Accès aux données de recherche

Qui réutilise vos informations médicales ?

Comment vos informations médicales sont-elles exploitées par les chercheurs ? Le ministère de la Santé veut lancer l’an prochain un nouveau portail web qui vous permettra de le découvrir, a appris La Presse. La plupart des Québécois sont d’accord pour transmettre leurs données… à condition d’avoir leur mot à dire.

UN DOSSIER DE MARIE-CLAUDE MALBOEUF

Un nouveau portail web pour le savoir

Après vos séjours à l’hôpital, vos diagnostics ou vos visites en pharmacie, comment les informations médicales que vous semez ici et là sont-elles réutilisées par les chercheurs ?

Le ministère de la Santé compte lancer un nouveau portail web qui permettra de l’apprendre, et sera probablement arrimé au Carnet de santé électronique, a appris La Presse.

Vers la fin de l’an prochain, si tout avance comme prévu, chaque Québécois pourra découvrir en quelques clics comment ces données médicales ont pu – concrètement – aider d’autres patients.

« On saura, moi, à quoi ont servi mes données en 2021 », indique la professeure Annabelle Cumyn, du Groupe de recherche interdisciplinaire en informatique de la santé de l’Université de Sherbrooke (UdeS).

La présidente d’un comité d’éthique de la recherche et son collègue Jean-François Éthier ont reçu le mandat de créer le portail. « Il renforcera la confiance, dit la Dre Cumyn. L’horizon de 2022, c’est court, mais on y travaille. »

Les deux chercheurs connaissent bien les attentes des Québécois pour avoir sondé 387 adultes au sujet de la transmission de leurs données et avoir discuté du sujet avec 63 autres. Leurs résultats ont été divulgués dans des publications scientifiques le 12 mars1 et le 29 juin2 derniers.

De nouvelles discussions commencent avec d’autres citoyens, précise le DÉthier, qui dirige le nouveau Centre interdisciplinaire de recherche en informatique de la santé de l’UdeS.

Les gens préféreront-ils se rendre d’eux-mêmes sur le portail ou recevoir aussi des textos ? Et qu’est-ce qui les convaincra de libérer leurs données ? « On pourrait par exemple les aviser qu’elles ont servi à développer un outil pour aider les médecins dans leur prise de décisions et que cet outil a permis de soigner 3200 patients. »

Le Québec, dit-il, arrive à un tournant en ce qui concerne l’accès aux données médicales, d’une importance capitale pour améliorer et sauver le système de santé. (Voyez pourquoi dans l’encadré ci-dessous.)

« La pandémie a montré qu’on doit continuellement réajuster les soins au fur et à mesure que les données entrent. »

— La professeure Annabelle Cumyn, du Groupe de recherche interdisciplinaire en informatique de la santé de l’Université de Sherbrooke

Les chercheurs peuvent en certains cas utiliser des renseignements sans l’accord des personnes concernées, mais cela nécessite des démarches complexes, sinon ils doivent consulter chacune d’entre elles, pour chaque étude. Une tâche impossible, puisque des milliers de recherches en santé se déroulent au Québec chaque année.

Éviter les scandales

L’été dernier, l’ex-ministre des Finances Pierre Fitzgibbon a provoqué l’indignation en déclarant que les données de la RAMQ représentaient « une mine d’or » qui attirerait l’industrie pharmaceutique si on lui offrait d’y accéder3.

Pour accélérer la recherche médicale sans provoquer ce genre de tollé, le gouvernement doit opter pour une solution socialement acceptable au Québec, conseille la Dre Cumyn. Le sondage de l’UdeS a justement été réalisé pour l’éclairer.

« Ce qui intéresse fondamentalement les Québécois, c’est le bien commun, pas enrichir des entreprises privées. »

— La professeure Annabelle Cumyn

« Certains pays ont fait l’erreur de manquer de transparence et en ont souffert », souligne la médecin interniste.

Le Royaume-Uni est allé jusqu’à vendre des dossiers médicaux à des sociétés pharmaceutiques étrangères sans consulter la population. Quand les médias l’ont révélé, en 2019, l’affaire a provoqué un tel tollé que le gouvernement a fait partiellement marche arrière. Jusqu’au 23 juin dernier, chaque citoyen pouvait décréter qu’il voulait que ses propres informations médicales soient exclues de tout partage avec le secteur privé4.

En début d’année, Israël a accepté de communiquer des informations au laboratoire Pfizer pour lui permettre de continuer à évaluer l’efficacité et l’innocuité de son vaccin anti-COVID-19. Le pays a obtenu des millions de doses en échange de ce partage.

Les sociétés pharmaceutiques mènent régulièrement des études semblables sur des produits déjà commercialisés.

Plus ouverts qu’il n’y paraît

Que veut la population québécoise ? Pour deux personnes sur trois, garder le contrôle sur ses informations médicales – en choisissant de les communiquer ou non, même aux chercheurs publics – se révèle « plus important » que de faciliter la recherche en santé pour le bien commun.

