De l’aide avant l’essoufflement

L’économie mondiale ralentit et le Québec n’y échappera pas, a prévenu le ministre des Finances, Eric Girard, qui a présenté jeudi sa mise à jour économique. Le gouvernement Legault se prépare ainsi au risque de récession, mais bonifie tout de même son aide aux aînés.

Mise à jour économique du Québec

Un chèque aux aînés et un scénario de récession

Québec — Les nuages sombres à l’horizon forcent le gouvernement Legault à employer le mot commençant par « r » qu’il évitait jusqu’ici. Il se prépare au risque d’une récession qui gonflerait ses déficits, tout en versant comme promis 1,6 milliard de dollars aux aînés afin de les aider à faire face à la hausse du coût de la vie.

« Le haut niveau d’inflation et les taux d’intérêt ralentissent l’économie mondiale, et le Québec n’y échappera pas. Il y a un haut degré d’incertitude autour des prévisions économiques, c’est pour ça qu’on a des provisions pour éventualité », a expliqué le ministre des Finances, Eric Girard, qui a présenté jeudi sa mise à jour économique et budgétaire.

Comme promis, il y déploie le dernier volet du « bouclier anti-inflation » : le montant maximal du crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux aînés passera de 411 $ à 2000 $ par année. Près de 400 000 personnes âgées de 70 ans ou plus supplémentaires pourront toucher le crédit d’impôt, pour un total d’un peu plus d’un million d’aînés. La mesure coûte 1,6 milliard par année ; Québec calcule ainsi que son aide totalise 8 milliards en cinq ans.

Les personnes âgées sont particulièrement touchées par l’inflation, a expliqué le grand argentier du gouvernement. « Les aînés de plus de 70 ans n’ont pas la capacité d’augmenter leurs revenus en fournissant un effort de travail supplémentaire », a-t-il affirmé.

Québec estime que 65 % de l’aide sera versée à des personnes âgées qui ont des revenus inférieurs à 25 000 $ par année.

Pour cette catégorie, le soutien se chiffre à 2000 $. Il est moins élevé pour ceux qui ont des revenus supérieurs à ce seuil : 1210 $ pour une personne seule ayant un revenu de 40 000 $ ; 710 $ pour celle dont le revenu est de 50 000 $, par exemple. Il n’y a pas d’aide au-delà d’un revenu de 63 195 $, toujours pour une personne seule.

Les aînés toucheront cette aide – calculée automatiquement par Revenu Québec – au printemps, à la suite de la production de leur déclaration de revenus pour 2022.

En tenant compte des autres mesures annoncées dernièrement, comme les chèques de 400 $ à 600 $, Québec retourne aux contribuables 5 milliards cette année (13 milliards en cinq ans). Il peut se le permettre grâce aux revenus autonomes supplémentaires qu’il a engrangés avec la bonne performance de l’économie en début d’année et la hausse de l’inflation, plaide-t-il.

Déficit et récession

Dans son rapport préélectoral du mois d’août, le ministre des Finances prévoyait un déficit de 1,6 milliard pour l’année en cours. Dans la mise à jour, avec les dépenses supplémentaires, le trou est maintenant de 5,2 milliards, après les versements au Fonds des générations. Malgré l’incertitude économique, Québec vise toujours un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028.

M. Girard fait preuve de plus d’optimisme que le secteur privé dans sa mise à jour. Il prédit que l’économie du Québec va s’essouffler, passant d’une croissance de 3,1 % en 2022 à 0,7 % en 2023. Son ministère reconnaît cependant que les prévisionnistes des grandes banques ont une vision plus sombre : ils croient en moyenne que la croissance sera presque nulle, à 0,3 %. Le ministre a même affirmé que ses chiffres, qui datent de la mi-octobre, auraient été plus pessimistes en novembre.

Une « forte incertitude […] plane sur ces prévisions ». M. Girard s’est donc inspiré d’Ottawa et de l’Ontario, et a accouché d’un scénario « pessimiste », un plan B en cas de récession. Ce plan B prédit une contraction de 1 % du PIB réel. Pour faire face à ce risque, il met 8 milliards de côté sur cinq ans : 5 milliards pour combler la chute des revenus de l’État, et 2,5 milliards pour « stimuler la relance de l’économie ».

« Dans le scénario alternatif de récession, les ménages et les entreprises feraient preuve d’une grande prudence et limiteraient leurs dépenses de consommation et d’investissement. Cette situation entraînerait un repli de l’emploi et une hausse du chômage », explique le ministère des Finances.

Le calcul est le suivant : la consommation intérieure est le moteur de la croissance économique du Québec, et l’importante hausse des taux d’intérêt frappe fort, tant pour les citoyens que pour les entreprises.

Et c’est là que le gouvernement Legault veut agir en cas de récession, puisqu’il pourrait « intervenir pour stimuler la relance économique par la mise en œuvre de mesures ciblées », à hauteur de 2,5 milliards. Sa première cible : l’industrie de la construction résidentielle, particulièrement touchée par la hausse des taux. Pour pallier le creux de vague, Québec investirait davantage dans le béton et les infrastructures publiques.

