Whitehorse, des cases à la scène
Il y a eu Paul à Québec qui a fait l’objet d’un film. Red Ketchup qui est depuis peu le héros d’une série animée. Mais de mémoire de journaliste amatrice de bédés, jamais un album québécois n’a fait l’objet d’une adaptation théâtrale. La glace est cassée avec l’arrivée de Whitehorse sur les planches.
Avant d’être une pièce de théâtre et une bande dessinée publiée aux éditions Pow Pow, Whitehorse a d’abord été une nouvelle, née de l’imagination fertile d’un cégépien du nom de Samuel Cantin, qui venait juste d’apprendre qu’il avait une jambe plus courte que l’autre. Souffrait-il d’un nouveau syndrome qui transformait peu à peu son corps ?
« Cette histoire m’a servi d’inspiration de départ, lance le bédéiste. J’ai ressorti la nouvelle après quelques années pour en faire une BD à laquelle j’ai greffé une histoire d’amour. C’est un peu biographique. J’avais envie de parler du milieu artistique dans lequel je me suis souvent retrouvé. »
La bande dessinée raconte les déboires d’Henri, écrivain à la dérive, qui se consume de jalousie en voyant sa blonde Laura participer au prochain film du libidineux cinéaste Sylvain Pastrami. Comme si ce n’était pas assez, la Dre Von Strudel lui a diagnostiqué un mal inédit : « le syndrome de la tortue » qui le rendra difforme dans deux ans…
Ce récit juste assez décalé a inspiré les acteurs Guillaume Laurin et Sébastien Tessier pour une scène d’audition chez Duceppe. « Au lieu de présenter du Tchekhov, on s’est dit : on adapte une scène de Whitehorse », lance Sébastien Tessier, qui incarne Henri dans le spectacle. L’idée a fait mouche et sitôt leur audition terminée, Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique chez Duceppe, leur a proposé d’adapter l’album en entier.
Irrévérencieux et malaisant
Sébastien Tessier l’avoue sans détour : il a eu un vrai coup de foudre en lisant Whitehorse pour la première fois. « J’ai eu un coup de cœur pour l’humour des dialogues, qui sont très théâtraux, explique l’acteur. C’est rare pour moi de rire à voix haute en lisant un livre ! »
Comment décrirait-il l’humour du bédéiste ? « Farfelu, cru, irrévérencieux, touchant, malaisant », énumère Sébastien Tessier.
L’adaptation théâtrale de Whitehorse s’est faite à six mains, Samuel Cantin ajoutant sa plume à celles de Sébastien Tessier et de Guillaume Laurin. « Quand les gars m’ont contacté, j’ai dit oui tout de suite. C’est comme un rêve qui se réalise pour moi », dit le dessinateur. L’équipe est allée chercher un grand passionné d’humour absurde, Simon Lacroix, pour se charger de la mise en scène.
« Sa compagnie Projet Bocal est l’une des rares au Québec à se concentrer sur la comédie. Avec lui, on travaille les subtilités comiques et le rythme si important en comédie », estime Sébastien Tessier.
Ce dernier insiste toutefois : la pièce Whitehorse n’est pas qu’une longue suite de gags.
« C’est du théâtre réaliste, avec des scènes très touchantes, qui sont suivies par des scènes absurdes jouées gros. »
— Sébastien Tessier, interprète et dramaturge
En effet, lorsqu’on demande à Samuel Cantin de nommer ses influences pour cet album, il ne cite pas les Monty Python ou Le cœur a ses raisons. « J’aime beaucoup les comédies romantiques comme celles de Woody Allen ou encore Modern Romance d’Albert Brooks. On m’a déjà dit qu’il y avait une parenté entre Whitehorse et Crime et châtiment de Dostoïevski. Or, c’est mon livre préféré… »
N’empêche, on rit davantage devant les œuvres signées Samuel Cantin qu’en lisant Dostoïevski. Or, qu’est-ce qui fait rire le bédéiste ?
« Les malaises, les jokes qui ne lèvent pas, les gens incapables d’avoir du recul sur eux-mêmes… C’est hilarant ! Quand j’étais au secondaire, j’ai découvert la version britannique de The Office. J’ai eu l’impression que c’était écrit pour moi… »
— Samuel Cantin, bédéiste
Avec le duo comique Brick et Brack, qu’il a créé avec François Ruel-Côté, Sébastien Tessier pratique aussi activement l’humour malaisant. « C’est un tout autre médium, toutefois. On est dans l’humour de stand-up, l’humour concept. Dans Whitehorse, il y a une histoire à suivre, des dialogues qui servent de liant. »
Samuel Cantin se défend d’avoir voulu régler ses comptes avec le milieu cinématographique, qu’il connaissait somme toute assez peu quand il a écrit son album. « Mais il y a dans le milieu du cinéma un phénomène de gang qui est le fun à décrire… » D’ailleurs, le bédéiste travaille déjà sur la suite de Whitehorse où l’action se passe, cette fois-ci, dans le milieu littéraire.
Il y aura sans doute quelques ego égratignés au passage…