Commission Cloutier

Une loi sur la liberté universitaire recommandée

Pour protéger la liberté universitaire, la commission Cloutier recommande une solution que le premier ministre François Legault écartait il n’y a pas si longtemps : adopter une loi obligeant les universités à appliquer une série de mesures. Créée dans la foulée de controverses sur l’utilisation du « mot commençant par la lettre n », la commission conclut que les salles de cours ne sont pas des « espaces sécuritaires » (safe spaces) et que « toutes les idées et tous les sujets » peuvent être débattus à l’université.

L’adoption d’une loi est « la seule façon d’assurer, aux yeux des commissaires, qu’il y ait une réelle protection de la liberté universitaire au Québec », a soutenu le président de la commission, Alexandre Cloutier, vice-recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi et ex-ministre du Parti québécois, en conférence de presse à Québec, mardi. Selon lui, « le Québec a l’occasion de devenir un des endroits dans le monde où la liberté universitaire est la mieux protégée et où la liberté de circulation des idées sera également la plus reconnue ».

La Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire émet cinq recommandations et cinq avis dans son rapport définitif. La première recommandation est d’adopter une loi sur la liberté universitaire permettant de définir le concept, en plus de « préciser les obligations » auxquelles les gens qui bénéficient de cette liberté sont tenus.

Cette loi devrait aussi définir la mission de l’université qui consiste en « la production et la transmission de connaissances par des activités de recherche, de création, d’enseignement et de services à la collectivité », lit-on dans le rapport. L’autonomie et la liberté universitaire devraient être considérées comme « des conditions essentielles à l’accomplissement » de cette mission.

Le printemps dernier, les travaux de cette commission se sont amorcés dans la foulée des débats concernant entre autres l’utilisation du « mot commençant par la lettre n » dans les salles de cours. À l’automne 2020, la professeure de l’Université d’Ottawa Verushka Lieutenant-Duval avait été suspendue, après qu’une étudiante eut porté plainte contre elle pour avoir cité le mot en expliquant un concept théorique dans son cours d’arts visuels.

Ainsi, la commission Cloutier recommande que chaque université se dote d’une politique sur la liberté universitaire « distincte de toute autre politique de l’établissement », permettant la formation d’un comité sur la question pour régler les litiges. Un rapport annuel devrait être acheminé au ministre afin de rendre compte de la nature et du nombre de litiges traités par le comité.

Permettre la « confrontation d’idées »

Parmi les cinq avis énoncés au sujet de la liberté universitaire, la commission soutient que « les salles de cours ne peuvent pas être considérées comme des “espaces sécuritaires” (safe spaces), en particulier lorsque ce concept est défini par l’existence et l’entretien d’un environnement exempt de toute confrontation d’idées ou de remises en question ».

Les avertissements faits avant la présentation de contenu qui pourrait traumatiser [trigger warning] relèvent de « choix pédagogiques » et ne peuvent donc pas être imposés aux professeurs, lit-on dans le rapport.

Selon le rapport, les universités devraient mettre à jour leurs règles concernant l’utilisation des médias numériques, afin de prévenir et de sanctionner « la cyberintimidation envers des membres de la communauté universitaire ». « Les établissements devraient défendre et protéger la liberté universitaire contre toutes pressions qui viseraient à en limiter l’exercice ou la portée, qu’elles proviennent de l’intérieur ou de l’extérieur » des universités, écrivent les membres de la commission. Ces derniers estiment aussi que la haute direction devrait « faire preuve d’une certaine réserve lorsqu’elle prend la parole au nom de l’établissement sur des enjeux de société faisant toujours l’objet de débats ».

Au moment de la création de la commission en mars, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, avait dit être préoccupée par l’autocensure des enseignants. En septembre dernier, La Presse avait révélé les résultats d’un questionnaire soumis dans le cadre de la commission Cloutier, selon lequel 60 % des professeurs ont dit s’être censurés depuis cinq ans en évitant certains mots. Parmi les répondants, 35 % ont affirmé avoir pratiqué l’autocensure en évitant certains sujets.

