Société / Famille

Le deuil d’un enfant, en pleine pandémie

Il n’y a pas de bon moment pour perdre un enfant. Mais quand une telle tragédie survient en pleine pandémie, ça prive les parents de souvenirs précieux. Rencontre avec Mike et Mélanie, dont la fille Mia a été emportée par le cancer le 1er avril.

« On a beau se faire une situation idéale dans nos têtes, la vie n’arrive pas toujours comme ça, dit Mélanie d’une voix douce. C’est presque une leçon. »

Mélanie St-Jacques et Mike Carvalho savaient que Mia, trois ans et demi, était condamnée, que tous les traitements qu’elle avait subis n’avaient pu venir à bout de cette tumeur qui se logeait à l’avant de son cerveau. Mais ils ignoraient que leur fille unique partirait au moment même où la planète entière se confinerait et où les gens se distanceraient.

« La chaleur humaine, c’est un besoin humain essentiel, qui tout à coup nous est enlevé dans le moment le plus délicat, le plus difficile, de perdre un enfant. »

— Mélanie St-Jacques, mère de Mia

Nous sommes dans les bureaux de Leucan, dans un coin industriel du quartier Parc-Extension, à Montréal. À l’occasion du Mois de la sensibilisation au cancer infantile, Mike et Mélanie ont accepté de nous parler de l’impact que la pandémie a eu sur les dernières semaines de vie de Mia et sur celles qui ont suivi. Sur un tabouret trône une photo de leur fille Mia, le crâne dénudé et le sourire aux lèvres.

Sylvie Cantin, conseillère en soins palliatifs et deuil à Leucan, assiste à la rencontre. « Quand la pandémie est arrivée, avec le confinement obligatoire pour tout le monde, on a réalisé que les familles les plus impactées, c’était les familles endeuillées », dit-elle.

Un impact important

C’est le 31 décembre dernier que Mélanie et Mike ont reçu la nouvelle. La prise de sang révélait que le cancer était toujours présent. Encore. Mais cette fois, il n’y avait plus d’autre option que d’offrir des traitements pour prolonger le plus possible la vie de Mia.

Fin février, le trio s’est envolé vers Walt Disney World, en Floride, grâce à la Fondation Rêves d’enfants. C’est 10 jours après leur retour, le 14 mars, que l’état d’urgence sanitaire a été annoncé au Québec.

« Dans le dernier mois, elle n’a pas eu la chance de voir les gens normalement, ou de faire des choses normalement, comme aller au parc, faire les manèges au centre d’achats, aller manger au McDonald’s. »

— Mike Carvalho, père de Mia

Mia n’a pas pu jouer une dernière fois avec ses grands-parents, confinés en raison d’un séjour à l’étranger, ni avec sa marraine, qui a dû annuler sa visite le jour même parce que son conjoint avait des symptômes de rhume.

La maladie a pris le dessus beaucoup plus vite qu’espéré. La fillette a passé les cinq derniers jours à l’hôpital, entourée des infirmières, des médecins et du personnel qui l’ont accompagnée tout au long de sa courte vie. « C’était ses amis », se souvient Mike, ému. Des membres de la famille ont pu la visiter à deux reprises, lorsque son état était jugé critique. « Quand ma mère est arrivée, à l’hôpital, Mia venait de recevoir de la morphine, raconte Mélanie. Quand Mia l’a vue, son visage s’est illuminé. Elle a levé sa tête et a dit : “Nana !” Ma mère était tellement heureuse. C’est un moment beau et lumineux. »

À l’hôpital, oui, ils se sont enlacés. Et c’est la dernière fois qu’ils ont pu avoir un tel contact physique avec les gens, souligne Mike. En vertu des règles, seulement 10 personnes ont pu être présentes au salon funéraire : huit permanents, et deux qui se relayaient, n’ayant que quelques minutes pour dire au revoir à Mia et offrir leurs condoléances à distance. « On se sentait comme des robots », laisse tomber Mélanie. L’enterrement et la célébration funéraire n’ont toujours pas pu avoir lieu.

« Est-ce qu’on aurait aimé que ça se passe d’une autre façon ? Oui. Mais il n’y a pas de bon moment pour perdre un enfant. »

— Mike Carvalho, père de Mia

Sylvie Cantin les écoute parler. « Le décès d’un enfant touche toute la communauté, dit-elle. La famille, les voisins, l’école, le club de soccer… Quand on fait les funérailles, tout ce monde est là, et ce sont des souvenirs que les parents apportent avec eux dans leur processus de deuil. C’est une bouffée d’amour. Et là, on ne peut pas le faire de cette façon-là. »

Pour les familles endeuillées, le confinement n’a pas toujours été facile. Un couple forcé de vivre face à face et de se dire les vraies choses a éclaté. Une autre maman n’en pouvait plus de vivre au milieu des jouets de son enfant disparu, sans répit. « C’est la première fois que j’ai dit à un parent : “vous allez mettre les jouets dans une boîte et vous permettre de décider à quel moment vous allez vous connecter avec” », raconte Sylvie Cantin.

La chaleur humaine a manqué à Mike et Mélanie, qui travaillent tous deux dans le milieu théâtral. Mais en même temps, disent-ils, le confinement leur a permis de rester ensemble à la maison, sans pression et au même rythme que toute la société. « Je suis en train de connaître Mike plus profondément, dit Mélanie. On est plus forts, j’ai l’impression. »

Ce temps leur permet aussi d’apprivoiser leur vie à deux. Dans son groupe d’entraide de pères endeuillés, que Leucan organise désormais par visioconférence, Mike est le seul à avoir perdu un enfant unique. « C’est difficile, dit-il. Toute la question d’identité personnelle… »

Après une courte hésitation, Mélanie nous confie qu’ils aimeraient avoir un autre enfant. « Je suis un peu plus vieille. On verra si ça fonctionne. Mais oui, en regardant notre futur, on ne peut l’imaginer sans enfant. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.