All the Beauty and the Bloodshed

Le portrait d’une artiste fascinante

La photographe Nan Goldin est devenue dépendante au médicament antidouleur OxyContin après une opération en 2017. Depuis, elle combat sans relâche la famille Sackler, accusée d’avoir commercialisé ce médicament sans mettre en garde contre ses effets addictifs et d’avoir alimenté la crise des opioïdes.

C’est à son combat, mais aussi à sa vie et à son œuvre, que s’intéresse la documentariste américaine Laura Poitras dans All the Beauty and the Bloodshed, qui a remporté le Lion d’or de la plus récente Mostra de Venise. Poitras avait remporté l’Oscar du meilleur documentaire en 2015 pour Citizenfour, à propos du lanceur d’alerte Edward Snowden, qui dénonçait l’espionnage numérique, surtout des États-Unis.

Depuis deux décennies, quelque 500 000 morts, seulement aux États-Unis, sont attribuables à la surconsommation d’antidouleurs aux opiacés et à des surdoses de ces médicaments. Nan Goldin a fondé avec d’autres militants l’organisation P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now), consacrée à la prévention des surdoses.

L’artiste mène avec son groupe, formé d’accros aux opiacés et de leurs proches, un combat de David contre le Goliath que représente la famille milliardaire Sackler. Ses manifestations ont lieu dans des endroits très symboliques, c’est-à-dire dans des musées prestigieux (le Metropolitan Museum de New York, la National Gallery de Londres, le Louvre de Paris, etc.) qui sont à la fois financés par cette famille de mécènes et qui présentent des œuvres de Nan Goldin.

All the Beauty and the Bloodshed traite non seulement du militantisme, mais aussi du parcours de Nan Goldin, qui a longtemps photographié ses amis de l’underground queer de Boston, puis du quartier du Bowery, à New York. Travestis, poètes, écrivains, cinéastes, mais aussi quidams, prostituées ou junkies des années 1970 et 1980, à une époque où un diagnostic de sida équivalait à une condamnation à mort.

Le résultat est à la mesure et à la démesure de cette artiste fascinante. Le long métrage de Laura Poitras n’est ni tout à fait un documentaire classique ni une biographie traditionnelle.

C’est un objet hybride, réalisé en collaboration étroite avec Nan Goldin, qui s’y confie sur des pans plus sombres de sa vie privée, notamment sur son travail du sexe et l’impact que le suicide de sa grande sœur a eu sur sa famille dans les années 1960.

Laura Poitras a documenté pas à pas le combat militant de Nan Goldin contre la famille Sackler, contrainte en mars 2021 de payer 4,28 milliards US dans le cadre d’un plan de sortie de faillite de la société pharmaceutique Purdue, qu’elle détenait et qui a commercialisé l’OxyContin.

Nan Goldin et ses alliés n’en sont pas restés là. Ils ont continué à exiger que les musées refusent l’argent de la famille et retirent le nom Sackler de leurs collections et de leurs édifices. Au même moment, la photographe a remarqué qu’elle était surveillée chez elle par un détective privé, et des menaces de poursuites sont arrivées. Autant de matière à nourrir un documentaire qui prend parfois des airs de suspense. Et qui est surtout la somme de l’engagement de deux artistes remarquables.

Documentaire

All the Beauty and the Bloodshed

Laura Poitras

Avec Nan Goldin

1 h 53

En salle

8/10

Lady Chatterley’s Lover 

Un siècle plus tard, ça fonctionne toujours !

La femme d’un aristocrate revenu paralysé de la Première Guerre mondiale tombe amoureuse du garde-chasse de leur grand domaine. Quand les rumeurs commencent à courir, Lady Chatterley doit prendre une décision qui changera sa vie.

Laure de Clermont-Tonnerre s’était fait remarquer avantageusement en 2019 grâce à The Mustang, son premier long métrage. Portant cette fois à l’écran une adaptation du célèbre roman de D. H. Lawrence, écrite par le scénariste américain David McGee (Life of Pi, Mary Poppins Returns), la cinéaste française change complètement d’univers, mais conserve néanmoins cette approche très incarnée, très sensuelle pour filmer les êtres vivants.

Pour donner un signe distinctif à cette histoire déjà mille fois racontée, la réalisatrice mise d’abord sur une approche plus moderne dans la peinture des sentiments, mais aussi, surtout, sur la chimie entre les deux interprètes principaux. Pour que fonctionne ce récit mêlant une liaison adultère à la division des classes sociales dans la société édouardienne, il fallait impérativement un couple de cinéma crédible à l’écran. Sur ce plan, Emma Corrin, surtout connue jusqu’à maintenant grâce à son incarnation de la princesse Diana dans la série The Crown (on peut aussi la voir dans My Policeman), et Jack O’Connell (Seberg) modulent avec grande justesse les tourments intérieurs de leur personnage.