M. Girard recadre également la baisse d’impôt promise par la CAQ et qui se retrouvera dans son budget de mars prochain ; elle deviendra un encouragement fiscal « pour stimuler la croissance ».

Aussi bien dans son scénario de base que dans le scénario de récession, on note que le gouvernement ne prévoit pas dans ses documents, pour le moment, qu’il respectera sa promesse électorale d’augmenter d’un demi-point de pourcentage la croissance économique par rapport aux prévisions.

Le ministère des Finances mise toutefois sur une croissance modérée parce qu’il estime que « les consommateurs disposent d’une épargne importante » et qu’il prédit une importante progression salariale causée par la rareté de la main-d’œuvre ; il cite aussi un autre effet positif sur la consommation : les chèques qu’il a envoyés aux citoyens.

Alors qu’il négocie avec les centaines de milliers d’employés du secteur public, le gouvernement Legault souligne que les salaires et traitements ont augmenté de 10,8 % en 2021, de 10,6 % en 2022, et devraient augmenter de 3,5 % en 2023, à cause de la pénurie de main-d’œuvre. Dans ce contexte, ces négociations pourraient avoir un effet important sur les finances publiques du Québec.

Réactions de l’opposition

« Le gouvernement se targue d’avoir mis de l’avant un bouclier pour défendre les Québécois face aux assauts du coût de la vie. On se rend compte que le bouclier est percé. Il ne ratisse pas suffisamment large et il y a des trous. »

— Marc Tanguay, chef par intérim du Parti libéral du Québec

« À part [l’aide pour] les aînés, je n’ai trouvé que du réchauffé. Il n’y a rien de sérieux pour aider les gens pour l’année 2023 et nos services publics vont probablement manger une claque. »

— Haroun Bouazzi, porte-parole de Québec solidaire en matière de finances

« On constate que malheureusement on n’en fait pas assez pour les moins fortunés et on en fait beaucoup trop pour les gens qui n’en ont pas besoin. »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Propos recueillis par Hugo Pilon-Larose, La Presse

La mise à jour en cinq points

Emploi, vapotage, aide sociale, logement et immobilier : quelques mesures en vrac

Nombre record de postes vacants

À partir de 2023, la création d’emploi deviendra anémique, avec moins de 30 000 emplois créés par année par manque de bras. Le Québec fait face à un « nombre record de postes vacants » : près de 250 000 emplois n’étaient pas pourvus au deuxième trimestre de 2022, une hausse de 85 % depuis 2019. Auparavant, les gouvernements étaient obnubilés par le taux de chômage, mais un nouvel indicateur fait maintenant partie de notre réalité : le taux de postes vacants, qui a bondi de 3,6 % en 2019 à 6,2 % en 2022.

Une taxe sur le vapotage

Le gouvernement Legault profite de sa mise à jour pour frapper l’industrie du vapotage d’une taxe d’accise équivalente à celle d’Ottawa. Au total, un consommateur devra débourser 2 $ pour 2 ml de liquide de vapotage. « Il s’agit d’une mesure de santé publique qui vise surtout à protéger nos jeunes. Le vapotage est un enjeu au Québec […] nous souhaitons faire notre part pour enrayer ce fléau », a dit le ministre des Finances, Eric Girard.

Indexation de l’aide sociale et des tables d’impôt

Le ministre des Finances a également confirmé que les paramètres du régime fiscal et des programmes d’assistance sociale seront indexés de 6,44 % le 1er janvier, ce qui reflète la hausse du coût de la vie. Cela représente 2,3 milliards par année. « C’est très important parce que l’indexation sera de loin supérieure à l’inflation anticipée en 2023. […] Ceci représente une bonification de 500 $ de l’allocation familiale pour un ménage avec deux jeunes enfants avec un revenu familial qui n’excède pas 100 000 $ », a affirmé M. Girard.

Montants confirmés pour le logement et la sécurité à Montréal

Le gouvernement Legault a profité de la mise à jour budgétaire pour confirmer 445 millions de dollars de mesures annoncées en cours d’année, notamment la construction de 3000 logements sociaux et abordables, la bonification du programme d’allocation-logement, et l’ajout de 225 policiers et intervenants psychosociaux dans la métropole pour lutter contre la violence liée aux armes à feu.

Construction résidentielle amochée par les taux d’intérêt

Si la récession frappe le Québec, cela risque de se manifester dans des secteurs « vulnérables », particulièrement touchés par la hausse des taux d’intérêt. « Déjà, on voit un secteur qui est vulnérable, l’immobilier résidentiel. […] Les prix sont en baisse de 7 %, les taux d’intérêt ont augmenté encore hier [mercredi] », a noté M. Girard. Après des années fastes, le nombre de mises en chantier chutera année après année d’ici 2026, prédit-il. Le ministre espère toutefois un « atterrissage en douceur », notamment parce que l’industrie est soutenue par la rareté de maisons et logements neufs : les salaires à la hausse et la reprise de l’immigration continueront d’ailleurs d’« appuyer la demande d’habitations ».

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