« Un demi- Hydro-Québec » à bâtir

Dans son discours d’ouverture, le premier ministre François Legault a livré son plan de match pour les quatre prochaines années, qui s’articule autour des thèmes chers à son parti : l’immigration, la défense du français et l’économie, notamment. Et il a insisté pour tenir un « vrai débat de société » sur l’avenir énergétique du Québec, passant par la construction de nouveaux barrages.

Les grands chantiers de Legault

Québec — François Legault fait le pari qu’il peut réduire l’écart de richesse entre le Québec et ses voisins tout en accélérant le chantier pour une transition économique verte. Pour y parvenir, il veut un « vrai débat de société » sur l’avenir énergétique du Québec, ce qui relance le débat sur la construction de nouveaux barrages. Sur le thème de l’identité, le premier ministre mise sur l’immigration francophone pour mettre fin au déclin du français. Survol du discours d’ouverture.

Environnement et énergie : des barrages pour la transition énergétique

François Legault veut un « vrai débat de société » sur l’avenir énergétique du Québec, et milite en faveur de la construction de barrages pour réussir le défi de la transition énergétique. Une décision devra être prise d’ici 2026.

Hydro-Québec, qui produit actuellement 200 TWh d’énergie, devra augmenter sa production de 100 TWh d’ici 2050 « pour électrifier l’économie du Québec ». « Le défi qu’on a […], c’est de bâtir un demi-Hydro-Québec », a résumé M. Legault.

« Il faut envisager sérieusement la construction de nouveaux barrages. […] On va avoir des décisions importantes à prendre dans le prochain mandat. »

— François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault a souligné qu’il faut compter « à peu près 15 ans » entre l’annonce d’une centrale hydroélectrique et sa mise en service.

À son avis, l’éolien et l’efficacité énergétique ne suffiront pas à eux seuls. Il a également tenté de recadrer le débat sur la lutte contre les changements climatiques, un talon d’Achille pour son gouvernement. Le Québec, dit-il, émet moins de gaz à effet de serre (GES) par habitant que les États-Unis, et deux fois moins que le Canada dans son ensemble. M. Legault a affirmé qu’il ne faut pas être « dogmatique » quant à la cible de réduction d’émissions de GES du Québec de - 37,5 % d’ici 2030. « On part déjà à la moitié de l’Amérique du Nord, il faut en tenir compte », a dit le premier ministre.

Il dit que la lutte contre les changements climatiques est un défi « emballant », mais que, pour que les Québécois « embarquent dans ce grand projet de transition énergétique », ils doivent en tirer de la prospérité. M. Legault mise sur la filière des batteries et des minéraux critiques pour enrichir le Québec.

Langue française : « un enjeu existentiel »

François Legault reconnaît que la loi 96 adoptée lors du dernier mandat, laquelle modernise la Charte de la langue française, ne suffira pas à inverser le déclin du français au Québec. Le premier ministre juge qu’il s’agit d’un « enjeu existentiel », déplorant que la proportion de personnes qui parlent le plus souvent en français à la maison soit passée de 82,3 % à 77,5 % entre 2001 et 2021.

Pour mesurer les effets de sa politique linguistique, il promet de mettre en place un tableau de bord qui réunira des statistiques sur l’évolution de la situation du français, sans devoir attendre les données fournies par Statistique Canada. Et pour inverser la tendance, M. Legault mise désormais sur l’immigration. Il promet que 100 % des immigrants économiques sélectionnés par le Québec seront francophones ou francotropes d’ici 2026. « Avant même d’aller demander plus de pouvoirs à Ottawa, il faut que nous, on en fasse plus en matière d’immigration. […] Il y a un lien indéniable entre la politique d’immigration et la vitalité de la langue française », a-t-il dit. M. Legault veut également augmenter le nombre d’étudiants étrangers qui fréquentent les cégeps et les universités francophones.