Très soigné dans tous ses aspects, Lady Chatterley’s Lover bénéficie également de la présence de Matthew Duckett, un acteur encore peu connu qui, ici, se glisse dans le rôle ingrat du mari aristocrate handicapé. Ce dernier suggère d’ailleurs lui-même à sa femme de prendre un amant – de son rang, bien sûr – afin de lui donner un héritier. Le fait est que cette histoire, jugée « obscène » lors de sa publication en 1928, fonctionne toujours, près d’un siècle plus tard.

Lancé au festival de Telluride, Lady Chatterley’s Lover (L’amant de Lady Chatterley en version française) est offert en exclusivité sur Netflix.

Drame

Lady Chatterley’s Lover (V. F. : L’amant de Lady Chatterley)

Laure de Clermont-Tonnerre

Avec Emma Corrin, Jack O’Connell, Matthew Duckett

2 h 06

Sur Netflix

7/10

Au nord d’Albany

Beau, mais prévisible

Après avoir quitté précipitamment Montréal avec ses enfants pour aller rejoindre le père de sa fille en Floride, une femme est obligée de s’arrêter quelques jours dans un village des Adirondacks, le temps de faire réparer sa voiture tombée en panne.

Le premier long métrage de Marianne Farley, actrice révélée à titre de cinéaste grâce notamment à Marguerite, cité aux Oscars en 2019 dans la catégorie du meilleur court métrage, est un suspense psychologique. Il est important de le préciser, car, bien qu’il soit parfois sous tension, ce film n’est quand même pas le thriller que laissait présager sa bande-annonce. Les amateurs de sensations fortes ne trouveront pas ici matière à combler leur appétit.

En revanche, l’autrice du scénario d’Au nord d’Albany, écrit avec Claude Brie en s’inspirant d’une expérience qu’elle a elle-même vécue sur la route, a néanmoins fait preuve d’astuce en construisant son récit sur deux axes. Il y a d’abord la relation entre Annie (Céline Bonnier) et ses deux enfants, Sarah (Zeneb Blanchet) et Félix (Eliott Plamondon), exacerbée par ce départ soudain de Montréal vers la Floride à la suite d’un évènement dans lequel l’aînée a été impliquée.

Puis, il y a cette autre relation, d’abord hostile, qui s’installe entre Annie et Paul (Rick Roberts), le garagiste inconnu qui a accepté à contrecœur de remorquer la vieille Volvo, tombée en panne non loin d’un petit village des Adirondacks. Et pour laquelle il faudra des jours avant de recevoir une pièce de remplacement.

Annie et ses enfants se retrouvent ainsi coincés dans une petite bourgade américaine où, au fil des heures et des jours, des liens se nouent entre les Québécois en cavale et l’entourage du garagiste, notamment entre Sarah et Hope (Naomi Cormier), la fille rebelle de Paul, et entre Félix et son hôte.

Céline Bonnier excelle dans le rôle de cette mère dont la décision de fuir fut prise dans un moment de panique, mais le récit, dont le dénouement nous surprend peu, emprunte une avenue un peu trop prévisible. Cela dit, la réalisatrice affiche un beau sens de la mise en scène et les images, signées Benoit Beaulieu, sont magnifiques.

Drame

Au nord d’Albany

Marianne Farley

Avec Céline Bonnier, Zeneb Blanchet, Rick Roberts

1 h 47

En salle

6/10

White Noise

Mi-figue, mi-raisin

White Noise brosse le portrait d’une famille américaine d’aujourd’hui. Tandis que parents et enfants tentent de gérer tant bien que mal les conflits du quotidien, ils explorent aussi les mystères universels de l’amour et de la mort. Et se demandent comment faire pour être heureux dans un monde instable.

Juste avant la pandémie, Noah Baumbach (Frances Ha, Marriage Story) a relu un livre qui avait marqué son adolescence. Ce que le cinéaste a retrouvé dans White Noise (Bruit de fond en français), le roman que Don DeLillo a publié en 1985, était tellement en phase avec notre époque qu’il n’a pu s’empêcher de le porter à l’écran. Le projet était ambitieux, mais le résultat, hélas, est mi-figue, mi-raisin.

Alors qu’il nous avait entraînés dans la dure réalité d’une relation de couple qui s’éteint avec de cruels accents de vérité dans l’excellent Marriage Story, le cinéaste emprunte cette fois une autre avenue en dressant le portrait d’une famille dont la vie sera constamment perturbée par des phénomènes étranges.

