Montréal-Nord

Déterminés à rebondir

Cette histoire débute par un échec. Celui de Rodner, Ralph et leurs amis qui n’ont pas réussi à être sélectionnés dans l’équipe de basket de leur école secondaire de Montréal-Nord. Mais ne vous arrêtez pas là. Ce récit est tout sauf un – autre – portrait négatif de ce quartier secoué par la mort du jeune Fredy Villanueva tué par un policier 10 ans plus tôt. Bien au contraire.

UN DOSSIER DE CAROLINE TOUZIN ET DE MARTIN TREMBLAY

CHAPITRE 1

« Je n'ai pas le choix de réussir »

Rodner Ajilus ouvre son agenda aux pages consacrées à son horaire de cours. Une photo protégée par une enveloppe de plastique y est insérée.

L’adolescent de 17 ans retire la photo de l’enveloppe avec délicatesse. On y voit une jeune femme souriante et fière qui semble à peine plus vieille que lui.

La jeune femme, c’est sa maman. Il ne l’a pas vue depuis 10 ans. La dernière fois, Rodner avait 7 ans. C’était en Haïti, alors qu’il quittait son pays natal avec son père pour vivre à Montréal.

Sa maman, elle, n’a pas réussi à immigrer. Elle vit aujourd’hui au Brésil.

La photo est l’objet le plus précieux que Rodner possède. Chaque fois qu’il consulte son horaire, il pose son regard un instant sur le visage chaleureux de sa maman.

« Ça me rappelle que je n’ai pas le choix de réussir », raconte le garçon qui a hérité du sourire de sa mère.

Rodner vit avec son père, sa belle-mère et ses deux demi-sœurs de 3 et 4 ans dans le fameux « Bronx », le quartier chaud de Montréal-Nord qui a été le théâtre d’émeutes à la suite de la mort d’un jeune de 18 ans – Fredy Villanueva – tué par un policier il y a 10 ans.

Le père de Rodner est rarement à la maison. Ce chauffeur de taxi indépendant parcourt la métropole à la recherche de clients le jour, le soir, les week-ends. Sa belle-mère, préposée aux bénéficiaires, travaille un week-end sur deux. C’est souvent l’ado de 17 ans qui s’occupe seul des deux fillettes.

Mais il ne se plaint jamais.

« Il faut travailler dur parce que la vie est dure. C’est comme ça. Mon père me le répète tout le temps. »

— Rodner

Dans l’appartement, d’immenses boîtes de carton remplies de sacs de riz, d’huile à cuisson, de lait en poudre et d’autres denrées de base traînent un peu partout en attendant d’être envoyées à de la famille en Haïti.

La moitié de la petite chambre de Rodner est d’ailleurs occupée par des couches achetées en vrac et la poussette dont ses petites sœurs n’ont plus besoin et qui seront aussi envoyées là-bas.

Il n’y a aucune décoration ou presque. Une poignée de médailles remportées dans des épreuves de course à pied sont accrochées à la porte. Un diplôme en papier avec la mention « Élève athlète masculin » de l’année 2017-2018 de l’école secondaire Henri-Bourassa est collé avec du ruban adhésif sur un mur.

***

Henri-Bourassa – surnommée HB et prononcée à l’anglaise par les jeunes – est l’école la plus défavorisée de la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île. Sur l’échelle de la défavorisation, qui compte 10 niveaux, Henri-Bourassa trône au sommet.

Les ados qui la fréquentent sont, pour la plupart, issus de l’extrême pauvreté. « Nos jeunes sont vulnérables, ce n’est pas la clientèle de Jean-Eudes », dit le dynamique directeur d’Henri-Bourassa, Sébastien Tremblay, en faisant référence au collège privé huppé montréalais.

Même si elle déborde, l’école n’a pas le droit de refuser des élèves. Certains arrivent « directement du chemin Roxham » (passage le plus achalandé au pays des migrants en situation irrégulière), explique M. Tremblay. Sur l’heure du dîner, la cafétéria déborde. Il n’y a que 450 places assises pour 2000 élèves. « Il faut être créatif, on n’a pas le choix de les occuper », lance le directeur.

