Élection présidentielle

L’espoir, sous haute tension

Les Colombiens sont appelés à voter dimanche dans une élection présidentielle historique. L’espoir de changement a un nom : Gustavo Petro.

Il a 62 ans, un passé de guérillero, un programme résolument à gauche et une avance tellement solide sur son plus proche adversaire qu’il est à un cheveu de devenir le prochain président de la Colombie.

À la veille du premier tour de la présidentielle du 29 mai, la seule manière d’arrêter Gustavo Petro dans sa marche vers la présidence, « ce serait un gros scandale ou un assassinat », résume Juan Manuel Morales, spécialiste de la Colombie joint à Bogotá la semaine dernière.

S’il surmonte ces deux écueils, Gustavo Petro créerait un précédent historique pour ce pays qui, depuis son accession à l’indépendance, en 1819, n’a jamais été dirigé autrement qu’à droite.

Sa victoire marquerait « une rupture avec les élites qui gèrent le pays depuis 200 ans », souligne Juan Manuel Morales, Colombien d’origine et doctorant en science politique à l’Université de Montréal.

Tout distingue Gustavo Petro des dirigeants issus des quelques dizaines de grandes familles qui se partagent le contrôle du pays depuis des décennies. « Il n’est pas issu des élites de Bogotá, il est originaire des régions, il a étudié dans une université publique », énumère M. Morales.

Dans sa jeunesse, Gustavo Petro a milité au sein du mouvement de guérilla urbaine M-19, qui a été désarmé en 1990. Il a eu beau, par la suite, décrocher un diplôme d’économiste, se faire élire successivement à la Chambre des représentants, à la mairie de Bogotá et au Sénat, la classe politique traditionnelle le décrit toujours comme un dangereux extrémiste.

Dans une campagne électorale sous haute tension, alors que les sondages accordent 41 % d’intentions de vote à Gustavo Petro, ses opposants le comparent aux leaders autoritaires vénézuéliens Hugo Chávez et Nicolás Maduro, dont les politiques ont forcé des millions de personnes à s’exiler, notamment en Colombie. Ou alors au dirigeant cubain Fidel Castro.

Les adversaires de Gustavo Petro brandissent les accusations « de chavisme et de castrisme comme un épouvantail », constate Marie-Christine Doran, spécialiste de l’Amérique latine à l’Université d’Ottawa.

« On dépeint Gustavo Petro comme un Maduro autoritaire, pourtant Maduro et lui se détestent. »

— Marie-Christine Doran, spécialiste de l’Amérique latine à l’Université d’Ottawa

Gustavo Petro et sa coalition du « Pacte historique » défendent un programme de centre gauche, qui n’a rien à voir avec les dictatures communistes de Cuba ou du Venezuela, renchérit Juan Manuel Morales.

« Il a jusqu’à maintenant respecté le processus démocratique et rien n’indique qu’il penche vers la dictature. »

En entrevue avec Le Monde, Gustavo Petro se décrit lui-même comme de centre gauche. « Mais, dit-il, dans un pays comme la Colombie, le centre est une révolution. »

« Il y a des gens qui ont peur de Gustavo Petro, qui disent qu’avec lui comme président, la Colombie va devenir un nouveau Venezuela », note un professeur de l’Université de Barranquilla, dans le nord du pays, qui préfère être identifié par le prénom de Sebastián, par crainte de représailles.

« En ce moment, poursuit-il, la droite a tous les pouvoirs. La Colombie vit une grave crise sociale. Comme maire de Bogotá, Gustavo Petro a distribué de l’aide alimentaire aux enfants, il a amélioré les conditions de travail des éboueurs… »

La révolution du centre

« Gustavo Petro s’exprime avec calme et sérénité, mais ce qu’il propose, pour la Colombie, c’est révolutionnaire », renchérit Juan Manuel Morales.

Mais à quoi donc ressemble cette « révolution Petro » ?

Le candidat du Pacte historique adhère à une gauche « plurielle, féministe et écologiste », résume Marie-Christine Doran.

Dans un pays marqué par les inégalités sociales, Gustavo Petro prône la gratuité des études supérieures et des services de santé publics pour tous.

Il veut réformer le système des retraites et le droit du travail dans un pays où la moitié de la population travaille de manière informelle. Et où la durée légale de la semaine de travail est de 48 heures.