Adam Driver, toujours excellent, se glisse cette fois dans la peau de Jack, universitaire spécialisé dans l’histoire du nazisme et d’Adolf Hitler. Face à lui, ou plutôt, en parallèle, un collègue (Don Cheadle) fasciné par la vie d’Elvis Presley. À la maison, la femme de Jack (Greta Gerwig) soigne son mal de vivre avec un médicament que personne ne connaît, et le branle-bas de combat s’élève le jour où un accident de camion provoque un nuage si toxique dans la région que tout ce patelin dans l’Ohio doit être évacué d’urgence. Avec le chaos que cela entraîne.

Il est vrai que les thèmes abordés par Don DeLillo dans son roman, campé dans l’Amérique d’il y a quelques décennies, sont toujours aussi pertinents. Mais après une première partie plus « réaliste », le récit tombe alors quasiment dans le fantastique, sans vraiment y trouver une cohérence. Bien sûr, la qualité des dialogues reste intacte, et les effets d’humour noir sont plutôt réussis, mais l’ensemble, à l’arrivée, ne suscite guère l’enthousiasme.

Film d’ouverture de la Mostra de Venise, pendant laquelle une première version de ce texte a été publiée, White Noise est à l’affiche à Montréal au cinéma Moderne et à la Cinémathèque québécoise en version originale avec sous-titres français. Il sera offert sur Netflix à partir du 30 décembre.

Comédie dramatique

White Noise

Noah Baumbach

Avec Adam Driver, Greta Gerwig, Don Cheadle

2 h 16

En salle et à venir sur Netflix

6/10

Scrooge : A Christmas Carol

Une version édulcorée d’un classique

Nouvelle adaptation animée et musicale de la célèbre œuvre de Charles Dicken. Visité par le fantôme de son ancien partenaire d’affaires et par trois esprits, l’avare Ebenezer Scrooge fait face à son passé et à son présent, et il entrevoit un avenir lugubre s’il poursuit dans la même veine.

Depuis 1843, le roman de Charles Dicken, A Christmas Carol a été adapté tant au théâtre et à l’opéra qu’au cinéma. Cette nouvelle version d’un récit que l’on connaît par cœur ne s’adresse pas aux puristes avec son animation par ordinateur aux couleurs vitaminées et ses numéros de danse entraînants.

Ebenezer Scrooge (voix de Luke Evans) se veut menaçant, mais pas trop, dans ce film d’animation de Netflix destiné à des enfants de 7 ans et plus. Même si l’avare compte ses sous et s’avère sans merci lorsque vient le temps de collecter son dû, son cœur ne semble pas totalement sec. La présence du chien Prudence, que lui a confié son ancien associé Jacob Marley (voix de Jonathan Pryce), ajoute une touche d’humour et détend l’atmosphère.

Les fins connaisseurs reconnaîtront la musique et les chansons du compositeur Leslie Bricusse dans la comédie musicale Scrooge, qui date de 1970 et qui met en vedette Albert Finney. Il s’agit en effet d’un remake de cette production. Leslie Bricusse, mort l’an dernier à l’âge de 90 ans, figure au générique comme coproducteur. Les chansons, peu connues, ne sont pas plus mémorables 50 ans plus tard. Le réalisateur et scénariste Stephen Donnelly tire toutefois profit des possibilités qu’offre l’animation par ordinateur pour soutenir visuellement l’intérêt.

La personnalité glaciale d’Ebenezer Scrooge se transpose dans son environnement, qui se couvre de givre à son approche. Les entrées en scène du fantôme de Jacob Marley et des esprits du passé, du présent et de l’avenir sont impressionnantes. Le fantôme le plus original est celui à qui Olivia Colman prête sa voix. Cette guide dans les méandres du passé, qui prend la forme d’une chandelle de cire, se métamorphose habilement pour emprunter les traits de n’importe qui. Elle force Ebenezer Scrooge à se rappeler qu’il a déjà aimé. Les moments avec son ancienne fiancée Isabel Fezziwig (voix de Jessie Buckley) sont les plus touchants.

Dans cette version édulcorée du classique de Noël, menée à vive allure, la misère des pauvres en Angleterre, au milieu du XIXe siècle, est évoquée de façon superficielle, dans une profusion de couleurs pimpantes. Scrooge n’en ressent pas moins le vif désir de changer. En ce sens, il s’agit d’une introduction plus que convenable à cette inspirante histoire, qui donnera peut-être le goût aux jeunes de découvrir d’autres adaptations.

Film d’animation

Scrooge : A Christmas Carol (V. F. : Un (mé)chant de Noël)

Stephen Donnelly

Voix de Luke Evans, Olivia Colman, Jessie Buckley

1 h 41

Sur Netflix

6/10

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