Aide médicale à mourir et maladie mentale

Qui parle au nom de qui ?

Je suis tellement fatiguée. Je ne savais pas si j’allais avoir la force d’écrire un nouveau texte sur ce sujet. Mais, après avoir lu le texte⁠1 sur la position de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) en faveur de l’aide médicale à mourir (AMM) pour la maladie mentale, j’ai décidé que je n’avais pas le choix. La FMSQ justifie sa position en plaidant que ce serait « discriminatoire » d’exclure de l’AMM les personnes vivant avec une maladie mentale.

Je suis fatiguée de me battre contre ces discours pro-AMM, soi-disant bienveillants, de ces experts en santé mentale, médecins, psychiatres, psychologues et chercheurs et chercheuses. Ils clament haut et fort qu’ils ont à cœur notre bien-être tout en voulant nous offrir la mort alors qu’ils savent qu’il existe des traitements efficaces pour traiter nos maladies. Je suis fatiguée de me faire dire qu’il faut vite, vite, vite aller de l’avant et nous inclure dans l’AMM afin que nous ne soyons pas « discriminés ».

Ils sont où, ces spécialistes, quand vient le temps de s’attaquer à la discrimination à laquelle on fait face tous les jours de notre vie ?

Ils sont où lorsque les assureurs, les employeurs, les propriétaires de logements ne veulent pas de nous ? Je ne sais pas. Ils sont étonnamment très loquaces, par contre, quand vient le temps de dénoncer notre « discrimination » face à la mort.

J’ai témoigné devant la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie (au provincial) et devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (au fédéral) en tant que psychologue, chercheuse et personne vivant avec une maladie mentale grave depuis plus de 20 ans. La Commission spéciale a expressément exclu la maladie mentale comme seul motif de l’AMM et le gouvernement québécois a décidé de suivre cette recommandation. Par contre, le Comité fédéral veut élargir l’AMM pour la maladie mentale. De ce que j’ai vu et vécu, les membres du comité sont très à l’écoute des experts en faveur de cette voie. Cela m’inquiète beaucoup, considérant que le provincial risque de devoir suivre la décision du fédéral éventuellement.

Aide médicale à mourir ou traitements ?

Je suis fatiguée d’entendre des experts se prononcer sur cette question, parler en notre nom. Où sont les voix des personnes vivant avec une maladie mentale ? Leur a-t-on demandé ce qu’elles veulent ? Entre l’AMM et l’accès rapide aux traitements efficaces, quelle option choisiraient-elles ? Entre l’AMM et l’accès à un emploi décent, un logement adéquat, des assurances, qu’est-ce qu’elles demanderaient ? Certains experts diront qu’on peut à la fois travailler sur ces déterminants sociaux tout en nous offrant de l’aide médicale à mourir. Ce à quoi je réponds : sérieusement ? Cela fait plusieurs années qu’on fait des coupes dans les programmes et services en santé mentale, qu’on ne finance pas adéquatement les organismes en santé mentale, que la stigmatisation perdure.

Présentement, je connais plusieurs personnes qui auraient vraiment besoin de recevoir un suivi en psychiatrie, mais qui n’ont même pas accès à un médecin de famille ! Et elles en souffrent, beaucoup.

Qu’est-ce qui nous dit que les choses vont changer, que le gouvernement investira plus d’argent pour des ressources spécialisées, pour les services en santé mentale nécessaires – de la promotion, la prévention, l’intervention au rétablissement – une fois que l’AMM sera offerte ?

Je ne prétends pas parler au nom de toutes les personnes vivant avec une maladie mentale au Québec. Par contre, mon expérience⁠2 ressemble à celle de tant d’autres au Québec. Je demande qu’on soit très prudents, car il est ici question de décisions concernant notre vie et notre mort. Prenons le temps qu’il faut pour écouter les personnes vivant avec une maladie mentale. Que veulent-elles ? De quoi ont-elles besoin pour aller mieux ?

Je ne suis pas naïve, je ne prétendrai pas que la vie sera belle et sans souffrance si on met en place les conditions gagnantes pour aider les personnes vivant avec une maladie mentale. Je vais être honnête avec vous : j’ai de bonnes journées et des journées plus souffrantes, et d’autres, très souffrantes. Mais j’ai l’espoir que cette souffrance va diminuer pour laisser la place à de bonnes journées. Savez-vous pourquoi ? Parce que les hauts et les (très) bas font partie du rétablissement. Je suis chanceuse, car j’ai une psychiatre, une médecin de famille, une psychologue et un groupe de soutien. C’est tous ces éléments qui m’aident et me donnent espoir et l’envie de vouloir vivre. J’aimerais qu’on donne la même chance que j’ai aux autres personnes qui ont une maladie mentale. Avant de nous ouvrir la porte à une mort précipitée, aidez-nous à vivre notre vie à son plein potentiel. C’est ce que je déplore du point de vue des experts qui s’arrachent la chemise pour faire valoir notre droit de mourir plutôt que notre droit à la vie⁠3. Comme on dit en anglais : do better. Faites mieux.

1. Lisez l’article d’Ariane Lacoursière

2. Visionnez la présentation de Georgia Vrakas au Congrès national en prévention du suicide

3. Le droit à la vie est protégé par la Charte des droits et des libertés de la personne (article 1).

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