S’accrocher grâce aux Béliers

L’école mise sur le sport pour tenir les élèves occupés. Et plus important encore : pour combattre le décrochage scolaire. « Pour nos jeunes qui ont des difficultés académiques, le sport leur donne un intérêt pour persévérer, affirme le directeur adjoint des quatrième et cinquième secondaires, Wilfed Constant. On les oblige à participer à des périodes d’études dirigées pour qu’ils aient les pieds bien ancrés dans la réalité. Le sport est fédérateur, mais c’est l’école, l’outil de promotion sociale. »

Ainsi, le quart des élèves d’Henri-Bourassa porte les couleurs des Béliers – nom des équipes sportives de l’établissement, toutes disciplines confondues.

Les plateaux sportifs sont ouverts aux élèves dès 7 h 15 alors que les cours commencent à 8 h 30. « On a des jeunes qui sont devant la porte du gymnase avant qu’elle n’ouvre », ajoute M. Constant, lui-même un ancien de « HB » qui est passé par une classe d’accueil à son arrivée d’Haïti, en 1986.

L’histoire se répète à Henri-Bourassa. Rodner a été envoyé dans une classe d’accueil à son arrivée ici.

« Rodner n’a pas un parcours scolaire facile : chaque point obtenu est le résultat d’un travail acharné. Devant les difficultés, il ne baisse jamais les bras. Il est vraiment doté d’une détermination hors du commun. »

— Maryse Maréchal, directrice adjointe en deuxième secondaire

Ce sont des jeunes comme Rodner qui nous motivent à faire notre métier, ajoute une autre enseignante, Malika Bouaboud. « Ils arrivent avec un bagage difficile, et malgré les obstacles qui se dressent devant eux, ils persévèrent et s’investissent entièrement dans ce qu’ils font. Ils nous donnent des leçons de vie », décrit-elle.

Si Rodner s’est accroché – il vient de réussir sa quatrième secondaire au prix de gigantesques efforts –, c’est grâce aux sports. Il est membre des clubs de course et d’athlétisme de l’école, en plus de jouer dans les équipes juvéniles de football et de flag football.

Mais son principal objectif n’est pas encore atteint : il rêve de faire partie de l’équipe juvénile de basketball de l’école. Le calibre en basket est très fort à Henri-Bourassa. Rodner a joué dans la catégorie benjamin (première et deuxième secondaire), mais il n’a pas été sélectionné en troisième secondaire (catégorie cadet). Ni en quatrième secondaire (catégorie juvénile).

Sauf que l’ado de 17 ans, qui entamera sa cinquième secondaire en septembre, n’abandonne jamais. Il n’a pas dit son dernier mot.

CHAPITRE 2

Le basket à tout prix

Nous sommes au début de l’automne dernier. Rodner vient d’apprendre qu’il n’est pas sélectionné dans l’équipe juvénile de basketball de l’école.

L’un de ses amis, Ralph Handley Henry, n’a pas été choisi non plus.

Plutôt que de se laisser abattre, les deux ados décident de constituer leur propre équipe de basket. Leur but : s’améliorer pour réussir à intégrer une équipe élite l’année suivante.

Mais ça leur prend un entraîneur.

Wilmann Édouard, qui est entraîneur de basket à Henri-Bourassa depuis 26 ans, pourrait les aider. Surtout que l’homme dirige aussi la Coopérative multisports plus, un organisme communautaire du quartier qui vise à rendre le sport accessible à tous.

Or, ce père de famille est déjà très occupé. Le quadragénaire partage son temps entre l’école, l’organisme communautaire et la maison, où il a quatre garçons en bas âge. Rodner et Ralph doivent redoubler d’ardeur pour le convaincre du sérieux de leur projet.

Ainsi, chaque jour, durant plusieurs semaines, les deux ados se relaieront pour le texter.

« lls ont été tenaces », se rappelle Wilmann. Grâce à leur insistance, il accepte de leur fournir un entraîneur… à plusieurs conditions.

« J’ai mis la barre haute pour tester leur désir de jouer », décrit l’entraîneur qui a la réputation d’être juste, mais exigeant. Toute l’équipe doit s’entraîner au gymnase trois fois par semaine.

