Chronique

Une fois toutes les deux générations

Sur les 150 ans de l’histoire politique moderne du Québec, ces choses-là arrivent une fois toutes les deux ou trois générations. Un nouveau parti émerge, casse le moule, tasse un « vieux » parti et prend le pouvoir. L’Union nationale en 1936. Le Parti québécois en 1976. Et 42 ans plus tard, cette Coalition avenir Québec.

C’est vrai, François Legault a « marqué l’histoire », comme il l’a dit hier soir. Dans un système parlementaire qui éjecte les petits partis, s’imposer, s’incruster et prendre le pouvoir n’est pas une mince affaire. François Legault a repris là où Mario Dumont et son Action démocratique du Québec (ADQ) avaient abandonné. Dumont avait quitté le Parti libéral avec d’autres nationalistes pour fonder ce parti de la « troisième voie » en 1994. Il a réussi à devenir l’opposition officielle en 2007, après 13 longues années… pour s’effondrer et retomber en troisième place un an plus tard.

On aurait pu penser que la force de la gravité parlementaire ferait partir la CAQ aussi vite, après une illusoire percée. Ce ne serait pas le premier parti nationaliste conservateur à vivoter pendant quelques années avant de disparaître, de l’Union nationale des années 70 au Crédit social en passant par le bref Parti national populaire de Jérôme Choquette et Fabien Roy. Ce serait une anecdote qui se serait étirée un peu…

En plus du système électoral britannique qui tend à faire disparaître les tiers partis, le Québec a été occupé depuis 50 ans à une grande affaire : la question nationale. Les Ni-Oui-Ni-Non sont tous passés à la trappe. Il fallait choisir son camp.

La Coalition de François Legault, qui prétendait transcender ce vieux clivage, n’a pas trop mal fait en 2012 : 19 députés, 27 % des voix. En 2014, 22 députés, mais seulement 23 % d’appuis. Toujours populaire entre les élections, toujours médiocre le jour du vote. Le modèle binaire des 40 dernières années était tellement difficile à dépasser, peut-être indépassable. C’était donc cette année pour François Legault les élections de la dernière chance. Il y est finalement arrivé, et d’une manière que personne n’avait prévue.

Oui, l’histoire s’est écrite hier.

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Bien sûr, il était question de « changement » et bien des gens ont pu voter simplement pour sortir les libéraux, après plus ou moins 15 ans de pouvoir.

Mais le PLQ devra quand même se demander pourquoi les francophones l’ont déserté. Et ce n’est pas seulement l’usure du pouvoir qui explique cette désaffection massive. N’oublions pas que les libéraux ont piqué plusieurs grands thèmes de la CAQ, le premier étant le ménage des finances publiques.

Sauf que la CAQ a récupéré le nationalisme non souverainiste qu’ont su incarner d’anciens chefs du PLQ, Bourassa, Lesage, Ryan, et qui a été plus ou moins abandonné.

L’effondrement historique du Parti québécois n’est pas un triomphe du Parti libéral. Il ne suffit plus d’être le parti qui ne veut « pas de référendum ». Il y a de la concurrence dans le camp des partis qui ne veulent plus « les vieilles chicanes constitutionnelles ». La CAQ dit la même chose, mais avec un plus gros accent québécois.

Le PLQ ne sait plus incarner une certaine vision de la seule nation de langue française en Amérique. Les libéraux ont pris l’habitude de se définir par opposition au PQ. Mais là ? Qui sont-ils ?

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On ne sait pas encore comment cette « coalition » gouvernera ni si son succès sera durable. On sait qu’elle va flirter avec les thèmes identitaires, c’est clairement dans l’équation de son succès.

Mais François Legault n’est pas pour autant Doug Ford. D’abord, il a déjà gouverné dans des postes clés. Ensuite, malgré toutes les lacunes qu’il a exposées pendant la campagne, il n’a pas le côté erratique et imprévisible du nouveau premier ministre ontarien. Il gouvernera sans doute à droite, mais plus près du centre. Parce qu’il est moins à droite sur le plan personnel, et parce que le Québec n’est pas l’Ontario.

Contrairement à l’équipe de Dumont en 2007, le nouveau premier ministre a dans la sienne plusieurs députés qui, à défaut de grande expérience politique, ont prouvé leur compétence dans leur vie professionnelle, les Christian Dubé, Lionel Carmant, Isabelle Charest, etc.

Il leur reste à démontrer qu’ils n’ont pas seulement participé à un grand accident historique, mais qu’ils présidaient à un événement qui marque véritablement une nouvelle étape de notre vie politique, ce 1er octobre 2018. Comme il y a eu un avant et un après 15 novembre 1976. Pour le meilleur ou pour autre chose.

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