Russie

Des élections qui n’en sont pas

« Ce que je pense des élections ? Je pense que ce n’en est pas. Dans des élections, on choisit soit de voter pour un candidat qu’on aime ou pour éviter le candidat qu’on ne veut pas. Mais là, ce n’est pas possible. Ce n’est pas des élections, c’est juste un vote. »

C’est sur un ton désespéré qu’Alexeï Medvedev, joint par vidéoconférence dans un parc de Saint-Pétersbourg, parle des élections législatives qui débutent ce 17 septembre en Russie et qui se tiendront jusqu’au 19.

Des centaines de candidats d’opposition ont été disqualifiés, emprisonnés ou contraints à l’exil. Sur les bulletins de vote, il ne reste plus que des représentants des partis qui ne font pas trop d’ombre au président russe, Vladimir Poutine.

« Ça fait longtemps que nous n’avons pas d’illusions sur les élections. Déjà, en 1996, sous Boris Eltsine, c’était complètement truqué, mais là, on a atteint le fond du baril », dit le critique de film et coordonnateur de festivals de cinéma.

Depuis 20 ans, je parle de politique et de culture russe avec Alexeï Medvedev. Depuis notre première rencontre dans un festival de cinéma en Iran en 2001 et chaque fois que je retourne en Russie en reportage. Grand voyageur, citoyen du vaste monde du septième art, le Moscovite a toujours abordé le sujet avec un certain détachement. Pas cette fois.

Aujourd’hui, il est tellement dégoûté par la répression politique et les trucs de passe-passe du Kremlin qu’il remet en question son avenir en Russie.

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En principe, lors de ces élections législatives dont les résultats devraient être connus lundi, les Russes doivent choisir les 450 députés au Parlement russe, la Douma. En réalité, le vote n’a qu’un objectif : s’assurer que le parti de Vladimir Poutine, la Russie unie, conserve la majorité absolue, soit les deux tiers des sièges. Le parti pourra ainsi modifier la Constitution comme bon lui semble. Ou, en d’autres termes, selon le bon vouloir du patron du Kremlin.

Pour préparer l’élection présidentielle de 2024, c’est crucial. Pour le moment, Vladimir Poutine affirme qu’il ne sera pas candidat, qu’il laissera sa place après avoir été l’homme fort du pays pendant deux décennies. Mais, comme on dit en russe, seul le diable sait s’il ne changera pas d’idée.

L’an dernier, la Douma sortante lui a d’ailleurs accordé le droit de rester au pouvoir jusqu’en 2036. « Le vote de ce week-end permettra d’élire des députés des mêmes quatre partis qui ont voté pour les amendements constitutionnels qui ont transformé notre système quasi démocratique en système autoritaire pur et simple », tonne Alexeï Medvedev.

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L’enthousiasme n’est donc pas au rendez-vous à la veille de ces élections vidées de leur sens, mais le pouvoir brandit la carotte et le bâton pour faire sortir sa base électorale. On menace de licenciement les fonctionnaires qui n’iront pas aux urnes tout en organisant des loteries pour d’autres électeurs. « Dans beaucoup de pays – on le voit notamment en Asie du Sud-Est et en Amérique latine –, les élections ne permettent pas de choisir les dirigeants, mais elles permettent de leur donner une certaine légitimité », note Guillaume Grégoire-Sauvé, expert de la Russie et chercheur invité au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Or, dit-il, Poutine a plus que jamais besoin de montrer qu’il a le soutien des Russes, qu’il est toujours incontournable, afin que ses alliés au sein de l’élite du pays ne se mettent pas à parier sur des acteurs rivaux.

S’il a déjà été rassembleur, rappelle Guillaume Grégoire-Sauvé, Poutine clive aujourd’hui la population en deux camps. Son parti, Russie unie, n’obtient le soutien que de 27 % de la population, selon les maisons de sondage russes.

On est loin des belles années du début du millénaire où l’économie faisait des bonds de géant et où une classe moyenne russe apparaissait. La Russie d’aujourd’hui est en déclin économique depuis 2013. Les idées conservatrices mises de l’avant par le parti de Poutine ne passent pas du tout auprès de l’électorat des grandes villes. En mettant en ligne des vidéos dénonçant la corruption du président et de son cercle rapproché, Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine, a créé une onde de choc. La répression politique, elle, est flagrante. Ayant survécu à un empoisonnement, M. Navalny est actuellement en prison.

« Le résultat, c’est que 40 % de l’électorat n’est pas du tout représenté dans le système politique. Ça inclut les supporters d’Alexeï Navalny, mais aussi d’autres partis bannis parce qu’un peu trop critiques à l’endroit du Kremlin », dit Alexeï Medvedev, qui fait partie des naufragés politiques.

Sommes-nous de retour à l’ère soviétique du parti unique ? « C’est pire, croit le quinquagénaire. En Union soviétique, le Parti communiste s’attendait à ce que nous nous conformions en surface aux idées politiques de l’État, mais nous pouvions parler à notre guise chez nous. Là, l’État est en mode propagande sans arrêt. Ma fille a 4 ans, elle va à la garderie et on lui impose des défilés militaires et une relecture de l’histoire, dénonce Alexeï Medvedev. C’est triste, mais je pense que c’est le temps de partir, dit-il. Au moins pour un certain temps. »

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