Les joueurs doivent aussi se joindre à l’équipe d’athlétisme pour deux entraînements par semaine. Apprendre à courir plus vite et à sauter plus haut va les aider à progresser dans leur sport favori.

Les ados doivent également s’impliquer dans des activités socioculturelles auprès d’enfants et d’aînés du quartier, question de redonner à la communauté.

Rodner, Ralph et une dizaine d’autres amis acceptent toutes les conditions sans hésiter.

Plus important que la NBA

Wilmann connaît le gars parfait pour les entraîner. Un ancien d’Henri-Bourassa, qui a eu la vie dure, comme eux. Résilient, comme eux.

Un gars qui n’était ni le plus costaud, ni le plus grand, ni le meilleur de son équipe, mais certainement celui qui a travaillé le plus fort pour remporter plusieurs championnats avec les Béliers à son époque.

Un soir d’avril, Wilmann présente finalement aux jeunes leur nouveau « coach » : Yasser Mohammad. Avant de quitter la pièce, il leur dit : « Vous voulez aller plus loin ? C’est Yasser qui va vous mener. Maintenant, écoutez-le. »

Une heure plus tard, lorsque Wilmann revient près du local, il entend : « Je suis déçu, les gars. Je suis vraiment déçu. » Wilmann tend alors l’oreille, un brin inquiet. Il comprend que les jeunes viennent d’énumérer leurs objectifs personnels.

« J’ai entendu vos objectifs, poursuit alors “coach” Yasser. Mais personne ne m’a dit : “Je veux devenir un homme.” C’est ça qui est le plus important, les gars. Bien plus que de jouer dans la NBA. »

Yasser en sait quelque chose. Originaire d’Irak, il est arrivé au Québec en 1997 comme réfugié à l’âge de 11 ans avec sa mère et sa sœur. L’enfant, qui ne parlait pas le français, a appris le basket dans les parcs de Montréal-Nord.

Sa mère, qui était secrétaire médicale, rêvait qu’il devienne médecin. Pour elle, le basket était une perte de temps. Mais pour Yasser, qui en arrachait à l’école, le basket était toute sa vie. Il rêvait à une seule chose : la NBA.

« Au début, j’étais super poche, mais Wilmann a cru en moi. Il voulait faire de nous des hommes. J’ai la même philosophie. »

— « Coach » Yasser Mohammad

Pour Yasser, Wilmann a été plus qu’un entraîneur. Il est le père qu’il n’a jamais eu. Le jeune réfugié est devenu un meneur de jeu (point guard) au terme de milliers d’heures passées au parc Henri-Bourassa, parc voisin de l’école du même nom.

Mais malheureux à la maison et sur les bancs d’école, il s’est mis à avoir de mauvaises fréquentations. Et malgré une bourse pour étudier au cégep Dawson – et intégrer l’équipe de basket –, il a abandonné l’école.

Il s’est ensuite exilé en Allemagne, où il a joué dans une équipe professionnelle le temps d’une saison. À son retour, il s’est retrouvé devant rien.

« J’ai lâché l’école parce que j’ai fréquenté la rue. Je n’écoutais personne. Je ne veux pas ça pour les jeunes que j’entraîne », dit celui qui dirige les entraînements le soir avant de partir travailler de nuit dans une centrale de système d’alarme.

« Je n’ai pas joué dans la NBA. Ma NBA, c’est eux », ajoute le coach de 33 ans en montrant du doigt la douzaine de jeunes qui s’activent dans le vieux gymnase d’Henri-Bourassa tapissé de bannières de championnats remportés par les Béliers au fil des ans, dont celles gagnées par Yasser.

***

Ralph Handley Henry est toujours le premier aux entraînements. Et le dernier parti. L’ado de cinquième secondaire, qui a des allures de Spike Lee avec ses épaisses montures de lunettes, partage avec son ami Rodner le même rêve de jouer dans une équipe de basket professionnelle.

« Quand je joue au basket, j’oublie mes problèmes. »

— Ralph Handley Henry

Ralph a déménagé à contrecœur de Miami à Montréal en 2015. Il y vivait avec son frère cadet et son père, qui n’arrivait pas à se trouver du travail là-bas.

