COVID-19

On a regardé l’avion s’écraser

L’inaction de Québec pendant que les hospitalisations s’empilent est inexplicable

C’est toujours plus facile à dire après coup. Mais parfois, c’est aussi facile à dire avant, et plusieurs l’avaient fait.

Combien de morts a-t-on laissés s’ajouter pour avoir rouvert les écoles en ne faisant pas tout pour couper les jambes au virus ? Combien d’autres s’ajouteront encore parce qu’on a attendu très (trop ?) tard pour remettre le couvercle ?

Le recours au confinement est un aveu d’échec, mais il est nécessaire lorsqu’on a perdu la maîtrise. Parfois, il est mieux de prendre sa perte avant qu’elle ne s’alourdisse. Les décisions peuvent être difficiles sur le plan politique, mais les mathématiques de la pandémie sont implacables.

Chaque fois qu’on rapporte 40, 50 nouveaux cas, un décès s’ajoute un mois plus tard. On l’a constaté cet automne en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et ici, au Québec. Le chiffre exact peut varier – en raison du dépistage ou de la démographie, par exemple –, mais l’ordre de grandeur reste le même, tout comme l’équation de base. Plus de cas = plus de décès.

Depuis le 1er septembre, le Québec recense 110 000 cas en tout, pratiquement le même nombre qu’en Ontario (109 000). En tenant compte de la différence de population, le Québec a environ 40 000 cas « de trop ». Sans surprise, on a aussi 1000 morts en surplus.

Pourquoi ? Si on était au hockey, Benoit Brunet dirait sans doute que la réponse est dans « les petites choses ».

Ce sont les mouvements de personnel en CHLSD qui n’ont jamais cessé, les employés qui ne sont pas obligés de se faire tester (c’est obligatoire en Ontario) – ou qui sont forcés de travailler malgré des symptômes.

Ce sont des écoles rouvertes sans masques ni option d’enseignement à distance afin de réduire les contacts. C’est l’aveuglement volontaire, presque criminel, face à la contribution des aérosols dans la transmission du virus. La COVID-19 ne tue pas dans les écoles, mais si elle y entre, elle finit par en ressortir.

C’est avoir annoncé des célébrations d’Halloween le jour même où le Québec franchissait le cap des 6000 morts – drôle de hasard… –, puis avoir envoyé un signal de relâchement en vue de Noël alors que la contamination se maintenait à des niveaux dangereusement élevés.

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Ce qui nous amène à cette semaine, alors que la plupart d’entre nous ont déjà commencé à enfiler les offres de Ciné-Cadeau en rafale.

Des hôpitaux commencent à déborder pendant que des milliers de soignants sont absents et que des centaines d’autres ont quitté le métier. Puisque la « pause » vient à peine de commencer, on sait que le nombre d’hospitalisations a toutes les chances de grimper jusqu’au début de janvier.

Parmi ceux qui sont aux premières lignes dans les hôpitaux, beaucoup voyaient ça venir depuis un moment. Et ils ne la trouvent pas drôle. Pas seulement parce qu’ils ne pourront pas eux aussi prendre part au cocooning des Fêtes, mais parce qu’ils se demandent s’ils vont passer à travers.

Reçu d’une spécialiste en médecine interne, qui sera au front pendant notre congé : « La période des Fêtes a toujours été LA PIRE pour être malade au Québec. Cette année sera bien pire, car le manque d’infirmières et de préposées est criant, et tout le monde est épuisé. […] On s’en va vers la catastrophe. » Un autre médecin, cité dans le Montreal Gazette, est d’avis que les soignants en première ligne « paient le prix de la stupidité du gouvernement ».

L’inaction de Québec alors que les hospitalisations s’empilent est en effet inexplicable. On a regardé un avion s’écraser au ralenti, pendant des semaines. Et on n’a rien fait.

Mardi, des journalistes ont posé beaucoup de questions sur le genre de sorties qu’on pourra se permettre sur les pentes et les patinoires, mais la réalité demeure que la pandémie est loin d’être terminée.

On n’aura pas fini de vacciner les résidants des CHSLD et le personnel de la santé avant la fin mars. Ça laisse ensuite plus de 130 000 aînés qui demeurent en résidence, et plus d’un million d’autres qui vivent autour de nous, dans leur maison ou leur logement. Autrement dit, la COVID-19 a amplement le temps de faire des ravages si on lui laisse le champ libre comme on l’a fait cet automne.

La Suède

Cette semaine, le roi et le premier ministre suédois ont tour à tour déclaré (dans un cas) et admis (dans l’autre) l’échec de la stratégie suédoise. Ça ne fait aucun doute, le bilan du pays est l’un des pires de l’Occident.

L’injure, c’est que le Québec rapporte à l’heure actuelle 15 % plus de décès en proportion de sa population. Au moins, la Suède peut dire qu’elle a volontairement laissé aller les choses, jusqu’à un certain degré.

Et l’insulte, c’est que notre premier ministre se soit attribué un sans-faute pour sa gestion de la crise.

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