Les radicalisés

Vendredi, dans le sud de l’Ontario, le premier ministre Trudeau a été poursuivi par une meute enragée de citoyens radicalisés par la propagande anti-sanitaire d’extrême droite. C’était une scène franchement inquiétante.

Si les manifestants avaient réussi à briser le mince cordon de policiers qui entouraient le PM, Justin Trudeau aurait été tabassé. Ou pire.

C’est ce qui arrive quand les trolls qui se radicalisent sur l’internet se fédèrent dans le réel.

Radicalisés. C’est le mot, je le dis et je le répète depuis des mois, je ne suis pas le seul : quand tu penses qu’on vit dans une dictature sanitaire, quand tu penses que des élus comme Justin Trudeau sont des traîtres qui devraient être pendus, tu es radicalisé.

Hier, par exemple, un manifestant ontarien tenait fièrement une pancarte montrant une image trafiquée de Justin Trudeau sur le point d’être pendu. Ce fut un autre évènement de campagne où l’ombre de la violence a plané, pour le PM.

La radicalisation, ce n’est pas uniquement le fait de musulmans. L’extrême droite radicalise, elle aussi. Voir ce qui s’est passé au Capitole de Washington, le 6 janvier.

Les radicalisés anti-sanitaires québécois comme ceux du sud de l’Ontario ont la même fixation sur les images de pendaison… Et comme les Américains du 6 janvier, qui voulaient carrément pendre le vice-président Mike Pence.

Demandez aux élus québécois et canadiens de tous les partis qui se conforment aux mesures sanitaires s’ils ont reçu, depuis un an, des images de nœud coulant… La réponse sera oui : c’est devenu la norme.

Le Bloc, le Parti conservateur et le NPD ont évidemment condamné la meute qui a traqué Justin Trudeau, vendredi. C’est la chose sensée à faire, sans réserve.

Maxime Bernier, s’enfonçant toujours plus profondément dans la fange que cultive son Parti populaire, n’a pas condamné ces scènes dégueulasses : il a plutôt traité Justin Trudeau de dictateur fasciste et il a planté le Parti conservateur qui a condamné les manifestants…

(Question pour Gilles Bernier, ex-député de Beauce, qui a honorablement servi le Canada sous Brian Mulroney : êtes-vous fier de votre fils ? Question complémentaire : lisez-vous son fil Twitter ?)

Et sinon, il y a les vedettes de CHOI Radio X qui continuent de jouer avec des allumettes sur un baril d’essence : le compte Twitter de l’émission Maurais Live a commenté ainsi (le tweet a été supprimé) les images d’une foule traquant un politicien en l’invectivant violemment :

« L’ado vient de sortir de sa chambre, avec ses posters de Fidel et sa mappemonde de la Chine, est sorti de sa bulle de conseiller Woke 2 secondes et il a soudainement… vu LA RÉALITÉ ! C’est ça qu’on pense de toi, PARTOUT au PAYS ! »

(Question pour MM. Pierre R. Brosseau, Raynald Brière, Robert Ranger et Fernand Bélisle, qui composent le conseil d’administration de Radio-Nord, propriétaire de CHOI Radio X : c’est payant, la propagande qui radicalise les coucous ?)

Ces actes d’intimidation – et leur banalisation – sont particulièrement troublants dans une élection. Une élection, c’est le moment de choisir qui va nous diriger.

Ceux qui ne sont pas contents de Trudeau peuvent consacrer leurs énergies à faire élire un autre parti. Mais les radicalisés préfèrent se comporter comme des tontons macoutes.

Ces gens-là – ceux qui fantasment sur la pendaison d’élus d’une démocratie, ceux qui en traquent un autre en hurlant avec leurs enfants dans les bras, ceux qui les encouragent avec leurs micros, ils ne sont pas le peuple… Le peuple est très largement en faveur de la vaccination et de la prudence sanitaire : 75 % des Québécois sont vaccinés.

Ils sont la foule, ils sont la meute, quand ce n’est pas carrément La Meute, ce regroupement xénophobe qui traquait du migrant il y a quelques années. Scrutez les réseaux sociaux des radicalisés anti-sanitaires et vous allez découvrir beaucoup d’ex-radicalisés Meutons. En ondes, hier encore, les stars de Radio X croquaient de l’étrange…

Désolé, mais la foule et le peuple, c’est pas la même chose.

Quand on regarde les images de vendredi dernier du PM traqué par une foule, on peut penser que ce sont des coucous déplaisants dont le seul talent est la nuisance. Et bien sûr, pour la majorité de ces gens-là, c’est sans doute le cas : ils vont hurler avec les loups, sans plus.

Mais on aurait tort de sous-estimer le potentiel de violence de certains radicalisés.

Prenez Dany Roy, de Gatineau, un de ces coucous radicalisés qui a fait des menaces sur les réseaux sociaux, promettant de s’attaquer à François Legault et à Christian Dubé. La police l’a arrêté il y a quelques jours au terme d’une poursuite automobile. Et on a découvert chez lui de nombreuses armes à feu.

Il faut vivre dans un monde de licornes pour penser que dans les foules de coucous, il n’y a pas un terroriste – c’est le nom des gens qui tuent au nom d’une idéologie, la négation sanitaire étant l’idéologie de ces radicalisés – qui va passer à l’acte.

Ça fait longtemps que je le redoute, personnellement1. Michael Wernick, qui fut le plus haut fonctionnaire au pays, a émis en 2019 les mêmes craintes2, au vu des discours de plus en plus violents, à droite de la droite.

Là-dessus, un mot sur la police…

Ce qu’on a vu dans le sud de l’Ontario, vendredi, c’est un job de police de seconde zone. Quand on sait la violence du fond de l’air, il est surréaliste de penser que la foule ait pu s’approcher ainsi du premier ministre. Ce serait aussi surréaliste pour n’importe quel chef de parti.

Plus près de nous, question plate : est-ce que la Sûreté du Québec a appris quoi que ce soit du 4 septembre 2012, quand elle a permis qu’un terroriste tue une personne dans sa tentative d’assassinat de Pauline Marois ?

Il est permis de se le demander quand on voit comment, il y a quelques jours, un coucou radicalisé a pu entrer sans problème dans une conférence de presse du ministre de la Santé, Christian Dubé3. Cet homme-là n’aurait jamais dû entrer dans l’édifice, quand on sait à quel point les négationnistes sanitaires sont engagés ces jours-ci dans une dérape qui a plus à voir avec une psychose qu’avec la politique.

Ce radicalisé s’est approché de M. Dubé avec des slogans.

Un jour, un autre citoyen radicalisé s’approchera d’un élu avec autre chose que des slogans.

Ce serait bien que la SQ soit plus proactive qu’elle ne le fut le 4 septembre 2012.

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