accès à l’eau potable

Les lingettes nettoyantes inquiètent plus que le coronavirus

Lits de camp, confinement à l’usine 24 heures sur 24, rappel de retraités… Les villes élaborent leur plan d’urgence pour s’assurer qu’en aucun temps la population ne soit privée d’eau potable si la situation dégénère en raison de la pandémie. Dans ce secteur déjà confronté à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, un danger est actuellement plus grand qu’une infection massive des troupes à la COVID-19 : la surabondance de lingettes nettoyantes dans le réseau de distribution d’eau.

« L-A-V-E-Z–V-O-U-S L-E-S M-A-I-N-S ». Et si, à travers toute cette crise, on ouvrait le robinet sans que rien ne coule ? Pour l’instant, tout est maîtrisé. Mais les municipalités se préparent pour le pire.

« On regarde l’approvisionnement en produits chimiques, les besoins des laboratoires d’analyses, la planification de l’entretien mécanique, etc. Une fois que tout ça est sécurisé, il y a la pandémie elle-même. Des membres du personnel seront testés positifs, et le problème de main-d’œuvre deviendra criant », explique Alain Lalumière, chargé de projet chez Réseau Environnement, qui regroupe des spécialistes provenant des domaines public, parapublic et privé desservant en eau potable 5,5 millions de Québécois.

« On était déjà en pénurie [de main-d’œuvre], et ce n’est pas n’importe qui qui peut s’improviser opérateur au niveau du traitement des eaux, ça prend une certification. Et même si un employé de remplacement a ses cartes [de compétence], les systèmes sont parfois complexes et il doit être formé en arrivant dans une nouvelle usine », expose-t-il.

« On ne peut pas se permettre de perdre ces gens-là. Il y a très peu de joueurs et les usines, on se les arrache », confirme Yan Maisonneuve, conseiller municipal à la Ville de Terrebonne et président du conseil d’administration des régies des eaux Terrebonne-Mascouche.

Les lingettes vont à la poubelle

Avant même de s’attarder au manque de personnel, les municipalités ont un problème encore plus urgent à régler : l’explosion du nombre de lingettes nettoyantes et désinfectantes jetées dans les toilettes. Que ce soit pour désinfecter les surfaces, se nettoyer les mains ou pour remplacer le papier hygiénique, momentanément disparu des tablettes, leur utilisation a augmenté de façon exponentielle avec l’arrivée de la COVID-19. Malgré ce qu’indique l’emballage, aucune lingette, quelle qu’elle soit, n’est jetable à la cuvette.

« Quand on tire la chasse d’eau, c’est envoyé dans le réseau, et des pompes traînent l’eau jusqu’à la station. Les lingettes bloquent dans les pompes et dans les mécanismes des dégrilleurs [filtres] », explique Yan Maisonneuve. « On doit procéder au nettoyage de l’équipement maximum deux à trois fois par semaine, ces jours-ci. Normalement, on le ferait une ou deux fois par mois ! »

Le problème était récurrent, témoigne M. Maisonneuve, mais met plus que jamais en péril le traitement des eaux. Les effectifs sont réduits, la maintenance est effectuée au minimum et l’accessibilité aux sous-traitants pour les réparations est complexifiée. La situation est d’autant plus critique qu’en période de dégel, les rivières gonflent et mettent beaucoup plus de pression qu’à l’habitude sur le réseau de traitement de l’eau.

« Si ça bloque une pompe, on envoie la pompe en réparation et on prend un back-up, mais là, en temps de fonte, c’est vraiment problématique. Il n’y a pas une usine au Québec qui peut se permettre d’avoir des bris de ce genre-là présentement. »

— Yan Maisonneuve, président du conseil d’administration des deux régies des eaux de Terrebonne-Mascouche

Plusieurs municipalités sonnent l’alarme depuis quelques jours. Repentigny et Sherbrooke, pour ne nommer que celles-là, ont passé le message à leurs citoyens par l’entremise de leur page Facebook.

