par… mois.

« C’est un grand miracle », lâche la maman de l’ado, très reconnaissante.

Ce n’est pas un miracle, lui dit gentiment l’éducatrice spécialisée. L’adolescent a amélioré son comportement parce que la famille intègre tous les outils qu’on lui propose.

Quand une famille ne collabore pas, les résultats ne sont pas aussi spectaculaires, précise l’éducatrice spécialisée.

L’autre jour, Kaddour a prononcé les mots « jus » et « chips ». C’est la première fois en 13 ans que leur enfant énonce une demande claire. À l’école, il s’est mis à participer au cours d’éducation physique. Et il chante – « il chante », répètent les parents, estomaqués.

Leur ange aux « ailes brisées » prend enfin son envol, illustre la maman.

Des « superhéros » qui ont besoin de répit

Au moment de notre visite, Kaddour n’est pas encore rentré de l’école.

« C’est mieux qu’il ne vous voie pas, indique l’équipe du CIUSSS aux représentants de La Presse. Cela pourrait provoquer une crise. »

Avant de rencontrer toute nouvelle personne, l’ado doit l’avoir vue sur une photo. Sinon, il réagit mal. C’est ainsi que les intervenants du CIUSSS ont été introduits dans la famille.

Aujourd’hui, pour la première fois depuis des années, la maman de Kaddour envisage de prendre une semaine de vacances sans son fils.

Mme Bendounane rêve de visiter son père – qu’elle n’a pas vu depuis très longtemps – de l’autre côté de l’Atlantique.

« M. Jean » l’encourage en ce sens.

« Votre mari et vous, vous êtes les superhéros de Kaddour, vous en prenez bien soin, lui dit-il. On va travailler pour que vous appreniez à prendre soin de vous. »

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