L’anomalie des infirmières à deux vitesses

Pas besoin d’un microscope pour observer l’étrange anomalie dans la formation des infirmières.

Au Québec, deux chemins bien différents mènent à cette profession : le DEC et le bac. Pourtant, ils débouchent exactement sur le même permis de pratique, malgré le fait que les finissantes du cégep ont moins un bagage moindre que celles de l’université.

Trouvez l’erreur !

Cela fait plus de 20 ans qu’on dénonce la situation. Les autres provinces ont toutes rehaussé leurs exigences depuis belle lurette, tout comme les pays de l’Union européenne où le baccalauréat est devenu la norme.

Il n’y a qu’au Québec qu’on garde un système à deux vitesses, avec les risques que cela comporte pour le public.

Des états généraux ont étudié la question sous toutes ses coutures au printemps 2021. Cent mémoires, 500 commentaires et un jury citoyen plus loin, la conclusion des commissaires est sans appel : toutes les infirmières devraient passer par l’université.

C’est ce que réclame l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec dans un mémoire déposé à cet effet auprès de l’Office des professions.

Pensons-y, la situation actuelle n’a pas de sens…

Peu importe leur diplôme, les finissantes passent le même examen pour obtenir leur permis. Pour ne pas désavantager celles qui sortent du cégep, on applique la loi du plus petit dénominateur commun, ce qui fait en sorte que les notions plus poussées apprises à l’université ne sont jamais validées par l’Ordre.

Et peu importe leur diplôme, toutes les infirmières ont le droit de pratiquer les mêmes actes réservés. Les établissements de soins doivent donc combler les trous dans la formation de celles qui ont seulement un DEC. Mais comme ils sont au bout du rouleau, plusieurs ont éliminé le mentorat pour les recrues.

En conséquence, des infirmières novices se retrouvent parfois désemparées dans des situations critiques, sans formation suffisante et sans aide de leurs pairs, comme l’a d’ailleurs souligné le rapport du coroner sur le décès de Joyce Echaquan. Juste avant de passer en salle de réanimation, celle-ci avait été laissée aux soins d’une infirmière qui n’avait que quatre mois d’expérience et qui n’a obtenu aucun soutien de l’infirmière-chef, malgré son appel à l’aide.

La santé des patients est en jeu. Il faut passer à l’action. Il faut surmonter les préoccupations qui ont bloqué jusqu’ici le rehaussement de la formation d’infirmière. Passons-les en revue…

Premièrement, certains craignent qu’en exigeant un diplôme universitaire, on n’accentue la pénurie d’infirmières.

Mais la pénurie n’est pas tant due à un manque d’infirmières – on en dénombre 734 par 100 000 habitants au Québec, contre 688 au Canada – qu’à une mauvaise organisation de leur travail.

Les infirmières n’occupent que la moitié de leur champ d’activités. Elles font des tâches administratives et procédurales qui pourraient être accomplies par d’autres et elles laissent de côté des actes plus complexes qui sont pourtant au cœur de leur profession.

Le Québec n’a pas le luxe de se priver du plein potentiel des infirmières. Une meilleure formation doit donc faire partie intégrante du plan du ministre de la Santé Christian Dubé pour remettre le réseau sur pied.

Deuxièmement, certains redoutent que l’exigence d’un baccalauréat ne nuise à la formation régionale qui se déploie présentement dans 48 cégeps et collèges privés à la grandeur de la province.

Mais les cégeps continueraient d’être mis à contribution, puisqu’on conserverait un parcours DEC-bac en parallèle avec le baccalauréat pur et simple.

Et puis, avec leurs antennes régionales, les universités sont présentes dans presque toutes les régions du Québec.

Troisièmement, certains ont peur que le coût de la formation universitaire d’environ 4000 $ par année rebute les étudiantes qui ont actuellement accès à une formation collégiale gratuite.

Sauf qu’il ne faut pas oublier que Québec a lancé en décembre un programme de bourses pour les travailleurs essentiels, dont les infirmières, qui offre 15 000 $ sur trois ans, en plus des prêts et bourses habituels.

Ainsi, on aurait tort de craindre que l’exigence du baccalauréat ne fasse chuter le nombre de diplômés. Quand l’Alberta et l’Ontario ont fait ce choix, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit avec une hausse de 45 % et 60 % respectivement.

En revalorisant la profession, on pourrait donc attirer davantage de candidates. Et mieux les outiller pour les tâches plus complexes du futur, comme les soins à domicile qui ne sont pas enseignés au cégep.

En passant à la vitesse supérieure, les infirmières regagneraient tout le leadership qu’elles méritent au sein du réseau de la santé.

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