(Québec) La construction de nouveaux barrages et le possible feu vert à la production et la vente d’électricité par le secteur privé rendront nécessaire l’érection de lignes de transport qui auront un impact sur le paysage partout au Québec. Près de 5000 km devront être bâtis d’ici 2035 seulement par Hydro-Québec.

Ce qu’il faut savoir

  • D’ici 2035, Hydro-Québec prévoit augmenter la production d’électricité de 60 TWh, ce qui représente de 8000 à 9000 MW de puissance additionnelle. Pour transporter cette électricité, elle devra construire près de 5000 km de lignes à haute tension un peu partout au Québec.
  • Le projet de loi de Pierre Fitzgibbon pourrait permettre à des entreprises privées de produire de l’électricité pour elles-mêmes, mais aussi d’en vendre.
  • Elles devront elles aussi construire des lignes à haute tension et éventuellement se raccorder au réseau d’Hydro-Québec. Ces infrastructures auront un impact sur le paysage québécois.

« C’est vrai qu’il y a une réflexion au gouvernement sur la production privée. Je suis ouvert, mais la décision n’est pas prise. Si on ouvre à la production privée, elle sera balisée par Hydro-Québec et limitée sur le territoire. Devant l’ampleur du défi de la transition énergétique, il faut être créatifs », a écrit le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, sur les médias sociaux vendredi.

Il doit déposer prochainement un projet de loi important qui pourrait donc autoriser une entreprise privée à produire sa propre électricité sur d’autres sites, constituer son réseau électrique et vendre cette énergie à d’autres entreprises, comme le rapportait Radio-Canada. Et cela s’ajoute à la volonté d’Hydro-Québec, d’ici 2035, de hausser la production d’électricité de 60 TWh, ce qui représente de 8000 à 9000 MW de puissance additionnelle. Avec cette loi, M. Fitzgibbon veut aussi accélérer ces travaux.

Cette énergie devra être transportée vers les lieux où elle est consommée : les villes. « On ne parle pas de 5000 km du nord au sud, on parle de 5000 km partout au Québec. On sait que dans certaines régions la demande augmente. En Estrie, on doit renforcer tout le réseau de transport, par exemple », note Caroline Des Rosiers, porte-parole d’Hydro-Québec. La société d’État est actuellement en planification et doit annoncer d’ici la fin de l’année sa feuille de route pour la construction de nouvelles lignes à haute tension.

Le déploiement de ces nouvelles infrastructures de transport coûtera de 45 à 50 milliards d’ici 2035, prévoit Hydro-Québec. Et cette transition énergétique, qu’elle soit publique ou privée, risque de déplaire.

« On ne peut pas augmenter la capacité de production sans avoir de lignes de transport additionnelles en périphérie des centres urbains. […] Et si le privé en produit, eh bien, ça veut dire qu’on va voir plus de parcs éoliens que les gens ne vont pas aimer, et des lignes à haute tension que les gens ne vont pas aimer », laisse tomber Pierre-Olivier Pineau, professeur de HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

La production d’électricité par le secteur privé s’accompagnerait de la construction de nouveaux parcs éoliens et de lignes à haute tension, prévient le professeur Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal. Sur la photo, le parc éolien de L’Érable, dans le Centre-du-Québec.

Si une entreprise comme TES Canada en Mauricie veut construire des parcs éoliens, elle devra nécessairement les raccorder à son projet d’usine, par exemple. Si elle veut alimenter d’autres entreprises dans une autre ville, elle devra construire une ligne électrique ou emprunter le réseau d’Hydro-Québec, qui devra sans doute agrandir ses infrastructures.

« C’est ce qui se passe dans l’industrie du gaz naturel lorsqu’une grande entreprise veut se faire livrer du gaz par Énergir. Les gros consommateurs peuvent acheter leur molécule à quiconque, et la font livrer par Énergir. Ils payent pour le passage sur le réseau », explique M. Pineau.

Mais les Québécois sont-ils prêts à voir pousser de nouveaux postes de transport d’électricité et de nouvelles lignes électriques un peu partout sur le territoire ? L’acceptabilité sociale n’est pas toujours au rendez-vous, comme le montre le combat mené pendant plusieurs années par les citoyens de Saint-Adolphe-d’Howard, dans les Laurentides.

M. Pineau est favorable à l’idée de permettre aux entreprises privées d’investir le marché de l’électricité si Hydro-Québec ne peut répondre à l’ensemble de la demande.

Mais le chercheur est « catastrophé » de voir que les Québécois ne réalisent pas l’ampleur que prendra la transition énergétique et estime que le gouvernement Legault passe à côté d’une solution beaucoup plus simple : l’efficacité énergétique.

Il souligne que le Québec consomme de l’énergie comme un « ogre » : près de 23 000 kWh par personne en 2021, contre 7000 en France. Cela inclut la consommation résidentielle, commerciale et industrielle.

Enjeu majeur de privatisation

Normand Mousseau croit lui aussi que le Québec passe complètement à côté du bateau de l’efficacité énergétique, et que cela coûtera très cher à la société. Mais contrairement à M. Pineau, le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal s’inquiète de ce qu’il considère comme « un enjeu majeur de privatisation d’Hydro-Québec ».

D’un côté, Québec ouvre la voie à la production et à la vente d’électricité par le secteur privé. De l’autre, il augmente significativement les dépenses d’Hydro-Québec pour produire de l’énergie et la transporter, tout en plafonnant la hausse des tarifs du secteur résidentiel à un maximum de 3 %, comme le prévoit le projet de loi de M. Fitzgibbon. « Pour y arriver, il faudrait augmenter de manière très importante les tarifs des entreprises, ou réduire les bénéfices d’Hydro-Québec. La tentation va être très forte de vendre tout ça quand il n’y aura plus de bénéfice pour l’État », dit-il.

On est en train de structurer Hydro-Québec pour vendre.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal

Plus d’espace

Quant au manque de capacité de transport, il n’est pas que théorique. L’Alliance de l’énergie de l’Est, qui regroupe les régies intermunicipales de l’énergie du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, milite pour la construction d’une nouvelle ligne à haute tension dans ces régions.

Selon un document présenté par Hydro-Québec, le réseau électrique de la Gaspésie n’a plus d’espace disponible pour intégrer de nouveaux parcs éoliens, et celui du Bas-Saint-Laurent n’a que 400 MW de disponibles.

« On a des gisements éoliens de grande qualité », souligne Michel Lagacé, le président de l’organisme, qui ne veut pas que la région soit oubliée, faute de capacité de transport. Il met aussi en garde les villes qui accepteraient que des entreprises privées implantent des éoliennes sans conclure d’entente.

« Ça prend une participation des communautés. En ce moment, les projets éoliens [qui produisent de l’énergie achetée par Hydro-Québec] sont à 50 % entre les communautés d’accueil et [l’exploitant], par exemple. Mais si une entreprise met des éoliennes sur un gisement, sans participation des communautés, ce territoire ne peut plus être développé par la MRC. Si le gisement est exploité, c’est fini. Les projets de promoteurs derrière les portes closes, ce n’est pas une bonne idée », laisse-t-il tomber.