Une campagne inédite

Malgré les critiques, Justin Trudeau lance  des élections fédérales en pleine pandémie

Ce qui devait arriver arriva. Le secret le moins bien gardé au pays a éclaté au grand jour dimanche, à Ottawa : le pays sera plongé en campagne électorale pandémique jusqu’au 20 septembre, une première au fédéral. En dépit de la quatrième vague et du variant Delta qui gagne du terrain, Justin Trudeau dit vouloir laisser les Canadiens se prononcer sur la suite, « pour en finir avec la pandémie ».

Le chef libéral est arrivé à Rideau Hall peu après 10 h, avec un peu de retard sur son itinéraire, pour demander officiellement à la gouverneure générale du Canada, Mary Simon, de dissoudre le Parlement. Leur rencontre a duré plus d’une trentaine de minutes, au grand dam des partis de l’opposition, qui n’attendaient que le coup de départ pour réagir.

« La gouverneure générale a accepté ma demande de dissoudre le Parlement. Les Canadiens iront donc aux urnes le 20 septembre », a finalement confirmé M. Trudeau lors d’une allocution à sa sortie de cette rencontre, en fin de matinée.

Il a du même souffle soutenu que son parti « a été là » pour les Canadiens et que « maintenant, c’est à vous de vous exprimer ». « Je vous demande d’appuyer un gouvernement progressiste et ambitieux » prônant « un système de santé fort, le logement abordable et un environnement protégé », a-t-il ajouté.

Mais une fois venu le temps de répondre aux journalistes, M. Trudeau s’est fait beaucoup plus évasif. Il a notamment refusé à plusieurs reprises de dire s’il comptait démissionner dans l’éventualité où il ne parvenait pas à former une majorité au Parlement. « Les Canadiens vont se prononcer. Moi, ma job et mon engagement envers eux, c’est de continuer d’être là, aussi longtemps que ça prendra, avec tout ce que ça prendra », a-t-il simplement soulevé, ajoutant que « [les] institutions sont assez robustes pour fonctionner même dans un moment difficile ».

« On vit un moment historique, et vous avez votre mot à dire. […] C’est important que les Canadiens puissent se faire entendre sur comment on va en finir avec cette pandémie et comment on va rebâtir en mieux. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Critiqué de tous les côtés par les oppositions – qui ont jugé à l’unisson qu’un déclenchement d’élections était « irresponsable », « risqué » et même « égoïste » –, le premier ministre s’est défendu en invitant ses rivaux à expliquer « pourquoi les Canadiens ne devraient pas avoir de choix » pour la suite. « En tant que gouvernement, on a choisi de s’assurer que les fonctionnaires fédéraux et toutes les personnes qui prennent un train ou un avion soient vaccinés. Ce n’est pas tout le monde qui est d’accord. Et ce ne sont pas tous les partis qui sont d’accord. Alors, les Canadiens devraient pouvoir exprimer leur point de vue », a-t-il entre autres soulevé.

D’une position à l’autre

En déclenchant une campagne fédérale en pleine quatrième vague, le premier ministre Trudeau rompt déjà en quelque sorte avec ses propos récents, lui qui avait répété à maintes reprises au printemps dernier qu’aucun Canadien « ne veut d’élections avant la fin de la pandémie » de COVID-19, laissant alors entendre que son gouvernement irait dans le même sens.

Mais quelques mois plus tard, cette même pandémie justifie justement le déclenchement d’élections, selon Justin Trudeau, qui y voit maintenant l’opportunité d’un certain renouveau. « Que ce soit pour continuer nos efforts de vaccination ou pour le soutien offert aux gens jusqu’à la fin de cette crise, tous les Canadiens doivent choisir comment on va terminer notre lutte contre la COVID-19 », a-t-il insisté.

En anglais, le chef libéral a ajouté qu’il n’accepte « certainement pas qu’un politicien dise que vous ne devriez pas avoir le choix sur la façon de le faire ou sur ce qui vient ensuite ». Au contraire, a-t-il poursuivi, « c’est le moment d’être encore plus ambitieux pour créer du logement. De travailler encore plus fort sur le chemin de la réconciliation », voire « d’être plus audacieux pour protéger l’environnement et faire croître notre économie ».

À la dissolution du Parlement, les libéraux de Justin Trudeau détenaient 155 sièges, contre 119 pour les conservateurs, 32 pour les bloquistes, 24 du côté des néo-démocrates et deux pour les verts.

Cinq élus étaient aussi indépendants et s’affichaient sans couleur politique.