Ce qui ne signifie pas qu’elles sont fermées à l’idée de transmettre leurs données. Plus de 90 % des gens sondés y étaient favorables – à condition d’avoir leur mot à dire. (Découvrez les autres résultats à l’onglet suivant.)

Pour leur part, les participants aux groupes de discussion – dont la moitié ne détenaient pas de diplôme d’études secondaires – se sont révélés « mobilisables », rapporte la chercheuse.

« Ils commençaient par dire : “Ce sont mes informations, alors je décide.” Mais quand on leur explique comment utiliser ces données améliorerait les soins, ils veulent que ce soit possible. »

— La professeure Annabelle Cumyn

La transparence est la clé du succès, considère la Dre Cumyn. « Les gens seront plus disposés à communiquer leurs données s’ils savent quand elles sont utilisées, à quelles fins, et avec quel impact », souligne la titulaire d’une maîtrise en pédagogie de la santé.

Le Dr Éthier est confiant : « Les gens accepteront s’ils sont convaincus qu’il existe un bénéfice social. »

Cochez oui, cochez non

D’ici quelques années, les gens se serviront d’un portail complémentaire pour choisir d’avance quelles informations communiquer et pour quelles recherches, précise le Dr Éthier.

« On pourrait accepter que ses données soient consultées au Canada, et refuser qu’elles soient utilisées dans un contexte commercial », illustre dans une vidéo explicative la Dre Cumyn.

Environ 80 % des personnes sondées étaient prêtes à exprimer ce genre de préférences sur un portail informatique ; seulement 12 % s’y opposaient.

« Des participants ont spontanément suggéré de passer par le Carnet de santé Québec, pour utiliser le même mot de passe et parce qu’ils font confiance à la Régie de l’assurance maladie », rapporte la chercheuse.

Qu’arriverait-il si un citoyen omettait de visiter le portail – ce qui se produirait sûrement ? Faudrait-il présumer qu’il consent par défaut à transmettre ses renseignements médicaux ? Ou au contraire, qu’il refuse ?

La réponse dépend du type de données et du type de recherches en cause.

Au grand bonheur des chercheurs, presque tous les participants souhaitaient simplement être informés – sans plus – au sujet des recherches les plus fréquentes. Soit les études observationelles, faites dans des institutions publiques ou des établissements universitaires canadiens, avec des données médicales ou génétiques détachées des coordonnées des patients.

Dans bien d’autres cas de figure, les gens tenaient à se garder une porte de sortie. La communication de leurs données se ferait alors seulement à l’expiration d’un délai, durant lequel ils auraient la possibilité de manifester leur refus sur le portail.

À l’inverse, trois personnes sur quatre ont refusé qu’on laisse le secteur privé utiliser par défaut des données identifiantes (voir le tableau ci-contre).

« Les Québécois font bien confiance à nos institutions et aux chercheurs publics, qui prennent beaucoup de mesures pour dépersonnaliser, protéger et détruire les données, se réjouit la Dre Cumyn. Quand ils ont des craintes, c’est plutôt au sujet du piratage. » (Voir texte à l’onglet suivant)

Le ministère de la Santé n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.

Des systèmes de santé qui apprennent

Notre système de santé universel doit miser sur la recherche pour survivre, plaident les chercheurs en médecine. Car même avant la pandémie, les dépenses en santé grugeaient environ la moitié du budget québécois.

Améliorer les traitements et réduire les complications freinerait l’explosion des coûts. Mais sur le terrain, la voie à suivre ne saute pas forcément aux yeux, puisque chaque nouvelle journée génère une masse inimaginable d’informations complexes et dispersées.

Bonne nouvelle : l’intelligence artificielle et des outils de plus en plus performants pourraient « faire parler » ces données, souligne la professeure Annabelle Cumyn.

Les soignants prendraient ainsi de meilleures décisions. Ils pourraient même personnaliser les soins selon le profil de sous-groupes de patients, au lieu de « se baser sur une étude d’il y a cinq ans », dit-elle.

« Actuellement, il y a un grand délai entre la réalisation des recherches et le transfert des connaissances. »

Quand on fait tomber la barrière entre les soins et la recherche, les informations recueillies sur le terrain sont réutilisées par les chercheurs. Ceux-ci génèrent ainsi de nouvelles connaissances qui permettent d’améliorer les soins sur le terrain. Et ainsi de suite.

Les systèmes de santé qui s’autoperfectionnent de cette façon sont appelés « apprenants », précise la Dre Cumyn. Ils peuvent difficilement être mis en place au Québec tant que l’accès aux données y demeurera fragmentaire et ardu.

Les Québécois sont-ils d’accord pour que les chercheurs utilisent leurs données médicales ?

Renseignements sans nom ni adresse

S’ils ont consenti à l’utilisation de ces renseignements.

