Haïti, la grande oubliée

C’est l’histoire de Rose*, mère de quatre enfants. Rose est enceinte de cinq mois. En juillet 2022, elle se fait violer et battre devant ses enfants par trois hommes masqués et armés qui se sont introduits chez elle de force, dans le quartier Cité Soleil. Plus tôt dans la journée, le mari de Rose a été tué par des membres du même gang. Avant de quitter les lieux, ces mêmes individus brûlent sa maison.

Ce témoignage n’en est qu’un parmi tant d’autres. Alors qu’une crise multidimensionnelle fait rage en Haïti, les femmes et les filles se retrouvent les principales victimes des violences sexuelles basées sur le genre (VSGB). Le bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) rapportait le mois dernier qu’entre le 8 et le 13 juillet 2022, au moins 57 femmes et filles avaient subi des viols collectifs.

Haïti est l’État le plus pauvre de son hémisphère. Face à une triple crise humanitaire, politique et économique, le contexte n’a fait que se détériorer. Résultat : la capitale de Port-au-Prince est tombée aux mains des gangs, qui se battent pour contrôler le territoire. Selon le BINUH, ce sont près de 1,5 million d’habitants de la grande ville qui vivent dans une zone contrôlée par un gang.

Les femmes sont alors les proies de toutes sortes d’agressions sexuelles. En effet, ces agressions permettent aux membres des gangs de répandre la peur dans le but ultime d’étendre leurs zones d’influences et d’asseoir leur pouvoir.

Le climat d’impunité régnant au pays ne fait que contribuer à l’ampleur des gestes commis à l’égard des civils.

Considérant que les femmes représentent plus de la moitié de la population haïtienne, une telle violence constitue une violation grave de leurs droits fondamentaux.

Quel rôle pour le Canada ?

Le Canada a instauré en 2017 son tout premier Plan d’action national (PAN). À travers celui-ci, le gouvernement libéral s’engageait à « promouvoir et protéger les droits de la personne des femmes et des filles, l’égalité des genres et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles dans les États fragiles et touchés par les conflits. » (Affaires mondiales Canada 2022)

Néanmoins, ces objectifs ont vite fait place au désenchantement. La situation en Haïti s’aggrave de jour en jour – le Canada, lui, ne fait qu’observer.

En octobre 2022, le gouvernement de Port-au-Prince a lancé un appel à l’aide à la communauté internationale. Il demandait notamment l’envoi d’une force spécialisée armée, demande aussitôt relayée par le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres.

Il s’avère malheureusement que cette demande est tombée aux oubliettes, éliminant toute chance d’ériger un corridor humanitaire.

Au contraire, il semblerait que les pays voisins jouent au jeu de la patate chaude, chacun voulant à tout prix éviter la gestion d’une telle crise.

En effet, les États-Unis se sont empressés de désigner le Canada comme étant l’unique leader d’une potentielle intervention militaire. Or, dans l’optique de ne pas répéter les erreurs du passé, le premier ministre Justin Trudeau a récemment cité l’importance d’adopter une nouvelle approche, lançant du même fait la balle aux États des Caraïbes. Il convient ici de noter qu’une intervention militaire étrangère ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté haïtienne. Mais alors, quel futur pour la sécurité de ce pays ?

À ce jour, les mesures d’aide se font rares. Le gouvernement libéral, conjointement avec Washington, a imposé des sanctions économiques aux membres de l’élite complice du système en place. Plus récemment, le premier ministre s’est rendu à Nassau, où il a annoncé un nouveau financement de 10 millions de dollars visant la protection des femmes et des enfants haïtiens le long de la frontière partagée avec la République dominicaine. Il reste encore impossible de déterminer comment ces fonds vont être utilisés sur le terrain.

Les Nations unies adoptaient en 2000 la Résolution 1325, confirmant du même fait l’impact disproportionné des conflits armés sur la sécurité des femmes et des filles. Vingt-trois ans plus tard, le Canada rédige un second PAN dans le cadre du Programme onusien sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Qu’en sera-t-il des femmes et des filles haïtiennes ? Le Canada va-t-il finalement agir au sujet de ses promesses ?

* Prénom fictif

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