Des lits de camp pour un service en continu

Depuis plus de deux semaines, l’association Réseau Environnement travaille avec ses membres pour les aider à sécuriser leurs usines et à élaborer leurs plans d’action pour préserver leur main-d’œuvre selon les impacts de la pandémie.

« Les villes prennent cet aspect-là très au sérieux. Les mesures sont souvent au-delà des recommandations des DSP [directions de santé publique] », assure M. Lalumière, de Réseau Environnement.

À Terrebonne et à Mascouche, des lits de camp ont déjà été commandés pour les employés. Dans le pire des scénarios – celui où les équipes qui travaillent déjà à plein rendement perdraient temporairement trop de joueurs –, les techniciens devront dormir à l’usine de traitement des eaux pour s’assurer qu’il n’y a pas d’interruption de service.

« Une équipe restreinte pouvant gérer les opérations demeurerait 24 heures sur les lieux pour un scénario probable de 7 jours consécutifs. Des lits de camp sont d’ailleurs commandés à cet effet. Il serait possible aux employés de veiller à leur hygiène personnelle et manger sur place », a indiqué à La Presse Daniel Leblanc, coordonnateur des mesures d’urgence pour la Régie d’aqueduc intermunicipale des Moulins (RAIM), l’organisme indépendant qui dessert en eau potable les villes de Terrebonne et de Mascouche.

Dans l’immédiat, les horaires ont été revus et les équipes ont été révisées afin d’être moins nombreuses sur le terrain et prêtes à se relayer en cas de besoin. Des sauf-conduits ont aussi été prévus pour les employés, si des limitations importantes de déplacements étaient décrétées par les gouvernements.

À Montréal, des équipements de protection respiratoire et individuelle ont été mis à la disposition des employés qui ne peuvent pas rester à une distance de deux mètres de leurs collègues. Aussi, « certains retraités ont été contactés » pour réintégrer les équipes en cas de besoin.

« Des relèves additionnelles sont identifiées pour chacune des usines parmi les employés du Service [de l’eau] et […] des formations d’appoint sont en cours pour s’assurer que ces ressources soient pleinement opérationnelles dans l’éventualité où des absences se produisent », a précisé Anik de Repentigny, chargée de communication à la Ville de Montréal.

Laval procède à de la formation en accéléré et a reporté des travaux non urgents tout en intensifiant ses mesures d’hygiène dans les usines. À Longueuil, le nombre d’opérateurs (9 opérateurs et 12 aides-opérateurs) serait suffisant pour faire face à la crise. La Ville pense aussi rappeler des retraités en cas d’urgence.

« On avait mis en place un plan d’intervention dans le temps de la crise H1N1 et on l’a adapté très rapidement. Il nous permet notamment d’établir les rôles d’intervention en fonction de la situation », a expliqué Fanie St-Pierre, chef de service de la direction des communications de la Ville de Longueuil.

Un expert qui en a vu d’autres

Selon Alain Lalumière, du Réseau Environnement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, et « et tout est en place pour qu’il n’y ait pas de problème d’eau » au Québec malgré la crise. Il faut dire que le chargé de projets en a vu d’autres. Président retraité du réseau de l’eau à la Ville de Saguenay, ancien membre du conseil d’administration de l’American Water Works, il a notamment vécu le déluge de 1996 et la crise du H1N1.

« Le déluge, c’était un problème physique, nos usines étaient arrachées. On n’avait pas de problème de santé. Le H1N1, on a monté des plans d’action en sachant qu’on avait un vaccin disponible. Mais là, on n’a vraiment rien. Tant qu’on n’a pas de vaccin ou de médicament, on est dans l’inconnu. Donc nos mesures et nos plans d’action doivent être constamment peaufinés et bien suivis. Mais on devrait s’en sortir », dit l’expert, la voix confiante.

