Journalistes arrêtés en Colombie-Britannique

« C’est très troublant »

Arrêtés vendredi alors qu’ils couvraient une manifestation contre un projet de gazoduc dans le nord de la Colombie-Britannique, les journalistes Amber Bracken et Michael Toledano s’apprêtaient dimanche à passer une troisième nuit derrière les barreaux.

Leur arrestation par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a suscité l’indignation dans le monde des médias canadiens, qui ont réclamé à l’unisson leur libération immédiate.

« J’ai entendu dire qu’Amber va bien physiquement, mais qu’elle est secouée », a affirmé Carol Linnitt, cofondatrice du site d’informations The Narwhal, qui emploie la photojournaliste Amber Bracken. Michael Toledano est un documentariste et reporter indépendant.

« Les détails de l’arrestation ont été assez dramatiques. »

– Carol Linnitt, cofondatrice de The Narwhal, en entrevue avec La Presse

La GRC a appliqué une injonction de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, prononcée en décembre 2019. Celle-ci interdit aux manifestants de bloquer le passage des travailleurs du projet Coastal GasLink, un gazoduc de 670 kilomètres de la société TC Energy qui traverse les terres du peuple Wet’suwet’en.

Versions contradictoires

Dans un communiqué, la GRC indique avoir découvert dans un chemin forestier à proximité de la municipalité de Houston des « obstructions, des barricades, deux structures ressemblant à des bâtiments ainsi qu’un tas de bois en feu directement autour d’un site de forage ».

Selon la GRC, les agents ont demandé aux manifestants de quitter les lieux sous peine d’être arrêtés. Devant leur refus, ils ont passé les menottes aux poignets de onze personnes, dont « deux individus qui se sont identifiés par la suite comme des journalistes indépendants ».

Quatre personnes supplémentaires ont été arrêtées quelques dizaines de kilomètres plus loin.

« Un individu qui s’est identifié comme étant un journaliste n’a pas été arrêté et a été escorté hors de la zone après la fin des opérations. »

– La GRC

Amber Bracken et Michael Toledano ont d’abord été détenus à Smithers. Samedi soir, ils ont été transférés à Prince George, où ils devraient comparaître ce lundi.

Selon Carol Linnitt, l’arrestation des deux journalistes est particulièrement inquiétante. « Nous avons pris toutes les mesures nécessaires […] pour s’assurer qu’Amber soit clairement identifiée », dit-elle. Elle précise que l’équipement de la photojournaliste était étiqueté et qu’elle transportait une lettre qui témoignait de son affectation.

La cofondatrice du Narwhal assure aussi que la GRC a été avisée de la présence d’Amber Bracken, et que le journal a reçu un accusé de réception de la part du corps policier. « Tout le monde a exprimé son choc et sa frustration [au Narwhal], raconte-t-elle.

Libération immédiate réclamée

Le Narwhal demande à ce que les deux journalistes soient immédiatement libérés et qu’aucune accusation ne soit portée contre eux.

Une revendication que partagent l’Association canadienne des journalistes (ACJ) et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), dont la coordonnatrice pour le Canada et les États-Unis, Katherine Jacobsen, s’est dite « alarmée » par les arrestations.

« C’est très troublant », a déclaré le président de l’ACJ, Brent Jolly, en entrevue avec La Presse. « Peut-être que cela serait normal en Chine, ou en Russie, dans des États policiers où les journalistes sont arrêtés et régulièrement détenus », dit-il.

« C’est une triste réalité à laquelle nous faisons face de plus en plus [au Canada]. »

– Brent Jolly, président de l’Association canadienne des journalistes

Il a notamment mentionné les manifestations contre la coupe des arbres de la forêt de Fairy Creek, dans l’île de Vancouver, où la GRC a entravé la liberté de la presse, selon lui.

Appui des grands médias

Brent Jolly enverra lundi matin une lettre signée par plusieurs grands médias du pays, dont La Presse, au ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, pour demander leur libération.

« La GRC doit être tenue responsable de ses violations répétées des droits des médias canadiens, peut-on y lire. En tant que ministre responsable de la surveillance de la GRC, nous vous demandons de prendre des mesures immédiates pour corriger les actions de la GRC et pour garantir qu’à l’avenir, le droit de reportage des journalistes sera protégé dans ce pays. »

Selon Carol Linnitt, la façon dont les autorités traitent le cas d’Amber Bracken et de Michael Toledano créera un précédent pour les journalistes du pays.

« Les journalistes respectent le rôle de la police, mais nous devons également nous assurer que la police respecte le rôle des journalistes », résume Brent Jolly.

– Avec La Presse Canadienne

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