Analyse

Déficits fédéraux, d’un Trudeau à l’autre

Ottawa — Depuis son entrée en politique, Justin Trudeau a multiplié les gestes pour se démarquer de son père, Pierre Trudeau, sans toutefois renier le plus important legs de l’ancien premier ministre, l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982.

À titre d’exemple, Justin Trudeau a choisi Calgary comme toute première destination en octobre 2012 après avoir annoncé qu’il briguait la direction du Parti libéral du Canada. Il s’y était rendu pour critiquer le Programme énergétique national, adopté par le gouvernement libéral de Pierre Trudeau en 1980.

Ce programme, qui avait provoqué la colère des Albertains, avait pour objectif de contrer la flambée des prix du pétrole du Proche-Orient, d’assurer l’approvisionnement pancanadien et de mieux répartir les retombées économiques de l’or noir au pays.

« Il est mauvais d’utiliser nos richesses naturelles pour diviser les Canadiens. C’était la mauvaise manière de gouverner dans le passé. C’est mauvais aujourd’hui. Et ce sera mauvais dans l’avenir. […] Je n’utiliserai jamais les richesses de l’Ouest comme outil de division afin de gagner des votes dans l’Est », avait alors déclaré Justin Trudeau.

S’il a pris soin de dénoncer les conséquences de ce programme, qui fut aboli par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney après son arrivée au pouvoir en 1984, il appert que Justin Trudeau suit les traces de son père en ce qui a trait à la hausse annuelle des dépenses du gouvernement fédéral par habitant.

Une récente étude publiée par l’Institut Fraser démontre en effet que le gouvernement de Justin Trudeau a augmenté les dépenses d’Ottawa par personne de 5,2 % en moyenne par année.

Son père, qui, selon plusieurs observateurs de l’époque, avait peu d’intérêt pour les questions économiques, a pour sa part majoré annuellement les dépenses fédérales de 4,5 % en moyenne par habitant durant ses années de pouvoir, toujours selon l’étude de l’Institut Fraser.

Résultat : Justin Trudeau se classe au troisième rang à ce chapitre parmi les premiers ministres qui ont gouverné le pays depuis la Seconde Guerre mondiale, après Louis Saint-Laurent (7,0 %) et Lester B. Pearson (5,3 %).

Les premiers ministres les moins dépensiers durant les 70 dernières années ? Brian Mulroney et Jean Chrétien remportent la palme, eux qui ont tous les deux réduit les dépenses annuelles par personne de 0,3 % durant leur règne respectif. « J’étais vu comme le premier ministre le plus dépensier à l’époque par des gens comme Preston Manning et Stephen Harper. Ils me traitaient de tous les noms. Mais on voit que cette étude démontre que c’était tout à fait le contraire », affirmait récemment à La Presse l’ancien premier ministre Brian Mulroney.

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis des déficits modestes de 10 milliards de dollars afin d’investir massivement dans les projets d’infrastructures, entre autres choses. Ils avaient aussi promis un retour à l’équilibre durant la dernière année d’un premier mandat, en 2019. Ces promesses n’ont pas été respectées. Le déficit frise les 25 milliards depuis que les libéraux sont arrivés au pouvoir. Il devrait être de 23,4 milliards en 2019-2020. Et le ministre des Finances, Bill Morneau, refuse maintenant de préciser quand le gouvernement fédéral mettra fin à l’encre rouge.

Interrogé en fin de semaine par le réseau Global dans le cadre de l’émission The West Block, Justin Trudeau a refusé net de dire quand son gouvernement éliminera le déficit. « Le problème demeure le même. Le pays doit avoir une meilleure croissance économique après 10 ans de piètre croissance sous le gouvernement Harper. Nous devons mettre de l’argent dans les poches de la classe moyenne et c’est exactement ce que nous sommes en train de faire », a-t-il insisté.

Si les libéraux sont toujours en tête dans les intentions de vote alors qu’ils arrivent à mi-mandat, des voyants jaunes apparaissent sur leur tableau de bord.

D’abord, un sondage Angus Reid publié la semaine dernière démontre que de plus en plus de Canadiens sont inquiets de voir le gouvernement fédéral s’enliser dans l’ornière des déficits. Selon la firme, 24 % des Canadiens jugent que le déficit est l’enjeu le plus important, ce qui représente un bond de sept points de pourcentage en un an. Ce dossier arrive maintenant au deuxième rang des préoccupations des Canadiens, après l’état de l’économie (30 %) et devant l’avenir des soins de santé (23 %).

Ensuite, un sondage Nanos rendu public cette semaine révèle que l’avance du Parti libéral du Canada dans les intentions de vote a diminué ce printemps, ne s’établissant qu’à un peu plus de six points. Si des élections fédérales avaient lieu aujourd’hui, le PLC récolterait 37,5 % des voix, le Parti conservateur, 30,9 % et le Nouveau Parti démocratique (NPD), 16,5 %.

Prenant acte de l’humeur des Canadiens, le nouveau chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a multiplié les attaques contre Justin Trudeau et sa gestion des finances publiques au cours des dernières semaines.

En coulisses, les stratèges conservateurs affirment que l’armure de Justin Trudeau résiste encore fort bien aux égratignures, que le premier ministre demeure populaire auprès de l’électorat à deux ans et demi du prochain scrutin. Mais d’autres se rappellent aussi que la Trudeaumanie qui avait balayé le pays en 1968 et porté Pierre Trudeau au pouvoir pour la première fois s’est estompée après un premier mandat. En 1972, celui qui semblait imbattable a dû se contenter d’un gouvernement minoritaire. Les libéraux avaient alors remporté 109 sièges, contre 107 sièges pour le Parti progressiste-conservateur, 31 sièges pour le NPD et 15 sièges pour le Crédit social. L’économie et la gestion des finances publiques avaient alors pesé lourd dans la balance électorale.

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