COP15 à Montréal

L’essentiel est invisible et sous nos pieds

On a souvent cette impression, nous les humains, que ce sont les plantes qui nous nourrissent. Ce n’est pas entièrement faux, mais l’équation est incomplète… une variable des plus importante et fascinante en est bien souvent évacuée. Cette variable est invisible et se trouve sous nos pieds : le sol.

C’est le sol qui nourrit ce qui nous nourrit et qui constitue, au sens propre et au sens figuré, la fondation de notre santé et de notre vie sur Terre. Pourtant, nous le connaissons si peu.

En cette journée mondiale des sols, nous souhaitons vous inviter à faire plus ample connaissance avec ce patrimoine vivant et nourricier, qui abrite un quart de la biodiversité mondiale !

Un « party » de biodiversité

Commençons avec un peu de science des sols 101 : un sol minéral est constitué d’environ 45 % de particules minérales, 20 % d’air, 30 % d’eau et 5 % de matière organique, et fournit des nutriments aux végétaux pour leur croissance. Or, pour que les nutriments soient assimilables par les plantes, il faut un sol grouillant de vie, où une diversité d’êtres vivants majoritairement invisibles à l’œil nu s’activent.

Un sol vivant est un sol en santé où l’emblématique ver de terre est accompagné dans son travail par des cloportes, myriapodes, arachnides, fourmis, collemboles, acariens, nématodes, protozoaires, champignons et bactéries. Une liste non exhaustive et payante au Scrabble mais qui donne le tournis ! Cette faune aux noms exotiques effectue un travail d’ingénierie colossal et essentiel pour la fertilité d’un sol : elle le structure et l’aère et décompose la matière organique en nutriments assimilables – azote, phosphore, potassium, etc. – dont les plantes et les animaux – dont l’humain – ont besoin pour survivre.

Un seul gramme de sol peut contenir plusieurs millions de bactéries de milliers d’espèces différentes, à 95 % non identifiées à ce jour. C’est dire à quel point la science a encore beaucoup à apprendre sur la biologie des sols vivants.

Cependant, cette science est aussi claire quant à l’état des sols à l’échelle mondiale : plus de 30 % des sols mondiaux sont en mauvais ou en très mauvais état et cette dégradation pourrait réduire de 10 % la production agricole d’ici 2050.

Des sols en santé, une puissante solution

Face aux crises climatiques et de biodiversité, il est impératif de mettre en application les solutions qui permettront de répondre aux besoins des 10 milliards d’humains qui fouleront le sol d’ici 2050. Une avenue ayant fait ses preuves consiste à délaisser les pratiques agricoles intensives pour se tourner vers des pratiques régénératrices permettant d’utiliser le plein potentiel des sols pour résoudre de façon transversale de nombreux enjeux sociaux, environnementaux et économiques.

Un sol en santé gagne en matière organique et séquestre donc plus de CO2, devenant ainsi un puits de carbone pour lutter contre les changements climatiques. Par la présence de davantage de matière organique et l’action de la faune et des micro-organismes, le sol acquiert aussi une meilleure structure, ce qui lui permet d’agir comme une éponge, c’est-à-dire à la fois d’avoir des réserves d’eau en cas de sécheresse et de canicules, tout en absorbant plus aisément les fortes pluies. En résulte un sol qui permet à l’agriculture de s’adapter aux extrêmes climatiques, une nécessité pour espérer maintenir la production alimentaire.

Les pratiques agricoles régénératrices des sols permettent en plus aux agriculteurs de miser sur un sol fertile et productif nécessitant moins d’engrais et de pesticides de synthèse qui, en plus de polluer nos cours d’eau et de risquer de se retrouver dans nos aliments, sont de plus en plus coûteux et dont l’approvisionnement est incertain. En s’en éloignant, on améliore la résilience des fermes et assure notre sécurité alimentaire.

Finalement, côté santé humaine, les études récentes montrent qu’un sol en santé produit des aliments plus nutritifs contenant plus de minéraux, de vitamines et de composés organiques tels que les antioxydants, ce qui contribue à lutter contre la malnutrition et les maladies chroniques.

« On protège ce qu’on aime, et on aime ce qu’on connaît »

Une dame nous racontait récemment que dans certains coins du monde, lorsqu’un individu part vivre à l’étanger, il amène avec lui un peu de sol de son jardin pour pouvoir, s’il est malade, en faire une tisane qui rétablira son microbiote intestinal habituel. Une intimité avec le vivant qui a de quoi nous surprendre !

Équiterre compte d’ailleurs en faire un sujet phare pendant la COP15 sur la biodiversité lors des prochaines semaines : nous devons absolument mettre de l’avant le lien fort entre la biodiversité des sols, la qualité de notre alimentation et notre santé.

Si collectivement on apprenait doucement à connaître le sol et à l’aimer, les mots de Jacques Cousteau se réaliseraient et nous serions plusieurs à sortir dans la rue pour le protéger. Et quand on parle de protéger ce qu’on aime, ça implique de s’attaquer de front à ce qui le menace et, ultimement, le détruit : l’étalement urbain et l’empiètement industriel.

Un petit miracle aux grands bienfaits se déroule en permanence sous nos pieds. Il est tout à notre avantage de le préserver.

* Cosignataires : Nadine Bachand, analyste chez Équiterre ; Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin et chargée d’enseignement à l’Université de Montréal ; Marie-Élise Samson, professeure adjointe en science du sol à l’Université Laval ; Carole Poliquin, réalisatrice du film Hummus

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