COVID-19

Plus de jeunes infectés, plus de vecteurs de transmission

Les personnes âgées de 70 ans et plus sont les plus vulnérables face à la COVID-19, mais ce sont les moins de 50 ans qui sont les plus touchés à Montréal, révèlent les plus récentes données statistiques des autorités sanitaires.

Le bilan de la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal fait état mercredi de 2097 cas confirmés d’infection au coronavirus dans l’île de Montréal. C’est dire que 0,1 % de la population est maintenant infectée.

La majorité des infections concerne les personnes de moins de 50 ans (59,1 %). Mais ce sont les 20 à 39 ans qui représentent, à eux seuls, plus de 36 % de toutes les personnes contaminées dans les arrondissements ou les villes liées de l’agglomération.

« Est-ce que c’est inquiétant ? Non, mais ce que cela veut dire, c’est que les jeunes doivent respecter les consignes de distanciation parce qu’ils peuvent être des vecteurs de transmission dans la population », a affirmé la Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal.

Rappel des règles

Avec l’arrivée des beaux jours du printemps, la Dre Drouin a rappelé les règles de distanciation sociale, y compris l’interdiction de rassemblement, qui sont imposées et pour lesquelles les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont appelés à intervenir depuis vendredi dernier. Jusqu’à maintenant, la police a servi des avertissements, mais il pourrait y avoir des constats d’infraction devant la résistance de certains individus.

Ne pas respecter les consignes dans les lieux publics, comme les parcs, pourrait valoir une amende de 1000 $ à 6000 $ aux contrevenants. Quant aux commerces non essentiels qui ouvrent tout de même leurs portes, l’infraction pourrait leur coûter entre 3000 $ et 5000 $, a réitéré la Dre Drouin.

La fermeture complète des parcs est également envisagée. La mairesse de Montréal Valérie Plante et le premier ministre François Legault l’ont évoquée tour à tour mercredi (voir texte à l’onglet suivant). Ces règles visent à freiner la propagation du coronavirus dans la population. C’est d’autant plus important que la contamination communautaire est bien installée à Montréal, a rappelé Mylène Drouin.

« On ne peut pas, dans une pandémie comme celle-là, avoir des exceptions qui ne respectent pas les mesures. Rapidement, avec les rapports du SPVM, on va devoir aller vers des mesures plus sévères », a-t-elle prévenu.

« On demande à la police d’avoir une plus grande présence. Si la population collabore, on va être capables de maintenir cette liberté de mouvement à l’extérieur plus longtemps. »

— La Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal

C’est dans cet esprit que la DRSP analyse la possibilité de procéder à la piétonnisation de certaines rues commerciales. Cela pourrait permettre aux promeneurs de garder leurs distances les uns des autres. De plus, on évalue la possibilité de reporter l’ouverture de la saison de BIXI pour minimiser les risques de contamination. Tout est analysé dans la perspective de freiner la COVID-19 et de protéger la population la plus vulnérable face à la pandémie, a assuré la Dre Drouin.

Les personnes de 70 ans et plus ainsi que celles qui sont atteintes de maladies chroniques, par exemple, sont au cœur des préoccupations. Une multiplication de foyers d’éclosion dans les résidences de personnes âgées et les CHSLD a été constatée : 13 résidences ont plus de deux cas d’infection et trois CHSLD présentent des éclosions jugées importantes. À travers le Québec, il s’agit de 519 établissements de personnes âgées où l’on compte au moins un cas de contamination.

La Dre Drouin a également souligné que l’on tente de mettre en place des mesures pour éviter que le personnel soignant travaille dans plus d’une résidence pour personnes âgées afin d’éviter d’introduire le virus à l’intérieur d’un établissement, puis dans un autre.

Montréal

Vers une fermeture des parcs ?

À partir de samedi, le mercure franchira la barre des 10 °C. Estimant que les citoyens ne restent pas tous à deux mètres les uns des autres, la mairesse Valérie Plante commence à évoquer la possibilité de fermer les parcs si les comportements délinquants se poursuivent. 

