Biélorussie

À Minsk, la répression s’accélère

Sale temps pour l’opposition en Biélorussie. En moins d’une semaine, deux figures clés du mouvement prodémocratique ont été condamnées à de lourdes peines de prison…

Ce n’est pas une surprise, mais la peine reste lourde.

Lundi, la principale opposante au régime biélorusse, Svetlana Tikhanovskaïa, a été condamnée par contumace à 15 ans de prison par un tribunal de Minsk.

Mme Tikhanovskaïa, 40 ans, était notamment accusée de « conspiration pour prendre le pouvoir de manière inconstitutionnelle » lors des manifestations monstres qui ont suivi les élections de 2020, où elle avait fait vaciller le président Alexandre Loukachenko.

Réfugiée en Lituanie, où elle dirige désormais un gouvernement en exil, la femme politique a juré sur Twitter de continuer le combat, dans la foulée de ce procès qu’elle a qualifié de « farce » et de « vengeance personnelle » de Loukachenko.

« Aujourd’hui, je ne pense pas à ma propre peine. Je pense à des milliers d’innocents, de détenus et de condamnés à de véritables peines de prison », a-t-elle indiqué.

« Je ne m’arrêterai pas tant que chacun d’eux ne sera pas libéré. »

– Svetlana Tikhanovskaïa, principale opposante au régime biélorusse

Coïncidence ? Trois jours plus tôt, le militant Alès Bialiatski, 60 ans, colauréat du prix Nobel de la paix 2022, a pour sa part été condamné à 10 ans de prison pour son rôle lors des manifestations de 2020.

La sentence a aussitôt été décriée par l’ONU, le Comité Nobel, la France et les États-Unis, qui ont dénoncé une « décision de justice factice » et appelé à la fin des « persécutions » contre les opposants en Biélorussie.

Selon l’agence de presse étatique Belta et l’organisation de défense des droits de la personne Viasna, un autre opposant célèbre, Pavel Latouchko, a quant à lui été condamné à 18 ans, tandis que trois autres personnes ont été condamnées à 12 ans de prison.

D’autres peines pourraient suivre, alors que plusieurs journalistes du site internet Tut.by, principal média indépendant de Biélorussie, sont jugés à huis clos.

29 ans de répression

Ces condamnations en série s’inscrivent dans un contexte de répression accélérée en Biélorussie, à la suite du mouvement de contestation historique de 2020 déclenché par la réélection controversée d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis bientôt 29 ans.

Des manifestations monstres avaient suivi le scrutin – entaché de fraudes massives selon les observateurs –, réprimées par des milliers d’arrestations, de cas de torture, la mort de nombreux manifestants, de lourdes peines et des exils forcés, dont celui de Mme Tikhanovskaïa, candidate à l’élection.

« Il y a depuis un effort continu de la part du régime pour supprimer l’opposition et rester au pouvoir », souligne Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill.

« L’idée est d’envoyer un signal à la population et de discréditer l’opposition. Loukachenko ne peut pas laisser ses adversaires se remettre sur pied. »

– Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill.

Spécialiste de politique comparée à l’Université de Montréal, Magdalena Dembinska convient que le régime s’est radicalisé depuis 2020. La répression est « de loin plus poussée », alors que l’espace pour une quelconque opposition « a rétréci », affirme cette experte de l’Europe de l’Est.

Mais elle tient à rappeler que Loukachenko n’a pas attendu les manifestations de 2020 pour écraser la dissidence.

Depuis son arrivée au pouvoir en 1994, des militants ont disparu, d’autres ont été jetés en prison et réduits au silence, dont le blogueur Sergueï Tikhanovski (mari de Mme Tikhanovskaïa, condamné à une peine de 18 ans).

Si les condamnations de Mme Tikhanovskaïa et de M. Bialiatski font autant de vagues, dit-elle, c’est que ces deux figures sont connues au-delà de la Biélorussie. Le premier en raison de son Nobel, la seconde à cause de son exil et de ses capacités de communication.

« Il y a une portée symbolique pour l’Occident », souligne Mme Demblinska.

Une résistance vivante

Bien qu’affaiblie, l’opposition biélorusse n’en est pas moins active.

Plus de 20 personnes ont été arrêtées mardi en Biélorussie, à la suite du sabotage présumé d’un avion militaire russe près de Minsk en février.

L’acte a été attribué à l’Ukraine par le président biélorusse, mais avait été revendiqué par le groupe BYPOL.

Cette organisation paramilitaire, qui recrute et arme la dissidence à partir de la Pologne, a pour objectif de restaurer la démocratie en Biélorussie et d’installer Svetlana Tikhanovskaïa au pouvoir.

Depuis qu’Alexandre Loukachenko a choisi le camp de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine (un renvoi d’ascenseur pour le soutien de Moscou lors des manifestations de 2020), Mme Tikhanovskaïa est devenue une partenaire clé pour les gouvernements occidentaux, en raison de son redoutable sens politique.

Étonnante histoire que celle de cette ancienne traductrice et professeure d’anglais, qui n’avait aucune ambition politique au départ et qui avait laissé sa carrière pour s’occuper à temps plein de son fils malentendant. Il aura fallu l’emprisonnement de son mari, en 2020, pour qu’elle prenne le relais et que son destin change radicalement de direction…

– Avec l’Agence France-Presse


EN SAVOIR PLUS

9,5 millions d’habitants
Population de la Biélorussie


1461
Nombre de prisonniers politiques en Biélorussie

Source: Source : Centre Viasna des droits de l’homme

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.