L’approche suédoise, un modèle ? 

La déclaration controversée d’un haut dirigeant de l’OMS crée une vague d’indignation en Suède

« Je pense que si nous voulons revenir à une nouvelle normalité, la Suède constitue un modèle pour le futur. »

Cette petite phrase de l’un des hauts dirigeants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Mike Ryan, la semaine dernière durant une conférence de presse, a créé une vague d’indignation en Suède. Une coalition d’épidémiologistes du pays scandinave critique depuis un mois la décision de laisser commerces, bars et restaurants ouverts durant la pandémie de COVID-19, une approche unique parmi les pays industrialisés.

« On dirait une grande opération de propagande qui présente la Suède comme exceptionnelle », indique Nele Brusselaers, épidémiologiste à l’Institut Karolinska de Stockholm et auteure principale d’une étude publiée à la mi-avril sur le site de prépublications médicales MedRxiv, qui prédisait un potentiel maximum de mortalité due à la COVID-19 de 96 000 dans le pays de 10 millions d’habitants.

« Le nombre de cas augmente plus lentement que prévu, mais on a de plus en plus d’histoires d’horreur chez les jeunes, chez les personnes âgées à qui on ne donne pas d’oxygène, des soins intensifs débordés, des évacuations aériennes, du maquillage de décès dans les maisons de retraite. Et la fin de semaine, tout le monde est en congé et il n’y a pas de morts. »

La Suède a pour le moment un peu moins de 2800 morts, ce qui lui donne un taux de mortalité attribuable à la COVID-19 beaucoup plus élevé que ses voisins scandinaves et l’Allemagne, mais inférieur à la France, à l’Espagne, à l’Italie et au Royaume-Uni.

Les recommandations suédoises se limitent à éviter de se trouver à « moins d’un bras » de distance dans les lieux publics, y compris les discothèques, et que les personnes âgées restent chez elles.

Durant une conférence de presse mercredi dernier, le Dr Ryan, chef des mesures d’urgence à l’OMS, a répondu à plusieurs questions sur la stratégie suédoise. « Je crois qu’on a la perception que la Suède n’a pas mis en place de mesures de contrôle et a simplement laissé la maladie se propager. Rien ne pourrait être plus loin de la vérité. Ce qu’elle a fait différemment est de se fier à la capacité et à la volonté de ses citoyens de s’autoréguler. Il reste à voir si cela va être couronné de succès. » La Suède a eu des épidémies ravageuses dans les maisons de retraite, mais pas davantage que d’autres pays, a souligné le Dr Ryan. « La fin de l’arrêt des activités économiques signifie que nous devrons ajuster notre manière de vivre. Peut-être que la Suède a fait l’expérience de comment on peut y arriver. »

Un fossé sépare les épidémiologistes des universités et ceux du gouvernement suédois, selon la Dre Brusselaers. Ces derniers sont moins présents dans les médias. À la mi-avril, l’ancien chef de la Santé publique suédoise, Johan Giesecke, a déclaré dans une entrevue au site Unherd que la stratégie de fermer les commerces et industries non essentiels « n’est pas basée sur des preuves scientifiques ». Le Dr Giesecke a refusé la demande d’entrevue de La Presse, mais a suggéré une entrevue avec un épidémiologiste de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, David Heymann.

« Je pense qu’on surestime le degré de consensus des épidémiologistes dans les pays qui ont recours au confinement massif, dit le Dr Heymann. La Suède a été très agressive pour limiter les éclosions dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Je ne crois pas qu’elle sous-estime le nombre de décès de la COVID-19 plus que d’autres pays. »

Les courbes de « mortalité excessive » – le nombre de morts par rapport au nombre de morts habituel pour la même période de l’année – ont atteint un pic de 50 % à la mi-avril en Suède, avant de baisser légèrement la semaine suivante. Ce taux, utilisé pour comptabiliser le nombre réel de morts dus à la COVID-19, est similaire à celui d’autres pays beaucoup plus touchés. « Je crois que ça reflète le long congé pascal, et qu’on va recommencer à avoir une augmentation de la mortalité excessive », estime la Dre Brusselaers.

En chiffres

268 par million d’habitants 

Mortalité de la COVID-19 au Québec

265 par million d’habitants

Mortalité de la COVID-19 en Suède

Sources : MSSS, Université Johns Hopkins

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