D’après les plus récentes projections de 338Canada – un agrégateur de sondages permettant de faire des projections du vote populaire –, les libéraux de Justin Trudeau obtiendraient entre 35 et 36 % du vote en date du 14 août. Les conservateurs d’Erin O’Toole suivent avec un plus de 29 %, pendant que le Nouveau Parti démocratique récolte près de 20 % des voix. Le Bloc québécois, qui ne présente pas de candidats à l’extérieur du Québec, récolte 6,7 % des votes sur le plan national, suivi du Parti vert à 4,9 % et du Parti populaire du Canada à 2,5 %.

Inquiétudes de santé publique

Depuis plusieurs jours, des experts en santé publique soulèvent de nombreuses questions sur les risques que pose une telle campagne, alors que le variant Delta, plus transmissible, gagne du terrain au pays.

« Le Canada est composé de plusieurs provinces qui ont des règles sanitaires différentes. Cela va constituer un énorme enjeu pour les chefs de parti de respecter et d’adapter la campagne électorale et leurs rassemblements électoraux à ces mesures », rappelle la professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Roxane Borgès Da Silva.

« Si on regarde les expériences canadiennes et étrangères d’élections en temps de pandémie, on a une éclosion à Terre-Neuve dans un bureau de vote en février 2021. Il va falloir des mesures sanitaires très strictes pour éviter une telle situation », insiste-t-elle.

Pour Mme Borgès Da Silva, il y a aussi « un fort risque d’abstention élevée » pour ces élections. « Avec une campagne électorale hors de la normale et la crainte d’attraper le virus, la probabilité que certaines personnes ne se présentent pas au bureau de vote sera élevée. Une étude française a montré que plus le nombre de cas était élevé, plus le taux de participation était faible, et c’est particulièrement vrai dans les zones à forte densité de population », conclut la professeure.

Un seul avion pour les libéraux

On ne les y reprendra pas en 2021. Après s’être fait taxer d’hypocrites climatiques pour avoir nolisé deux avions pour sillonner le pays lors de la dernière campagne, les libéraux ont cette fois opté pour un seul appareil, a appris La Presse. L’avion transportera le premier ministre Justin Trudeau, son entourage ainsi que les journalistes qui suivent la tournée libérale. Le contexte pandémique n’est pas étranger à cette décision, a indiqué une source libérale, dimanche : « De grands évènements, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, on n’en fera pas vraiment. » M. Trudeau s’était retrouvé sur la défensive, en 2019, quand son rival conservateur, Andrew Scheer, avait révélé l’existence de cet avion de soutien. « Vous êtes un faux écolo », avait-il pesté. Le chef libéral avait expliqué que le deuxième avion servait à transporter ressources humaines et matérielles permettant à son équipe de préparer à l’avance plus d’évènements d’envergure. « Nous ne pensons pas avoir besoin d’équipements aussi volumineux qu’en 2019. Mais au besoin, nous ferons appel à des entreprises locales », a souligné la source libérale. Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, a accueilli la nouvelle avec un haussement d’épaules : « Ce n’est pas comme si les libéraux coupaient les milliards en subventions annuelles aux pétrolières. On est plus dans l’anecdote. » Mais « pour une fois, ils semblent avoir appris de leurs erreurs », a-t-il laissé tomber.

— Mélanie Marquis, avec Joël-Denis Bellavance, La Presse

Élections fédérales 2021

Les débats des chefs prévus les 8 et 9 septembre

Les débats des chefs se tiendront au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau, en français et en anglais. Animé par Patrice Roy, le débat en français est prévu le mercredi 8 septembre de 20 h à 22 h (HAE). Le présentateur du Téléjournal Grand Montréal 18 h à Radio-Canada sera accompagné des journalistes Hélène Buzzetti (Les coops de l’information), Guillaume Bourgault-Côté (L’actualité), Paul Journet (La Presse) et Marie Vastel (Le Devoir). La journaliste Noémi Mercier, cheffe d’antenne pour Noovo Info, animera les segments réservés aux questions des citoyens. Le débat en anglais aura lieu le lendemain, soit le jeudi 9 septembre de 21 h à 23 h (HAE). Il sera animé par Shachi Kurl, présidente de l’Institut Angus Reid. Les journalistes Rosemary Barton (CBC News), Melissa Ridgen (APTN News), Evan Solomon (CTV News) et Mercedes Stephenson (Global News) seront également de la partie. Les thèmes qui guideront les débats seront dévoilés trois jours avant la diffusion. Les débats des chefs seront diffusés dans les deux langues officielles et offerts simultanément en LSQ (langue des signes québécoise) et ASL (American Sign Language), ainsi que dans six langues autochtones.

— Mayssa Ferah, La Presse

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