Planète bleue, idées vertes

Le CISSS de Laval s’attaque à son empreinte carbone

Jusqu’à 5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent du système de santé. Pour réduire son empreinte carbone, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval en a réalisé une estimation détaillée, une première au Canada.

Six fois moins de matériel et 67 % moins de sacs de soluté : les chiffres sont éloquents, mais la vue des produits jetables l’est encore plus.

Six plateaux, trois sacs de soluté, divers accessoires et beaucoup d’emballages…

C’est ce que l’hôpital Cité-de-la-Santé utilisait encore récemment pour les trois séances hebdomadaires d’hémodialyse – le traitement qui purifie le sang lorsque les reins font défaut – de chacun de ses patients. Même bien cordé, ce matériel jetable occupe les deux tiers d’une grande table.

L’été dernier, la plupart des solutés ont été éliminés, remplacés par un système d’eau purifiée.

Et depuis cette année, l’hôpital pose des connecteurs, semblables à de petits bouchons, sur le cathéter du patient. Avec ces connecteurs installés pour la semaine, plus besoin de six plateaux ; un seul suffit.

« Au départ, l’objectif de ces bouchons était d’éliminer un risque de contamination pour le patient. Je n’en voyais pas toute l’ampleur ! »

— Dominique Boudreau, conseillère en soins

Avec ces connecteurs, « le coût du traitement a diminué d’environ 50 % », a calculé Sven Kutschera, conseiller en soins infirmiers, volet approvisionnement. Sur 20 000 traitements annuels, le CISSS économisera près de 45 000 $. C’est sans compter la réduction de plus de 20 000 sacs de soluté en six mois. Et la réduction des émissions des GES ?

C’est ce qui reste à mesurer, indique le responsable du comité de développement durable (CDD) et directeur adjoint à la Direction des services techniques du CISSS, Benoit Lalonde. « On a une course de 90 000 tonnes. Où se rendra-t-on cette année et de combien de pas aura-t-on avancé ? »

Ces 90 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (t éq. CO2) représentent l’empreinte annuelle du CISSS de Laval. Les achats et les déplacements du personnel, qui font partie d’une catégorie appelée « scope 3 », sont inclus dans le calcul, une première dans le système de santé canadien. Le CISSS a ainsi découvert que 90 % de ses émissions relevaient du scope 3.

« Je n’aurais jamais pensé que ç’aurait été aussi important ! C’est une belle prise de conscience », lance M. Lalonde.

Le CISSS veut maintenant mesurer l’effet réel des gestes qu’il envisage et fait déjà (hémodialyse, plantation d’arbres, etc.). « On a de plus en plus d’idées, comment choisit-on ? Chaque dollar qu’on investit, comment le priorise-t-on ? »

Médecins écoanxieux

Ce ne sont pas les idées qui manquent.

« On est une vingtaine de médecins qui souffrions tous d’écoanxiété. S’impliquer, mettre du temps et de l’énergie à trouver des solutions a été notre façon de nous autotraiter », raconte le DMark-Andrew Stefan, vice-président de l’Éco-CMDP, un comité indépendant formé avant la pandémie.

Utiliser moins de gaz anesthésiant desflurane (886 kg éq. CO2 par bouteille) a notamment permis de réduire les émissions du bloc opératoire. Pour plusieurs opérations, les médecins emploient un autre gaz moins néfaste, le sévoflurane (44 kg éq. CO2 par bouteille). Ils font aussi des anesthésies générales avec de la médication intraveineuse, et beaucoup plus d’anesthésies régionales, toutes sans gaz.

D’autres réductions sont possibles, dit le DStefan. Il donne l’exemple des pompes utilisées par les patients souffrant d’asthme ou d’emphysème. Elles contiennent un puissant GES (hydrofluoroalcane, ou HFA), dont plusieurs associations médicales réclament le retrait. Sans oublier les quelque 30 % de tests, procédures et traitements utilisés dans le système de santé qui, selon la campagne canadienne Choisir avec soin, seraient potentiellement inutiles.

Télémédecine, télétravail et transport

Les déplacements du personnel entre le domicile et le lieu de travail génèrent plus du quart (26,1 %) des émissions du CISSS. « J’ai fait le calcul : en termes de CO2 généré, ça représente 150 allers-retours en auto de la Terre à la Lune. C’est énorme », souligne le DStefan, qui est également responsable du sous-comité de mobilité durable au CDD.

Le télétravail et même la télémédecine, lorsqu’elle est appropriée, peuvent être mis à contribution. Toutes les consultations du DStefan pour cessation tabagique se font désormais à distance. « Avant, les patients ne se pointaient pas aux rendez-vous. Maintenant, on les a au bout du fil, donc ils ne tombent pas entre deux chaises. »

Le CISSS discute aussi avec la Ville et la Société de transport de Laval pour l’aménagement du réseau cyclable et des horaires d’autobus.

« La Ville amorce l’élaboration d’un plan stratégique de mobilité durable. Considérant que le CISSS est le plus grand employeur de Laval, on est un partenaire quasi incontournable », glisse Guillaume Charest-Hallée, agent de planification, de programmation et de recherche au CISSS. Un système de covoiturage est aussi envisagé.

« Les employés sont de plus en plus conscientisés. On a de la demande, mais aussi beaucoup d’idées », témoigne M. Lalonde. « Le comité de développement durable n’est pas là pour amener toutes les solutions, mais pour amener un réflexe. Si on peut imprégner ça dans la culture de l’organisation, on aura fait un bon bout de chemin. »

L’empreinte carbone annuelle du CISSS de Laval

• 90 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone par an (t éq. CO2/an)

• Scope 1 : émissions directes (ex. : chaudières au gaz, gaz anesthésiants) : 3 %

• Scope 2 : émissions indirectes générées par l’énergie achetée (électricité) : 7 %

• Scope 3 : toutes les autres émissions (dont les achats et les déplacements des employés) : 90 %

Source : CISSS de Laval, calculs réalisés par la firme Synergie Santé Environnement en extrapolant l’analyse de sept bâtiments du CISSS pour l’année 2019-2020

290 kilomètres

Les gaz propulseurs hydrofluoroalcane (HFA) contenus dans un inhalateur-doseur destiné aux personnes souffrant d’asthme ou d’emphysème ont un effet de réchauffement équivalent à celui d’une automobile à carburant fossile parcourant 290 kilomètres.

Source : Association canadienne des médecins pour l’environnement

5 %

« Le système de santé du Canada affiche l’un des taux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant les plus élevés au monde, représentant jusqu’à 5 % des émissions annuelles totales du pays. »

Source : le Lancet Countdown sur la santé et les changements climatiques – Compte rendu à l’intention du Canada, octobre 2022

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.