Immigrée deux ans plus tôt à Montréal, sa mère faisait vivre toute la famille avec son salaire de préposée aux bénéficiaires de nuit dans une résidence pour personnes âgées.

Depuis que la famille est réunie, son père a de la difficulté à se trouver du boulot. Il insiste pour que son fils se concentre sur ses études. Il veut le voir réussir là où il a échoué.

Le manque d’argent crée des frictions à la maison. À la date limite pour payer son inscription au bal des finissants, ce printemps, Ralph n’avait toujours pas les 100 $ requis. Sa mère a fini par lui prêter l’argent au prix de sacrifices.

Mais sur un terrain de basket, tout va bien.

CHAPITRE 3

S'entraîner pour réussir sa vie

La gang de Rodner et Ralph s’entraîne après les autres – à 19 h – puisque les équipes élites ont priorité.

Nous sommes un mardi soir de mai dans le vieux gymnase d’Henri-Bourassa. Rodner arrive deux minutes en retard à l’entraînement, car il sort d’un entraînement de football. Il se change en vitesse devant tout le monde. Pas le temps d’aller au vestiaire.

Les gars pratiquent un jeu d’attaque (2 contre 0). L’un d’eux, particulièrement bâti, s’amuse à « dunker » pour impressionner les autres. Les cris fusent lorsqu’il réussit.

Le coach Yasser les ramène à l’ordre : « Au cégep, tu vas avoir ton moment de shine, dit-il au joueur, mais ils vont aussi se rendre compte que tu ne cours pas assez. Let’s go, les gars, je veux voir de l’intensité. »

Durant une heure et demie, l’entraîneur va les inciter à donner le meilleur d’eux-mêmes. Lorsque l’entraînement se termine, les ados sont en sueur.

« On doit toujours faire comme si on était en situation de match. C’est comme ça qu’on apprend », lance Ralph à ses coéquipiers pour les motiver.

Les ados quittent ensuite le gymnase en prenant bien soin de serrer la main de leur entraîneur avant de partir. Ils vont se partager une boîte de biscuits Social Tea achetée au Dollarama avant de rentrer à la maison à pied.

« Coach » Yasser, lui, part au boulot, où il répondra au téléphone aux questions des clients jusqu’au lendemain matin. Il dormira quelques heures, puis sera de retour dans le gymnase.

***

Deux autres soirs par semaine, les joueurs de basket se rejoignent après l’école sur la piste d’athlétisme de l’école secondaire Calixa-Lavallée – où les jeunes d’Henri-Bourassa s’entraînent, faute d’avoir leur propre piste.

Leurs entraîneuses d’athlétisme  – deux jeunes femmes menues d’à peine 20 ans – réussissent à imposer le respect. Pas question de se laisser piler sur les pieds par ces garçons plus grands et plus forts qu’elles. D’ailleurs, les gars doivent les appeler « coach », comme ils le font avec Yasser.

« Au début, ils n’étaient pas habitués de se faire coacher par des filles. On les a laissés nous tester, et ils ont vu les conséquences. »

— Karen Ceneston, entraîneuse d’athlétisme

L’entraîneuse ne s’est pas gênée pour leur faire faire une longue séance de burpees – un exercice intense qui consiste en une série de squats, de pompes et de sauts, réputée faire vomir (d’où le nom anglais burpees) – en guise de leçon.

Aujourd’hui, Ralph s’entraîne au 200 m et au lancer du poids. Rodner, lui, court le 800 m.

« Si tu t’entraînes fort, tu vas peut-être pouvoir me battre », lance « coach » Karen à Rodner, qui vient de terminer son 800 m en 2 minutes 55 secondes. « Moi, je le cours en 2 minutes 26 secondes », ajoute-t-elle en esquissant un sourire.

L’entraîneuse leur rappelle de faire leurs exercices d’assouplissement en voyant Ralph courir avec une position beaucoup trop raide.

« Qui a dit que c’était facile, déjà ? », leur demande la jeune femme.

« Oh, je n’ai jamais dit ça, coach », répond Ralph, à bout de souffle.