Il a l’intention de lancer un plan d’urgence contre la faim. Et il promet de cesser toute nouvelle exploration pétrolière et de tourner définitivement le dos au charbon.

Gustavo Petro n’a pas la langue dans sa poche. Il n’a pas hésité à montrer du doigt les liens entre certains hauts responsables de l’armée colombienne et les cartels de narcotrafiquants qui gangrènent le pays.

Il ne s’est pas fait que des amis avec ces accusations. Le commandant en chef de l’armée, Eduardo Zapateiro, l’a aussitôt attaqué sur Twitter.

Cette publication rompait avec la neutralité supposée de l’armée. « Le commandant de l’armée a affiché une vision négative de celui qui deviendra peut-être son chef », souligne Juan Manuel Morales pour expliquer la tempête causée par cette altercation sur les réseaux sociaux. Le général Zapateiro a d’ailleurs ensuite été visé par une enquête.

Il reste que cet affrontement soulève un autre spectre : celui d’un éventuel coup d’État en cas de victoire de Gustavo Petro au deuxième tour de la présidentielle, le 19 juin.

La peur

Il faut dire que la Colombie a une longue histoire de violence politique. Depuis 1948, cinq candidats à la présidence ont été assassinés. Ils logeaient tous à gauche ou au centre gauche de l’échiquier politique.

Des menaces de mort visent Gustavo Petro. Ce dernier a d’ailleurs annulé un évènement de campagne au début de mai, après avoir reçu des informations sur un possible complot d’assassinat par des paramilitaires.

Depuis, il ne se déplace plus que protégé par un double bouclier et une soixantaine de gardes armés.

Pour Daniel Mendoza Leal, avocat et journaliste colombien exilé en France, Gustavo Petro se trouve carrément en « danger de mort imminent », a-t-il écrit dans une tribune publiée dans L’Humanité.

Et il n’y a pas que les politiciens qui soient visés par la violence. « Depuis 2016, 1500 défenseurs des droits ont été assassinés en Colombie », rappelle Marie-Christine Doran.

Depuis les accords conclus avec les guérilleros des FARC, en 2016, ces assassinats n’ont pas diminué, au contraire, note la chercheuse. Il y a selon elle un « épuisement face à la violence » exercée par les forces de l’ordre, les paramilitaires et les narcotrafiquants.

La menace de la violence teinte la campagne électorale en cours. « Nous avons peur que l’armée n’accepte pas la victoire éventuelle de Petro, nous avons peur aussi que les gens sortent dans la rue si jamais il devait perdre », résume Sebastián, le chercheur de Barranquilla. Sa défaite, alors qu’il devance de 14 points son plus proche rival, ne passerait pas comme une lettre à la poste…

Mais parallèlement à ces peurs, il y a aussi l’espoir de faire entrer la Colombie dans une nouvelle ère.

Francia Márquez, colistière de choc

La politologue Marie-Christine Doran, spécialiste de l’Amérique latine, a croisé un jour Francia Márquez dans une conférence à Grenoble. À la fin d’une journée de travail, cette femme éloquente et charismatique a invité ses collègues à… aller danser. Cette invitation donne une idée de la personnalité de celle qui pourrait devenir la prochaine vice-présidente de la Colombie, aux côtés de Gustavo Petro. Cette Afro-Colombienne est d’une « grande humanité, proche des gens », souligne Marie-Christine Doran. Mais c’est aussi une femme qui n’a jamais eu peur de défendre ses convictions. Militant depuis l’adolescence, Francia Márquez s’est fait connaître par son engagement contre les exploitations minières illégales. En 2018, Francia Márquez a reçu le prix Goldman pour la défense de l’environnement après avoir organisé une marche de femmes de 560 km pour protester contre l’exploitation minière illégale dans sa communauté de La Toma. En 2019, la BBC l’a inscrite sur sa liste des 100 femmes de l’année. Cette mère de famille monoparentale représente, selon Mme Doran, un espoir pour les communautés ethniques en Colombie et pour les femmes. Elle a échappé à plusieurs attentats à la bombe au cours des dernières années, souligne Mme Doran. « C’est un miracle qu’elle soit encore en vie. » Plus encore que Gustavo Petro, la militante et politicienne de 40 ans représente cette Colombie qui « lutte pour changer les choses ».

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