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La liberté universitaire et les petites nations

Comme professeur de science politique, le débat autour de la liberté universitaire s’est invité dans plusieurs de mes conversations ces derniers temps. C’est devenu une thématique incontournable ; un marqueur de notre époque, pourrait-on dire. Bien sûr, ce n’est pas la première ni la dernière fois que la nature comme la portée de la liberté académique font l’objet de remises en question.

Mais il y a quelque chose qui m’impressionne avec la manière dont on traite actuellement le sujet au Québec. Comme on l’a fait pour une foule d’autres enjeux politiques délicats des dernières décennies, qui tourmentent le Québec mais aussi le monde occidental plus largement, on refuse de demeurer un simple témoin de ce qui se passe devant nous. On ne veut pas non plus être « dans la moyenne ». On veut agir et donner l’exemple au monde entier.

Beaucoup voient dans ce réflexe une forme de chauvinisme malsain. Pour ma part, je suis d’avis que cela découle au moins en partie du fait que le Québec est une « petite nation » en quête de capital moral. J’y reviens.

Le rapport Cloutier

D’emblée, j’aimerais souligner la qualité des réflexions rassemblées dans le rapport de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire. Piloté par Alexandre Cloutier, le rapport de 71 pages est à la fois pédagogique et accessible.

Les données de sondages originales et de rencontres avec une multitude d’experts ont permis aux commissaires d’illustrer l’ampleur de nombreux phénomènes que beaucoup cherchaient encore récemment à minimiser, ou encore à amplifier, en fonction de ce qu’on considère comme la finalité souhaitée de la mission de l’université.

Lisez le rapport de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire (chapitre 3)

Évidemment, tous ne vont pas se satisfaire des recommandations et des avis faits par la Commission.

Je demeure à ce jour sceptique de la nécessité pour les parlementaires québécois de légiférer sur la liberté académique. Il me semble qu’on ouvre ici la porte à la judiciarisation d’un phénomène proprement politique, en plus de contraindre l’autonomie des universités.

Il me semble aussi qu’à la lumière des pratiques établies de vivre-ensemble au Québec, le débat public soit préférable aux recours judiciaires.

Même s’il est de nature plus symbolique, et qu’il n’a donc pas de mordant juridique, un énoncé de principe m’apparaissait comme la voie à suivre. Bref, l’absence de loi ne nous engagerait pas nécessairement à « nager dans la confusion », pour reprendre la formule de M. Cloutier. Mais alors qu’on traite effectivement cet enjeu de manière très disparate d’un établissement à l’autre, si le législateur québécois accepte les recommandations tout en faisant preuve de prudence, je conviens qu’on peut éviter les dérapages de part et d’autre.

La question des petites nations

Le débat autour de la liberté universitaire n’est évidemment pas propre au Québec. À tout le moins, il s’est imposé dans toutes les démocraties libérales contemporaines.

Or, l’une des choses qui m’ont fortement marqué lors de la conférence de presse, où les commissaires ont présenté leur rapport, c’est qu’on érige le Québec en phare de l’humanité, capable d’éclairer et d’apporter ses lumières aux quatre coins du globe.

En réponse à un journaliste, Alexandre Cloutier a affirmé que, si le Québec adoptait les recommandations de la Commission, il deviendrait ni plus ni moins « le modèle pour le monde ».

Chauvine, la réplique de M. Cloutier ?

J’interprète plutôt cela comme un symptôme, qui nous rappelle que le Québec fait partie de cette famille des « petites nations ». Comme les sociologues Joseph Yvon Thériault et Jean-François Laniel le rappellent dans leurs travaux, les petites nations ne sont pas reconnaissables du fait d’une maigre population, de l’absence d’institutions étatiques, d’un territoire atypique ou encore d’un faible PIB.

Cela renvoie plutôt à un état d’esprit, à une manière de se représenter collectivement face au cours de l’Histoire. Sociétés « non hégémoniques », les petites nations comme le Québec ressentent typiquement une certaine fragilité, craignant de disparaître dans une relative indifférence globale.

Lisez les travaux des sociologues Joseph Yvon Thériault et Jean-François Laniel

Le philosophe Uriel Abulof a montré que devant cette crainte existentielle, en contrepartie, les petites nations avaient tendance à vouloir amplifier leur contribution morale à l’humanité. Cela devient une manière pour elles de légitimer leur existence aux yeux des « grands » qui les entourent.

Lisez les travaux du philosophe Uriel Abulof (en anglais)

Au Québec, la quête de nombreuses personnes à vouloir faire de la Belle Province un modèle pour la lutte contre les changements climatiques me semble découler de ce réflexe intériorisé par les petites nations. Même chose lorsque Pierre Godin associait la défense de notre langue française à la défense de toutes les langues minoritaires du monde contre l’hégémonie d’une seule.

Alors qu’on sait très bien que les débats autour de la liberté universitaire font rage aux États-Unis et au Canada anglais, comme au Royaume-Uni ou en France, cette volonté de faire du Québec un modèle de la liberté académique m’apparaît participer de ce réflexe.

Tant que cette démarche conduit à des propositions équilibrées et porteuses pour faire progresser les débats et les réflexions, il est tout à fait sain de célébrer ces idées de grandeur qui donnent la réplique à ce sentiment de fragilité relative.

Plutôt que d’y déceler une forme d’arrogance, je me réjouis, au contraire, de cette tension créatrice. Elle témoigne de la résilience et du potentiel d’innovation qui découlent de cette quête d’émancipation, afin de justifier moralement son existence au monde entier.

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