En février, François Legault disait en entrevue à La Presse avoir l’intention d’envoyer un « signal fort » pour la liberté de l’enseignement, mais il écartait l’idée d’une loi et privilégiait un énoncé gouvernemental afin d’éviter toute ingérence dans les affaires universitaires.

Or, pour Alexandre Cloutier, « c’est juste normal que le législateur » demande aux universités de respecter un encadrement législatif et que leur autonomie n’est donc pas remise en cause. Les contribuables, « donc les Québécois, sont aussi en droit de s’attendre à ce que le gouvernement, en échange de sa participation au financement des universités du Québec, ait un minimum de droit de regard », a-t-il ajouté.

Un énoncé gouvernemental, c’est une déclaration de principe qui « n’a pas de valeur juridique suffisante, considérant l’importance des concepts qui sont en jeu », a-t-il ajouté.

Une loi est nécessaire pour que les règles soient uniformes dans l’ensemble des établissements et pour « envoyer un message clair aux tribunaux sur l’importance de la liberté universitaire », a plaidé Alexandre Cloutier.

Il est « absolument » urgent, selon lui, de la déposer et de la faire adopter au cours de la dernière session parlementaire avant les élections – entre février et juin. « C’est préoccupant et ce n’est pas marginal comme situation quand on dit que 60 % des profs procèdent à l’autocensure au Québec. C’est du costaud ! », a lancé M. Cloutier.

Par voie de communiqué, la ministre McCann se contente de dire qu’elle reçoit « avec beaucoup d’intérêt les recommandations » de la commission. « Nous allons les analyser et rapidement rendre publiques les intentions de notre gouvernement à cet effet. »

Selon Alexandre Cloutier, on aurait évité la controverse sur l’utilisation du « mot commençant par un n » en classe, dans un contexte pédagogique, si une telle loi avait existé. « Il n’y aurait rien eu d’emblée parce qu’on dit que la liberté universitaire est le droit d’aborder tous les sujets et tous les mots dans une logique de respect de la mission de l’université. Mettons que des étudiants se seraient plaints, ils auraient eu à se tourner vers un comité. Et le comité aurait regardé la loi, et la loi prévoit que tu as le droit de le faire, donc je pense que ce serait mort là. »

— Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse

Recommandations du rapport

Adoption d’une loi par le gouvernement sur la liberté universitaire

Création d’un comité sur la liberté universitaire voué à entendre les litiges entourant cette question

Adoption d’une politique sur la liberté universitaire pour chaque université

Acheminement d’un rapport annuel au ministre qui rend compte de la nature et du nombre de litiges traités par le comité

Production d’un état de situation annuel par le ministre responsable de l’Enseignement supérieur

Quelques réactions

« C’est aller un peu trop loin »

S’il salue les recommandations de définir la liberté universitaire et la mission de l’université, le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, pense que le fait d’instaurer une loi va « un peu trop loin ». « Nous sommes capables à l’université de gérer cela », fait-il valoir, en soulignant que l’Université de Montréal travaille à instaurer un comité voué aux litiges concernant la liberté universitaire.

Des bases plus solides pour la liberté universitaire

Les recommandations du rapport représentent « de grandes avancées » en rendant uniformes dans toutes les universités la définition de la liberté universitaire et les mécanismes pour traiter les litiges sur cette question, selon Christine Gauthier, vice-présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec. Mais il reste tout de même du travail à faire afin que les chargés de cours se sentent à l’aise d’aborder « des sujets complexes en classe », souligne-t-elle.

Pas un « espace sécuritaire »

Tout comme l’indique le rapport, « la salle de cours n’est pas un espace sécuritaire [safe space] pour l’esprit », estime Isabelle Arseneau, professeure agrégée au département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill. « On n’est pas à l’abri de ce qui peut nous choquer ou nous offenser. » La professeure salue toutefois la suggestion de la Commission de créer des espaces où les étudiants peuvent exprimer leurs préoccupations.

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