***

Depuis que l’école est terminée en juin, les garçons jouent tous les jours sur les courts du quartier. Ils s’entraînent souvent au parc Henri-Bourassa – ce même parc où Fredy Villanueva a été tué par la police. Fredy avait à peu près le même âge qu’eux lorsqu’il est mort. Il fréquentait la même école secondaire.

Dix ans plus tard, rien ne rappelle sa mort tragique, sinon une poignée de petites affiches très sobres collées sur un chantier de construction situé en bordure du parc. On y voit le visage de Fredy accompagné de la mention RIP. Certaines images ont été partiellement arrachées.

Il n’y a ni mémorial, ni œuvre murale, ni croix. Rien de permanent.

Les jeunes comme Rodner et Ralph – qui ont atterri dans le Bronx ces dernières années comme nombre d’autres familles migrantes – ignorent ce qui s’est déroulé le soir du 9 août 2008.

Ils savent seulement que leur quartier traîne une mauvaise réputation.

« À la télé, on parle en mal du quartier, mais moi, j’adore vivre ici. Et je pense qu’on peut changer cette réputation de ghetto. »

— Rodner

De Montréal-Nord à Saint-Jérôme

« Ouais, moi aussi je l’aime, mon quartier », ajoute Ralph, qui devra le quitter à regret à l’automne pour entreprendre une technique en analyses biomédicales au cégep de Saint-Jérôme.

Ralph n’a jamais mis les pieds dans les Laurentides. Il sait vaguement que Saint-Jérôme est situé plus au nord que Laval. Il ne sait pas encore comment il paiera son loyer.

Le jeune homme n’a pas d’autre choix : c’est le seul cégep qui l’a accepté. Ralph éprouve des difficultés en français – puisqu’il a grandi à Miami – qui plombent ses résultats scolaires.

Cet été, Rodner et Ralph ne peuvent pas se la couler douce. Ils doivent gagner de l’argent. Wilmann les a donc embauchés comme animateurs au camp de jour de son organisme communautaire. Les garçons enseignent les rudiments de leur sport préféré aux tout-petits. Ils les amènent aussi à la bibliothèque chaque semaine. C’est une exigence de Wilmann.

Beaucoup de familles du quartier n’ont pas le temps – ou même le goût – de faire la lecture aux enfants. Elles sont en mode survie.

Wilmann, qui a grandi dans le quartier – et qui y réside toujours – le sait très bien. « Au début de ma carrière de coach, j’en ai échappé, des joueurs, parce que je pensais juste à la performance. Ils ont décroché. Certains ont pris un très mauvais chemin, raconte Wilmann. Je n’étais pas un bon coach même si mon équipe gagnait ; j’étais un dictateur. Aujourd’hui, j’essaie de développer des meilleures personnes par le sport. »

***

Le soir, Rodner s’endort souvent en faisant le même rêve. Il ferme les yeux et se voit faire une entrée triomphante sur le court des Raptors de Toronto, où il joue « pro », alors que la foule scande son nom. Sa mère est dans les gradins pour assister à ses débuts dans la NBA. À la fin du match, elle vient le voir et lui dit : « Tu as réussi » avec un regard rempli de fierté.

« C’est grâce à toi, maman, que je n’ai jamais abandonné », lui répond-il. Puis le rêve se termine. Le lendemain matin, Rodner retournera bûcher sur les bancs d’école et à l’entraînement. Objectif : réussir sa vie.

Montréal-Nord en chiffres

Population : 84 234 habitants

Un quartier de plus en plus dense

7623 habitants au km2 (2016)

7589,9 habitants au km2 (2011)

7593,8 habitants au km2 (2006)

30,4 % de la population est âgée de moins de 25 ans

30 % des familles sont monoparentales

Source : recensement de Statistique Canada de 2016 et Montréal en statistiques (août 2017)

Chronologie de l’affaire Villanueva

9 août 2008

Fredy Villanueva, son frère Dany et leurs amis jouent aux dés dans le stationnement d’un parc de Montréal-Nord (ce qui contrevient au règlement municipal) lorsque les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, à bord de leur voiture de patrouille, les aperçoivent.

