Recherche et innovation

Faire de la SQRI un projet de société

Le Conseil de l’innovation du Québec, formé en décembre dernier, mène actuellement des consultations sur la prochaine Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI). L’édition de La Presse du 27 juin dernier rappelait l’importance de cette consultation, tant dans l’éditorial de Philippe Mercure que dans le texte d’opinion de Catherine Beaudry. Effectivement, la prochaine SQRI sera d’une grande importance et nous ne pouvons qu’agréer le souhait « que la recherche soit canalisée vers nos problèmes de société ».

Cependant, si elle ne consiste qu’à « connecter les cerveaux » des chercheurs et des entrepreneurs, il y a bien peu de chance qu’elle soit à la hauteur des enjeux actuels : il faut plutôt en faire un projet de société.

Face aux défis actuels et à venir, que ce soit l’urgence climatique, l’accroissement des inégalités, le vieillissement de la population ou encore la réconciliation avec les Premières Nations, il ne suffit pas de miser sur l’innovation technologique. Transformer nos manières de nous déplacer, de consommer, de produire, de soigner, de nous loger implique surtout des innovations sociales de grande ampleur, qui transforment nos comportements collectifs et individuels, nos cadres culturels, nos rapports aux autres et à l’environnement. Les innovations technologiques reposent aussi sur des innovations sociales pour passer de l’invention à leur appropriation collective.

La spécificité des innovations sociales est qu’elles ne naissent pas dans les laboratoires et ne visent pas nécessairement la commercialisation, même si elles peuvent avoir un impact économique de grande ampleur. En effet, elles naissent par la mobilisation collective au sein de notre société, pour répondre à un besoin, une aspiration, un idéal. Historiquement, une foule d’expérimentations au Québec ont permis de développer de nouveaux services, de nouvelles façons d’entreprendre, souvent à bout de bras, peu reconnues et peu financées : pensons aux premiers CPE hier ou aux cliniques de santé autochtones aujourd’hui, en passant par les organismes d’économie sociale ou les initiatives de transition écologique, engagés dans le développement local.

La recherche sur les innovations sociales a joué un rôle important depuis 40 ans pour systématiser les connaissances issues de ces innovations et favoriser leur appropriation, souvent par des dispositifs de recherche partenariale très innovants, où le Québec a fait figure de pionnier. Doit-on réduire l’impact de ces innovations sociales à leur potentiel de commercialisation ?

Les trajectoires d’innovations sociales se caractérisent davantage par la collaboration et l’action collective, plutôt que par la concurrence et la mise en marché.

Et c’est ce chemin parcouru ensemble, avec ses embûches et ses chemins de traverse, qui génère aussi en soi des effets élargis, lorsque des individus apprennent à collaborer, à créer des liens de confiance, se forgent une identité commune ou une conscience territoriale partagée, construisent de nouvelles connaissances et expérimentent de nouvelles pratiques.

Dans cette genèse des innovations sociales, la recherche joue un rôle de liant, sur le modèle d’un savoir ouvert et partagé, plutôt que clôturé par des brevets. En effet, les processus d’innovations sociales s’appuient sur la coconstruction des connaissances et la coproduction des pratiques, dynamisant la relation entre chercheurs et chercheuses et praticiens et praticiennes. Ceci invite à une conception du rôle des universités et de la recherche plus ambitieuse que les seuls impératifs du « publish or perish » et des classements internationaux. Ceci nécessite aussi d’enrôler la société dans la recherche et l’innovation, que ce soit par une diffusion approfondie de la culture scientifique, par le développement des dispositifs de liaison et de transfert entre milieu de la recherche et milieu de pratique, mais aussi par l’ouverture des budgets de recherche et développement (R-D) aux organismes de la société civile, au-delà des établissements d’enseignement supérieur et des entreprises.

Enfin, faire de la stratégie de la recherche et de l’innovation un projet de société, c’est saisir à quel point ces innovations sociales ont le potentiel de transformer la vie des citoyen.nes, mais aussi celle des entreprises privées et des services publics.

La souveraineté alimentaire ou sanitaire, l’avenir des territoires ruraux, le logement décent, la reconversion écologique, la justice sociale ou encore l’intégration du numérique sont autant de chantiers qui nécessitent de miser sur notre intelligence collective et qui mobiliseront tant les acteurs publics (y compris les municipalités), les entreprises, le monde de la recherche que le milieu syndical, le secteur communautaire, de l’économie sociale et du développement territorial.

Pour toutes ces raisons, nous nous félicitons que le thème de l’innovation sociale fasse partie des thèmes récurrents abordés lors des consultations par le Conseil de l’innovation. Mais l’innovation ne doit pas être cantonnée à un « supplément d’âme » de notre modèle de recherche et d’innovation classique. Elle constitue au contraire une matrice centrale pour notre stratégie d’innovation et de recherche, afin de produire les transformations collectives, à la fois économiques, sociales et environnementales, qu’impliquent les enjeux du XXIe siècle.

* Sylvain A. Lefèvre est directeur du Centre de recherche sur les innovations sociales et Vincent van Schendel est président du Réseau québécois en innovation sociale.

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