Voyage

Le passeport vaccinal : une fausse bonne idée ?

À première vue, un passeport vaccinal qui permettrait aux voyageurs immunisés contre la COVID-19 de se déplacer partout dans le monde peut sembler un excellent moyen d’oublier les quarantaines. Or, il semble être encore trop tôt pour le mettre en place, sans compter ses effets néfastes pour certains. Explications.

L’Islande a été le premier pays à sauter dans le train du passeport vaccinal, à la fin de janvier. Ceux qui ont reçu là-bas leurs deux doses de vaccin peuvent demander un certificat numérique dans le but, a annoncé le gouvernement de ce pays d’à peine 365 000 habitants, d’éviter la quarantaine en voyageant à l’étranger.

Or, même si le Danemark et la Suède, par exemple, ont manifesté un intérêt certain pour un passeport du genre, seule l’Islande reconnaît pour l’instant la validité de son document électronique. Et bien que la Grèce et Israël aient récemment signé un accord touristique pour permettre à leurs citoyens vaccinés respectifs de voyager sans restriction dans les deux pays, les vols n’ont pas encore été rétablis.

Pourquoi donc si peu d’enthousiasme pour une solution qui rouvrirait les frontières ? « L’enjeu en ce moment, c’est qu’on ne peut pas dire qu’une personne vaccinée n’est pas contagieuse, lance Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Et il faut aussi tenir compte des variants en circulation pour lesquels les vaccins semblent moins efficaces. L’Afrique du Sud vient de suspendre les injections du vaccin d’AstraZeneca, qui ne contre pas le variant présent là-bas. »

« Rouvrir les frontières pour les gens vaccinés pourrait favoriser la transmission des variants et même être propice à l’apparition de nouvelles mutations. À ce stade-ci, lancer un passeport vaccinal relève davantage d’une décision économique ou touristique que de santé publique. »

— Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Miser sur les tests rapides

Le dépistage massif grâce aux tests antigéniques, qui donnent des résultats presque immédiats, est une avenue plus prometteuse pour relancer le voyage, selon la professeure Borgès Da Silva. Ces tests détectent sans faille les porteurs du coronavirus au moment où ils sont le plus contagieux, soit entre 24 et 72 heures après la période d’incubation.

« Dans la phase hypercontagieuse, une personne souvent asymptomatique peut contaminer toute une foule dans un centre commercial », explique Mme Borgès Da Silva. Selon elle, isoler ces porteurs avant même qu’ils entreprennent un voyage rendrait les déplacements beaucoup plus sécuritaires. Si l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée, par exemple, ont largement neutralisé le coronavirus, c’est grâce à ce type de dépistage, estime la spécialiste.

L’Association du transport aérien international (IATA), qui réunit environ 290 transporteurs et dont le siège social se trouve à Montréal, pense aussi que l’utilisation massive des tests antigéniques faciliterait une reprise plus rapide des vols.

La « Carte-voyage »

Ce qui n’empêche par l’IATA, à l’instar de Microsoft, d’IBM ou du Forum économique mondial notamment, de travailler à l’élaboration d’un passeport vaccinal numérique, qui s’avérera très utile, pense l’organisation, si la preuve est faite qu’un vaccin peut stopper la transmission de la COVID-19.

La « Carte-voyage » de l’IATA permet, par l’entremise d’une application, de réunir un passeport et des certificats médicaux chiffrés (preuve de vaccination, résultats de tests, etc.) à l’abri des pirates sur un téléphone intelligent. Grâce à elle, un voyageur peut, d’une part, vérifier les exigences des États et des transporteurs et, d’autre part, communiquer les documents demandés à l’employé d’une compagnie aérienne au moment de monter à bord ou au douanier à son arrivée. Pour éviter la fraude, seuls les laboratoires certifiés sont autorisés à lier des fichiers à cette carte, que Singapore Airlines testera sous peu sur certains de ses vols. Des essais doivent aussi avoir lieu avec Copa au Panama.

« Ce n’est pas à l’IATA de dicter les règles, mais nous souhaitons travailler avec les gouvernements afin de trouver les meilleures solutions pour permettre aux gens de recommencer à voyager, même si cette reprise doit se faire sur plusieurs années », explique Frédéric Léger, directeur des produits aéroports, passagers, cargo et sécurité à l’IATA. À l’heure actuelle, l’IATA estime que l’industrie aérienne ne retrouvera pas son activité prépandémique avant... 2024.

« En ce moment, avec à peine 10 % des voyageurs, il y a des files partout dans les aéroports. On cherche donc des solutions simples et évolutives pour gérer une augmentation graduelle du trafic. »

— Frédéric Léger, directeur des produits aéroports, passagers, cargo et sécurité de l'IATA

Le Canada préfère la vaccination

Certains pays comme le Canada s’opposent toutefois à l’adoption d’un passeport vaccinal pour relancer l’industrie du voyage. Interrogé le mois dernier, le premier ministre Justin Trudeau a dit redouter les conséquences discriminatoires de ce document pour ceux qui, comme les femmes enceintes, ne seraient pas vaccinés. « Je crains de créer des effets indésirables dans nos communautés », a déclaré M. Trudeau au cours d’une conférence organisée par Reuters.

Le premier ministre du Canada table plutôt sur une vaccination massive pour rouvrir les frontières à tous les voyageurs. Reste à savoir si les doses promises d’ici la fin de septembre seront efficaces malgré l’apparition de variants et stopperont la transmission... Pour l’instant, les voyageurs vaccinés contre la COVID-19 qui arrivent au Canada sont tenus, comme les autres, de payer près de 2000 $ pour faire une quarantaine d’au moins trois jours à l’hôtel.

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