Économie : le défi de l’emploi

Dans son discours-fleuve, François Legault a évidemment parlé de son « obsession » : « réduire », puis « éliminer l’écart de richesse avec nos voisins ». Pour y arriver, il faudra faire face à un important défi : le manque de bras.

« Je m’attends dans les prochains jours à avoir beaucoup de questions sur la pénurie de main-d’œuvre », a-t-il lui-même reconnu. Il a rappelé les différentes initiatives que son gouvernement a annoncées en 2019 et en 2020 : des bourses pour attirer les étudiants en génie, en santé ou en éducation, par exemple, ou des programmes de requalification.

Car le premier ministre prédit un « chambardement important » dans le marché du travail, au détriment des entreprises qui offrent de moins bons salaires. « Les Québécois, puis c’est une bonne nouvelle pour eux autres, vont aller vers les industries où il y a des emplois mieux payés. C’est normal, c’est bon pour eux autres, mais ça va poser un défi de transition. Puis on va accompagner les Québécois là-dedans, entre autres du côté de la requalification », a-t-il dit. Sans préciser sa vision, il a affirmé qu’il fallait « moderniser le secteur de la construction ». « Il ne manque pas d’emplois, il manque des employés. Donc, j’invite les partenaires du monde de la construction, incluant les syndicats, à avoir une nouvelle approche », a-t-il dit.

Santé : « il ne faut pas être dogmatique »

Dans le seul moment où il a visé un chef de l’opposition mercredi, François Legault s’est tourné vers Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, pour lui dire qu’il « ne faut pas être dogmatique » quand vient le temps de repenser le système de santé au Québec. Le premier ministre réitérait alors son engagement à mettre en place deux « mini-hôpitaux privés », soit des centres médicaux privés à mi-chemin entre un groupe de médecine familiale et un hôpital, pour traiter des cas mineurs qui n’ont pas besoin d’aller aux urgences. Les patients paieraient avec leur carte d’assurance-maladie, a dit le premier ministre.

La croissance rapide des dépenses dans le système de santé a été longuement détaillée dans le discours d’ouverture. M. Legault a une fois de plus visé le gouvernement fédéral pour qu’il augmente à 35 % sa part du financement. En éducation, le premier ministre a reconnu à quel point l’enjeu de la rareté de main-d’œuvre frappe durement ce secteur. Il a répété qu’il fallait du temps pour former plus d’enseignants. M. Legault a également promis de poursuivre le chantier de la rénovation des écoles, alors que de nombreux établissements sont vétustes.

L’opposition multiplie les critiques

Rien de plus contre l’inflation, dénonce le PLQ

Le Parti libéral du Québec s’est dit « déçu » du discours d’ouverture du premier ministre, qui contenait à leurs yeux « très peu de nouvelles mesures » pour aider les Québécois à combattre l’inflation. Les libéraux affirment que la « déception est particulièrement forte » sur les sujets comme le coût de la vie, la santé et la pénurie de main-d’œuvre. « Ça me dit que le premier ministre s’enligne pour que l’on continue à ne pas avoir de résultats ni de mesures concrètes [dans son nouveau mandat] », a déploré le chef libéral par intérim, Marc Tanguay. — Fanny Lévesque, La Presse

Legault « obsédé » par l’Ontario, déplore QS

Québec solidaire déplore que François Legault échoue en ce qui concerne la crise climatique et le coût de la vie. Le premier ministre est « obsédé » par l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario, mais « les inégalités à l’intérieur du Québec, ça l’intéresse pas mal moins », a dénoncé le chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois. « Ce qui s’en vient pour des familles au Québec, c’est un Noël difficile, un Noël avec des choix déchirants, et on était en droit de s’attendre à de nouvelles annonces », a-t-il lancé. Sur le front climatique, le gouvernement Legault « tient le même vieux discours » et « prend les comparaisons qui l’arrangent ». — Fanny Lévesque, La Presse

Un « désaveu » de la loi 96, dit le PQ

Bien qu’il dise vouloir « laisser la chance au coureur », le Parti québécois estime que François Legault a « désavoué » sa loi 96 sur la protection de la langue en affirmant que les mesures actuelles ne sont pas « suffisantes » pour inverser le déclin du français. Selon la formation politique, le premier ministre change « subitement » de discours au sujet du français et de l’immigration. « On va collaborer, mais c’est un revirement difficile à expliquer, c’est un désaveu de la loi 96 et on va espérer qu’au-delà des déclarations, on avance en matière de politiques publiques », a fait valoir le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon.