En accord : 92 %

En désaccord : 6 %

S’ils sont informés d’une utilisation de ces renseignements, mais n’y ont pas formellement consenti.

En accord : 49 %

En désaccord : 45 %

S’ils ne sont même pas informés d’une utilisation de ces renseignements.

En accord : 42 %

En désaccord : 52 %

Renseignements avec nom ou adresse

S’ils ont consenti à l’utilisation de ces renseignements.

En accord : 90 %

En désaccord : 8 %

S’ils sont informés d’une utilisation de ces renseignements, mais n’y ont pas formellement consenti.

En accord : 27 %

En désaccord : 65 %

S’ils ne sont même pas informés d’une utilisation de ces renseignements.

En accord : 15 %

En désaccord : 81 %

Les proportions de gens en accord ou en désaccord ne totalisent pas 100 %, car certains répondants se sont montrés neutres.

Ce que les gens ont dit

Voici ce que pensent les hommes et les femmes interrogés par les chercheurs de l’Université de Sherbrooke1.

ACCEPTERAIENT-ILS QUE LEURS DONNÉES SOIENT AUTOMATIQUEMENT PARTAGÉES AVEC LES CHERCHEURS ?

« Je suis pour, si ça peut guérir et aider la population. »

« C’est une question de confiance, vraiment. Nous avons été échaudés dans le passé. Si on consent par défaut, alors il faut que ce soit vraiment transparent. »

« Si on pouvait me garantir un anonymat complet, je dirais oui. […] Il faudrait que ce soit par écrit, que le gouvernement signe et dise que ça va protéger notre vie privée. »

« Si ça peut être modifié, je suis plutôt à l’aise avec ça. Je n’aime pas l’idée d’obligation. Nous vivons dans une société libre. »

REFUSERAIENT-ILS LE PARTAGE DANS CERTAINS CAS ?

« Si je pense que ça peut aider certains malades à guérir, il n’y a pas de problème. Mais si je vois que ce n’est pas pertinent, que ça peut être un peu n’importe quoi, alors je pourrais refuser. »

« Je serais d’accord avec certaines choses et pas avec d’autres choses. »

ONT-ILS DES CRAINTES ?

« Dire qu’on a un bras cassé et, à la limite, qu’on a un cancer, ça va. Mais quand tu tombes dans d’autres choses comme les maladies mentales, c’est très délicat. »

« Je n’ai pas tellement confiance. Ils ont beau dire que c’est sécurisé… On entend tellement de choses qui se passent même dans de grosses compagnies. »

« Si on découvre une faille et que ça peut briser notre cheminement au niveau professionnel, c’est sûr qu’il y aurait un petit problème. »

« Notre dossier médical est déjà informatisé, il y a donc déjà un risque que quelqu’un s’en serve mal. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup plus de risques que ceux qui existent déjà. »

UTILISERAIENT-ILS UN PORTAIL INFORMATIQUE POUR SAVOIR COMMENT SONT UTILISÉES LEURS DONNÉES ET SIGNIFIER S’ILS ACCEPTENT OU NON DE LES PARTAGER ?

« C’est indispensable parce que c’est une sorte de contrôle. »

« Oui, ça peut rassurer de savoir ce qui se passe avec tes données. »

« Ça doit être comme un livre ouvert. Nous mettre au courant de ce qui s’est passé, bon ou mauvais. »

« C’est très important que la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) soit impliquée. Si elle ne parraine pas ce portail, je ne lui ferais pas confiance. »

« Je m’en fous, je n’irai pas du tout. J’ai bien d'autres choses à faire. Qu’ils les prennent, les données, et fassent ce qu’ils veulent avec. »

PARTAGERAIENT-ILS AUSSI LEURS DONNÉES AVEC LE SECTEUR PRIVÉ ?

« Participer à la recherche publique, je suis d’accord. Mais pour le privé, j’ai des restrictions. Ils peuvent jouer avec les données, car c’est monétaire. »

« Ils pourraient contacter les compagnies d’assurance, vendre les données… »

« Même si c’est privé, ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas trouver quelque chose d’intéressant. Ils peuvent aussi aider les gens avec leurs recherches. »

COMMENT LES INFORMER DE LA NOUVELLE FAÇON DE CONSENTIR AU PARTAGE ?

« Ça doit être de la répétition. Ça doit être par différents canaux pour rejoindre les personnes parce que sinon, ça ne fonctionnera pas. »

« Si je peux en parler à mon médecin, je vais être plus satisfait, car je pourrais poser mes questions. »

« Au renouvellement de la carte d’assurance maladie (RAMQ), les gens pourront faire leurs choix sur papier. S’ils veulent apporter des modifications dans le futur, alors là, ils vont sur le web. »

1. Les citations ont été légèrement adaptées pour faciliter leur compréhension.

Source : Groupe de recherche en informatique de la Santé, Université de Sherbrooke

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