À 19 h 09 min et 43 s., l’agente Pilotte répond à un appel reçu sur son terminal – une plainte de bruit – qui lui semble plus urgent qu’une infraction consistant à jouer aux dés. Son partenaire débarque de l’auto sans lui dire ce qu’il compte faire. Il interpelle alors Dany Villanueva. Ce dernier s’éloigne du groupe en protestant qu’il n’a rien fait. L’agent Lapointe lui saisit alors le bras. Dany Villanueva résiste.

Le policier demande du renfort sur la radio qu’il porte sur lui, mais oublie de donner sa position. Il s’écoule à peine 46 secondes. Alors qu’il reçoit un coup à l’épaule, le policier décide d’amener Villanueva au sol. L’agente Pilotte, elle, se jette sur les jambes de Dany Villanueva. Les autres jeunes se mettent à avancer vers les policiers. Fredy Villanueva, qui cherche à venir à la rescousse de son frère, crie à l’agent Lapointe de le lâcher et se penche pour agripper le policier à la hauteur du cou. L’agent Lapointe, qui perçoit plutôt le geste de Fredy Villanueva comme une attaque, craint le pire pour sa partenaire et lui. Il décide de faire feu. En mois de deux secondes, il tire quatre coups de feu. Fredy Villanueva, 18 ans, meurt sous les balles du policier Lapointe. Deux autres jeunes – Jeffrey Sagor-Metellus et Denis Meas – sont blessés par balle. Les jeunes n’étaient pas armés.

10 août 2008

Une émeute éclate à Montréal-Nord. Quatre personnes sont blessées, dont une policière atteinte à une jambe par un projectile d’arme à feu. Des voitures sont incendiées. Une soixantaine d’introductions par effraction et de méfaits sont commis.

1er décembre 2008

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales annonce qu’aucune accusation criminelle ne sera déposée contre les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte. Le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Jacques Dupuis, promet une enquête publique du coroner.

26 mai 2009

Faux départ de l’enquête publique : le juge Robert Sansfaçon (remplacé ensuite par le juge André Perreault) cause toute une surprise en ajournant son enquête à cause d’un problème d’équité. En raison de l’absence des principaux témoins, l’exercice ne sera pas crédible, conclut le juge.

26 octobre 2009

Véritable départ de l’enquête publique du coroner avec la présence de tous les témoins.

Février 2011

Au terme de 103 jours d’audiences, l’enquête est paralysée. La Ville de Montréal et la Fraternité des policiers et policières de Montréal s’opposent à ce qu’un débat sur les mécanismes de sécurité des étuis d’armes à feu des policiers se tienne durant l’enquête publique. Elles veulent un huis clos. Toutes deux contestent devant la Cour supérieure une décision du coroner à ce sujet.

Avril 2013

La Cour supérieure rend un jugement lapidaire à l’endroit de la Ville de Montréal et de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, qu’elle accuse de faire de l’obstruction dans l’enquête du coroner.

Juin 2013

Brève reprise de l’enquête du coroner Perreault pour clore le débat sur les mécanismes de sécurité des étuis d’armes à feu. Les audiences auront finalement duré 106 jours.

17 décembre 2013

« Fredy Villanueva ne méritait pas de mourir », conclut le coroner dans son rapport d’une centaine de pages. Sa mémoire ne mérite pas d’être associée à celle d’un voyou qui aurait tenté de désarmer et de tuer le policier Lapointe.

L’agent Lapointe n’est pas pour autant un assassin, précise le coroner. C’est bien lui qui a tiré les quatre balles ayant tué le jeune homme de 18 ans et blessé ses deux amis. Or, les jeunes n’auraient jamais dû s’approcher autant du policier pour contester l’arrestation de Dany Villanueva (son frère), qui refusait de s’identifier à la suite de la partie de dés jouée sur la place publique (ce qui constitue une infraction à un règlement municipal), toujours selon le coroner.

Le grand frère de Fredy a résisté avec force à son arrestation, note le coroner, ce qui a contribué à la peur du policier d’être « désarmé et tué ». La policière, elle, a témoigné qu’elle n’avait jamais craint pour sa vie durant l’intervention.

Aujourd’hui, Jean-Loup Lapointe est toujours policier à Montréal. La Presse a demandé une entrevue avec l’agent Lapointe à son employeur, le SPVM, mais notre demande a été refusée.

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