— Fanny Lévesque, La Presse

Immigration 100 % francophone

Fitzgibbon veut des exceptions

Québec — Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en appelle au réalisme et estime que la cible d’immigration 100 % francophone annoncée par le premier ministre doit laisser une place à des exceptions, notamment dans la filière batterie. Cette sortie est appuyée par le Conseil du patronat.

« Ça serait le fun d’avoir 100 %. Mais il faut être réaliste et balancer ça avec les besoins », a lancé M. Fitzgibbon à l’entrée du Conseil des ministres mercredi.

La veille, François Legault avait annoncé qu’il souhaitait que l’immigration contrôlée par Québec soit 100 % francophone d’ici 2026 pour stopper le déclin du français.

M. Fitzgibbon, qui est aussi ministre de l’Énergie, estime toutefois qu’il faudra prévoir des exceptions pour des domaines de pointe, comme des emplois d’experts dans la filière batterie. « Il faut y aller par cas. Par exemple, dans la filière batterie, il y a des Coréens qui sont ici avec [l’entreprise] POSCO. Il faut faire des exceptions. Il faut faire attention de mettre des règles générales », a-t-il lancé.

« Chaque cas est différent. Il faudrait regarder avec les expertises qui ne sont pas dans les pays francophones », a-t-il ajouté.

Prudence partagée

Ce point de vue est partagé par le Conseil du patronat. « Sincèrement, ce que moi j’ai entendu, c’est qu’on tende vers le 100 %. Ce qui en soi n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. On souscrit aux préoccupations du gouvernement », affirme le président du lobby, Karl Blackburn, en entrevue avec La Presse.

Il espère toutefois que le gouvernement se livrera à une « réflexion importante » avant de changer les règles du jeu.

« Dans une [répartition] trop rigide, on pourrait se priver de talents importants pour les entreprises québécoises. »

— Karl Blackburn, président du Conseil du patronat

Il cite de son côté les domaines de l’intelligence artificielle, du génie, de la santé et des jeux vidéo, où des allégements pourraient être nécessaires. Ces entreprises ont « besoin de talents, peu importe où ils se trouvent [sur la planète] », a expliqué M. Blackburn.

Un grand bassin francophone, réplique Fréchette

De son côté, la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, tient un tout autre discours. « Il faut prendre conscience qu’il y a plus de 320 millions de locuteurs francophones. Je ne peux pas croire que parmi ces 320 millions, ceux qui voudront immigrer, il n’y en a pas suffisamment qui correspondent aux besoins, aux profils », a-t-elle lancé.

Mme Fréchette a également précisé que la cible fixée par M. Legault est une immigration 100 % francophone ou francotrope, c’est-à-dire « parl[ant] une langue latine pour laquelle des transferts linguistiques s’opèrent plus facilement vers le français ».

« Est-ce que les francophones vont suffire à répondre à notre demande ? Faudra-t-il viser des pays francotropes ? C’est ce qu’on va voir à l’usage. »

— Christine Fréchette, ministre de l’Immigration

Elle a souligné que son ministère tiendra une consultation en 2023 pour « débattre de la planification pluriannuelle » et que plusieurs enjeux seront soulevés, notamment les seuils d’immigrations, la régionalisation et la maîtrise du français par les candidats à l’immigration.

Elle gardera toutefois en tête la mission que lui a confiée le premier ministre : « prendre en considération le déclin qu’il y a en lien avec la langue française » et s’assurer que « notre politique d’immigration va améliorer la situation du fait français ».

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