À l’approche des beaux jours, « je demande à tout le monde de ne pas envahir les parcs, a insisté mercredi Mme Plante. La dernière chose que l’on veut, c’est de devoir les fermer. Mais, malheureusement, si les règles ne sont pas respectées, on va devoir le faire ».

« S’il est nécessaire de commencer à donner des contraventions, on va commencer à en donner, a renchéri le premier ministre François Legault. Je sais que Valérie Plante songe à fermer certains parcs, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée. Il faut absolument éviter les rassemblements dans les parcs. »

La Presse – particulièrement ses photographes – sillonne Montréal depuis le début de la crise. Lors des récentes journées ensoleillées, mais frisquettes, la distanciation sociale était presque parfaitement respectée sur les trottoirs et dans les parcs de quartier de la ville.

Très bondés les fins de semaine, le parc La Fontaine, comme l’a déploré la comédienne et animatrice Anaïs Favron, et le mont Royal –, comme dit l’avoir observé de visu la mairesse Plante, semblent les plus problématiques.

Les adeptes de la course à pied se croisent et se dépassent à contresens, souvent sans respecter les deux mètres requis.

À l’inverse, au parc Maisonneuve, « les gens gardent leurs distances et s’arrêtent pour laisser les gens passer, les sentiers sont larges », faisait observer mercredi Alexandre Brassard, qui s’y trouvait avec Maude Bernard et leurs trois enfants.

Le couple trouverait vraiment dommage que les parcs soient fermés en raison de quelques récalcitrants, « mais si les gens sont incapables de comprendre et de respecter les mesures de distanciation », Mme Bernard, qui est infirmière, y serait favorable.

Francine Dupuis, elle aussi rencontrée au parc Maisonneuve mercredi lors de sa marche quotidienne avec son conjoint, a admis qu’elle serait très déçue d’être privée de ce petit plaisir. « Quand il fera très beau, ça affecterait beaucoup de gens, surtout les familles qui habitent dans de petits espaces et qui ont besoin de sortir. »

Au Service de police de la Ville de Montréal, on indique n’avoir aucune donnée à transmettre sur le nombre de passants qui ont dû être interpellés ou mis à l’amende parce qu’ils ne respectaient pas la règle d’un à deux mètres de distance.

Les personnes qui refusent de respecter l’ordonnance sont passibles d’une amende allant de 1000 $ à 6000 $ et elles peuvent être mises en détention.

« Si on constate qu’un parc est plein, il ne faut pas aller y marcher, a martelé la mairesse Plante. On évite les lieux publics, a-t-elle répété. On évite les foules, on garde nos deux mètres de distance avec les gens, sauf pour notre famille immédiate. »

Me Martine Valois, spécialisée en droit public, signale qu’étant donné l’état d’urgence qui a été décrété, « les autorités peuvent interdire l’accès à tout lieu de rassemblement, ce qui inclut les parcs et les rives du Saint-Laurent et de la rivière des Prairies qui sont de compétence provinciale ».

Un air de ville fantôme

Les parcs à chiens et les jardins communautaires s’ajoutent à tout ce qui est fermé, donnant à la ville en général un air de ville fantôme.

Devant les pharmacies et les épiceries, lorsqu’il y a file d’attente, les clients gardent scrupuleusement leur distance, a-t-on pu observer.

Dans Saint-Henri, un homme a été vu, sortant d’une toilette chimique à la porte couverte de messages rappelant aux usagers de se laver les mains. De telles toilettes chimiques demeurent ouvertes en ville.

Des regroupements de sans-abri peuvent être aperçus, mais c’est essentiellement le cas autour des cinq centres de jour extérieurs mis en place par les autorités à leur intention (à la place Émilie-Gamelin, au parc Jeanne-Mance, face à l’ancien Forum, par exemple).

Sur la voie publique, de rares sans-abri continuent d’interpeller les automobilistes pour avoir de l’argent.

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