Wikipédia souffle ses 20 bougies

Wiki quoi ? Inconnu il y a 20 ans, Wikipédia compte aujourd’hui près de 2 milliards de visiteurs par mois – ce qui le place au cinquième rang des sites les plus visités dans le monde, et en fait l’une des sources de référence les plus importantes de notre époque. Pour le meilleur ou pour le pire ?

La question centrale de la rigueur

Sachant que Wikipédia compte aujourd’hui plus de 30 millions d’articles – et que tout le monde peut contribuer à leur contenu –, l’une des premières questions que le site soulève est : est-ce fiable ?

La majorité des modifications sont vérifiées dans les heures, voire les minutes qui vont suivre, explique Pascal Martinolli, bibliothécaire à la bibliothèque des lettres et sciences humaines de l’Université de Montréal. Certaines modifications sont vérifiées par des robots ou par des contributeurs passionnés. « En règle générale, plus une page suscite de l’engagement, meilleure est sa qualité, même pour les sujets polémiques », explique M. Martinolli. Les articles les plus fiables de l’encyclopédie porteront la mention « article de qualité ». Ces articles se distinguent notamment par la qualité de l’écriture, des sources et des conventions de style. Un exemple ? L’article sur Émile Nelligan.

Une première phase

Gratuites, accessibles partout avec une connexion internet et enrichies de nombreuses photos et vidéos, les pages de Wikipédia ont remplacé pour plusieurs la consultation de la section « Dictionnaires et encyclopédies » des bibliothèques. Au cours des dernières années, le rôle joué par Wikipédia dans l’éducation est toutefois devenu sujet de nombreux débats et désaccords. « En cette période de pandémie de fausses nouvelles, nous avons tous un grand besoin de développer ce que j’appellerais une culture des sources d’information nous permettant d’apprendre à contextualiser, évaluer et hiérarchiser la qualité de l’information », affirme Jean-Michel Lapointe, bibliothécaire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et président du comité des programmes de Wikimédia Canada. Il faut donc, dit-il, apprendre à aller au-delà de Wikipédia et de Google, en utilisant l’encyclopédie en ligne dans une phase préliminaire de recherche, mais en allant toujours vérifier soi-même les renseignements dans les sources originales qui y sont citées ensuite pour profiter d’informations plus complètes et mises en contexte.

Les super contributeurs

Plus de 85 millions de personnes possèdent un compte Wikipédia qui leur permet de modifier des articles. Toutefois, certains se démarquent par leur contribution impressionnante à la plateforme. Avec plus de 35 000 articles et 3,8 millions de modifications à son actif, Steven Pruitt, sous le pseudonyme Ser Amantio di Nicolao, est le collaborateur humain le plus actif de la version anglophone de Wikipédia. Il a effectué l’équivalent de 659 modifications par jour pendant 16 ans. Dans la version francophone du site, l’utilisateur Polmars détient le record avec 1,1 million de modifications depuis son inscription à la plateforme en 2005.

Des robots en renfort

Différents types de robots travaillent jour et nuit pour assurer le bon fonctionnement de l’encyclopédie. Environ le tiers des contributions dans Wikipédia sont effectuées par des robots, « ce qui libère du temps pour les wikipédistes humains pour faire des tâches à haute valeur cognitive, au lieu de faire des tâches répétitives qu’une machine peut faire de manière automatique sans jamais se fatiguer », explique Jean-Michel Lapointe, bibliothécaire à l’UQAM. Les robots existent dans Wikipédia depuis 2002. « Ce n’est donc pas nouveau, mais cette réalité est méconnue du grand public », ajoute M. Lapointe. Les robots sont programmés pour assurer la maintenance des articles, par exemple pour corriger des erreurs communes d’orthographe ou de mise en forme, lutter contre les vandalismes ou encore, dans certaines éditions de Wikipédia, créer de nouveaux articles.

300 langues, et autant de réalités ?

Wikipédia est une encyclopédie qui se décline en plus de 300 langues. En observant le même article dans différentes langues, il est possible d’observer les disparités dans la façon dont on représente une réalité. « Avec un article sur la Seconde Guerre mondiale, par exemple, on peut voir quel est le traitement qu’on en fait en français, en anglais, en italien ou en allemand. On se rend compte que le savoir n’est pas le même dans toutes les langues et qu’on n’insiste pas nécessairement sur les mêmes choses », explique Jean-Michel Lapointe.

Lire ou être lu

Selon Jean-Michel Lapointe, toutes les cultures du monde gagnent à s’impliquer dans Wikipédia. « Au Canada, on invite les gens à contribuer aux versions en français, en anglais et en atikamekw nehiromowin. Depuis 2017, la nation atikamekw a sa propre encyclopédie Wikipédia, ce qui permet d’inscrire sa culture dans l’environnement numérique et de valoriser la culture traditionnelle », se réjouit M. Lapointe. En plus de créer des articles en atikamekw, ils ont aussi ajouté du contenu sur leur nation dans les pages des autres langues, ajoute la wikipédienne Amber Berson. Pour Pascal Martinolli, le principal avantage de contribuer à Wikipédia demeure toutefois la satisfaction personnelle de participer au bien commun. « Je dis souvent à mes étudiants : “Si vous voulez être lus et avoir un impact, contribuez avec qualité à Wikipédia” », affirme-t-il. Mais contribuer à Wikipédia aurait aussi l’avantage de développer l’esprit critique. « La recherche démontre que les étudiants qui contribuent à l’encyclopédie sont plus en mesure d’évaluer l’information que ceux qui ne font que la consommer », affirme M. Lapointe.

Blanche et masculine : un problème de diversité

« La majorité des personnes qui travaillent actuellement sur Wikipédia sont des hommes blancs anglophones nord-américains », explique Amber Berson. Depuis les dernières années, un des objectifs principaux de Wikipédia est de diversifier les communautés de contributions afin « de s’ouvrir à d’autres manières de se représenter la diversité profonde du monde et des savoirs humains », explique M. Lapointe. Selon Mme Berson, qui est également coordonnatrice canadienne de la campagne Art+Feminism visant notamment à améliorer le traitement des femmes et des personnes non binaires sur Wikipédia, il reste encore beaucoup de travail afin de rendre Wikipédia plus inclusif. En effet, près de la moitié des femmes ont déclaré qu’elles ne se sentaient pas en sécurité ou qu’elles étaient mal à l’aise de contribuer à Wikipédia. « Si plus de personnes étaient à l’aise de faire des modifications sur des pages, on aurait un Wikipédia beaucoup plus fort et inclusif », conclut-elle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.