Chronique

Un crédit ? Non merci !

Un contrat, c’est un contrat. Point à la ligne. Quand un commerce n’est pas capable de livrer le produit que son client a commandé, il doit le rembourser. Ça tombe sous le sens, non ?

Mais les voyagistes et les transporteurs aériens ne le voient pas de cet œil.

Plusieurs refusent de rembourser les clients dont les vols ou les vacances ont été annulés ou vont l’être au cours des prochaines semaines à cause de l’épidémie de COVID-19.

À la place, ils leur offrent un crédit valide pour un autre voyage d’ici un an ou deux. C’est comme s’ils exigeaient que leurs clients les financent en cette période de crise. Or, beaucoup de consommateurs qui viennent de perdre leur emploi n’ont pas le luxe de laisser leur argent dormir dans les coffres d’une grande entreprise. Ils en ont besoin pour faire l’épicerie.

Alors un crédit ? Non merci !

Surtout qu’à cause de ce fameux crédit, certaines compagnies d’assurances refusent d’indemniser les clients qui avaient pourtant une couverture en cas d’annulation de voyage.

Bref, tout le monde se jette la pierre. Personne ne veut encaisser la perte. Et les clients restent pris avec le problème. De nombreux consommateurs m’ont fait part de leur désarroi.

Parmi eux, André et Hélène Chèvrefils, de Châteauguay, qui devaient partir pour deux semaines dans un tout-inclus au Mexique, à partir du 14 avril.

Avec les frontières fermées et les mesures de confinement exceptionnelles, bien sûr, Vacances Transat a annulé leur voyage qui avait coûté environ 5000 $. Pourtant, la compagnie n’offre pas de remboursement.

« Nous avons pris des mesures exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles de force majeure, en permettant à nos clients d’utiliser un crédit pendant 24 mois », m’a répondu la porte-parole de Transat, Debbie Cabana.

Les autres transporteurs comme Air Canada, WestJet et Sunwing ont des politiques semblables.

Mais Mme Chèvrefils préférerait un remboursement pur et simple. Surtout pour sa fille et son conjoint qui devaient les accompagner. « Ils sont deux travailleurs autonomes, avec un bébé en plus. Les 5000 $, ils les auraient pris maintenant », dit Hélène Chèvrefils.

Son mari et elle ont tenté de se faire indemniser par le programme d’assurance-voyage de leur carte de crédit Desjardins. Mais la couverture ne s’applique pas.

« Nous considérons comme un remboursement les crédits-voyage émis par un fournisseur de services de voyages », précise une petite clause à travers les 60 pages du guide d’assurance des cartes de crédit Or Odyssée, Or Voyages et Odyssée World Elite Desjardins.

Donc, pas d’indemnisation. Ah, les satanées exclusions des contrats d’assurance !

Alors, quoi d’autre ?

En théorie, les clients qui ont acheté leur voyage à distance (téléphone, web) avec leur carte de crédit pourraient utiliser la « rétrofacturation » qui est enchâssée dans la Loi sur la protection du consommateur.

Cet outil permet aux consommateurs d’exiger que l’émetteur de leur carte de crédit leur redonne leur argent lorsqu’ils n’ont pas obtenu le service pour lequel ils avaient payé et que le commerçant refuse de les rembourser.

Mais trop souvent, les émetteurs se font tirer l’oreille pour appliquer la loi.

« Desjardins intervient comme un intermédiaire entre le client et le commerçant. Il appartient au commerçant de valider si l’entente contractuelle avait été respectée ou non et s’il désire rembourser », m’a justement répondu la porte-parole de la coopérative, Chantal Corbeil.

Par ailleurs, les clients qui ont fait affaire avec une agence de voyages peuvent aussi présenter une réclamation au Fonds d’indemnisation des clients des agences de voyages (FICAV).

Comme le gouvernement canadien a lancé un avertissement officiel à éviter tout voyage non essentiel, les clients pourraient obtenir un remboursement complet. Mais un doute subsiste…

Qu’en sera-t-il si le transporteur offre un crédit ? « Ce sont des situations juridiques complexes au sujet desquelles il est difficile de se prononcer sans faire une analyse au cas par cas », indique le site web de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Les voyageurs auront du mal à en avoir le cœur net, puisque l’OPC a fermé son centre d’appels. Et même si les consommateurs ont accès au FICAV, ils devront sûrement attendre des lunes avant que leur réclamation soit traitée.

Mais de toute façon, il me semble que les transporteurs ne peuvent pas se défiler ainsi. L’Office des transports du Canada a déjà reconnu « le droit fondamental des passagers à un remboursement pour les parties inutilisées de leurs billets advenant que le transporteur ne soit pas en mesure d’offrir un service », explique Me Réjean Paul Forget, de Perrier Avocats.

Le 20 mars, l’avocat a déposé une demande d’action collective au nom de tous les clients qui n’ont pas pu être remboursés par Transat A.T., Transat Tours Canada (Vacances Transat), Air Canada et Touram (Vacances Air Canada).

Fort bien. Mais cela risque de prendre des années avant d’aboutir et de coûter des sommes colossales en frais d’avocats.

Vraiment, il serait beaucoup plus simple que les transporteurs offrent un remboursement dès maintenant à leurs clients. Car c’est maintenant qu’ils en ont besoin. Maintenant que le gouvernement est obligé de fournir des prestations d’urgence pour venir en aide aux ménages en détresse.

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