Critique

Rome, fascinante odyssée théâtrale !

En réunissant cinq pièces de Shakespeare dans un spectacle-fleuve, Brigitte Haentjens et Jean Marc Dalpé ont fait le pari que le théâtre demeure le lieu idéal pour illustrer la mégalomanie des hommes et la folie du pouvoir. Au-delà de sa durée et de son imposante distribution, Rome est d’abord une vraie expérience humaine et artistique.

« Gouverner, c’est faire croire », disait Machiavel. Et Rome en fait la bouleversante démonstration ces jours-ci à l’Usine C. Ce spectacle de 7 h 30 min, incluant deux entractes, avec près de 30 artistes sur scène, est à la fois drôle et tragique, burlesque et politique, délirant et introspectif. Bien sûr, il faut accepter la durée de cette aventure qui nous fait nous tortiller sur un siège étroit… Mais Rome ne s’est pas construite en un jour.

Rome réunit les cinq pièces romaines de Shakespeare, réécrites par Jean Marc Dalpé. On est autant dans la langue de Shakespeare que dans celle de Dalpé. Ce dernier reste fidèle à l’auteur, tout en bousculant son œuvre, ajoutant ici et là des anachronismes et beaucoup de sacres. Par moments, la production verse un peu trop dans la caricature. Elle fait aussi des clins d’œil à notre Rome actuelle : les États-Unis de Trump. Ces plébéiens qui s’expriment, pancartes à la main, ressemblent aux partisans de MAGA, avec leurs casquettes arborant le logo ROME.

Le spectacle s’ouvre avec la pièce la plus aride des cinq textes, Le viol de Lucrèce. Un choix qui s’expliquera au fil de la représentation. Si Rome expose les gains et les reculs, les avancées et les abus de l’histoire, le viol de Lucrèce est un peu la faute originelle qui déclenchera le cycle d’injustices des siècles suivants.

Puis, Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre s’attardent à la montée de cette puissance romaine. Un pouvoir à la fois glorieux et monstrueux. Le récit illustre cette autre maxime de Machiavel : « Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé. » Avec Titus Andronicus, on assiste à la chute de l’empire, à la déchéance totale d’une civilisation aveuglée par la soif de sang et de vengeance. Et qui ressemble étrangement à la nôtre.

Moments forts de l’odyssée

Le spectacle est porté par 29 interprètes polyvalents et de plusieurs générations, ainsi que 25 concepteurs et techniciens. Ils sont complètement investis dans la troupe, passant des grands aux petits rôles, avec une belle cohésion dans les chœurs. Sans être spectaculaire, la mise en scène de Brigitte Haentjens est d’une grande finesse. Elle utilise les quatre coins de la salle, avec moult entrées et sorties, sous les beaux éclairages de Julie Basse, avec des chorégraphies soignées d’Harold Rhéaume.

Dans cette fascinante odyssée, il y a bien sûr des moments plus forts que d’autres. On garde en mémoire l’entrée en scène de Sébastien Ricard dans Coriolan. À la fois précis et fougueux, le comédien joue le fier patricien et redoutable guerrier, toujours en conflit avec les citoyens furieux contre son despotisme. Dans Titus Andronicus, Marc Béland incarne Titus, un autre cruel guerrier, mais qui subira sa propre médecine sous le règne de l’empereur Saturnin et de la reine Tamora (excellents Alex Bergeron et Sylvie Drapeau !). Dans la peau de nulle autre que la mythique reine d’Égypte, Madeleine Sarr est une révélation ! Dès qu’elle ouvre la bouche, sa Cléopâtre nous séduit, tout en nous faisant rire amplement. Mentionnons aussi le discours démagogique d’Antoine (hilarant Jean-Moïse Martin !), après l’assassinat de Jules César, parmi les moments forts.

Bref, ce spectacle nous plonge au cœur des mots et du chaos d’une œuvre immense.

Consultez le site de l’Usine C


Rome

Les cinq pièces du cycle romain de Shakespeare, réécrites par Jean Marc Dalpé. Mise en scène : Brigitte Haentjens.

À l’Usine C jusqu’au 23 avril et les 5 et 6 mai au Centre National des Arts, à Ottawa.

★★★★★★★★


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