Le privilège progressiste et l’immigration

Les années se suivent et se ressemblent : tous les hivers on parle de la crise du logement qui pointe son nez. On met en cause la hausse des prix des matériaux, la lenteur de la construction des logements sociaux ou encore les propriétaires qui augmentent indûment le prix de leurs loyers.

La crise du logement étant un enjeu hautement complexe, il ne fait aucun doute que tous ces facteurs enveniment cette crise. On se doit toutefois de remarquer qu’un facteur en particulier est toujours, ou presque, gardé sous silence. C’est celui de nos seuils d’immigration trop élevés.

Jean-François Perreault, le vice-président et économiste en chef de la Banque Scotia, l’expliquait récemment devant le Comité des finances à Ottawa : « Depuis 2015, nous avons vu une augmentation énorme de l’immigration qui a amplifié la pression sur le marché immobilier. »

Ce sont même les immigrants eux-mêmes qui font les frais de cette pression, car en arrivant ici, leur premier réflexe est évidemment de se chercher un logement, mais bien souvent avec peu de succès.

Nous sommes donc dans une situation paradoxale où les propositions de hausse de l’immigration, c’est-à-dire des politiques qu’on qualifie habituellement de « pro-immigration », nuisent en réalité à la qualité de vie des immigrants.

Les gouvernements du Québec et du Canada semblent faire peu de cas de cette réalité, alors que Québec hausse son seuil à 70 000 immigrants en 2022 et que le Canada de Justin Trudeau garde le cap sur son objectif de 400 000 immigrants par année.

Ces seuils d’immigration ont été annoncés sans réelle résistance par d’autres politiciens ou par les journalistes. À l’inverse, une baisse déclenche invariablement une cacophonie médiatique où tous partagent leur réflexion sur la question. Souvenons-nous du tollé, il y a quelques années, alors que François Legault avait modestement proposé de baisser les seuils durant deux ans pour ensuite les remonter.

Imperméabilité progressiste

Comment expliquer notre complaisance à l’égard des propositions de hausse de l’immigration, alors que celles-ci exacerbent la crise du logement ? C’est qu’il y a une forme de privilège progressiste qui fait bénéficier à ses tenants un certain passe-droit dans les domaines politique, journalistique et intellectuel.

Nous accordons une valeur morale univoquement positive à la hausse des seuils d’immigration, ce qui nous empêche de la remettre en question.

La posture morale, celle que l’on associe généralement à « l’ouverture à l’autre », semble suffire pour justifier des propositions qui posent pourtant de réels problèmes.

De l’autre côté, lorsqu’une baisse est sur la table, on présuppose que de mauvais sentiments l’animent et qu’on se doit en ce sens de pousser ses défenseurs à les avouer. On talonnera dans les points de presse celui qui défend une telle politique. On n’hésitera pas non plus à montrer l’épouvantail de la pénurie de main-d’œuvre sans pour autant dire que l’augmentation de l’immigration ne pallie qu’en partie la pénurie, car elle nécessite à son tour davantage de services comme des soins hospitaliers, des écoles, des enseignants, etc.

On peut comprendre ce traitement inégal par la crainte de certains médias ou de certaines personnalités politiques de voir un tel débat susciter des commentaires xénophobes. De telles craintes en disent beaucoup sur l’incapacité de certains à distinguer l’immigration en tant qu’enjeu social et les immigrants en tant qu’individus.

Un privilège à révoquer

Comprenons bien qu’il ne s’agit pas de critiquer le fait que l’on questionne longuement le premier ministre du Québec lorsqu’il évoque des baisses d’immigration. Toutes nos politiques doivent se justifier sur les plans logique et factuel, c’est tout à fait sain pour notre démocratie.

Le problème est plutôt notre indolence envers les propositions de hausse de l’immigration. Il est plus que temps de mettre fin à ce privilège progressiste. Chaque proposition, aussi vertueuse peut-elle paraître, se doit d’être remise en question.

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