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L’Iran, puissance nucléaire : une réalité incontournable

La décision du président Trump de renier l’accord nucléaire de 2015 a eu l'effet d'inciter l'Iran à relancer son programme d’enrichissement d’uranium.

La question nucléaire iranienne est de retour dans l’actualité. Les négociateurs du groupe P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) se sont retrouvés à Genève fin novembre avec les diplomates iraniens afin d’évaluer s’il était encore possible de réactiver l’accord nucléaire de 2015, mais l’espoir de conclure une entente à ce sujet apparaît mince. Surtout si l’on tient compte du fait que la bombe nucléaire est à présent à portée de main pour les Iraniens.

Rappelons les faits. Après plus d’une décennie de négociations serrées, les six avaient obtenu de Téhéran un arrêt de son programme d’enrichissement d’uranium et un démantèlement partiel de certaines de ses installations. L’accord était assorti d’un ensemble très complet de mesures de vérification qui en garantissait la transparence. En échange, les six s’engageaient à lever progressivement les sanctions économiques qui limitaient étroitement les capacités commerciales et financières de l’Iran.

Détail essentiel, les contraintes imposées par l’accord de 2015 devaient être levées en 2030. Les Européens, en particulier, étaient persuadés que d’ici là, il serait possible d’assurer la démilitarisation complète du programme nucléaire iranien et la normalisation des relations avec Téhéran.

Le pari aurait eu des chances d’être tenu sans l’intervention intempestive du président Donald Trump qui, en 2018, a décidé de déchirer l’accord et de réimposer l’ensemble des sanctions économiques contre l’Iran.

Par mesure de rétorsion, les autorités iraniennes ont choisi de relancer progressivement leur programme d’enrichissement et le Parlement a voté en 2020 une loi annonçant la reprise de la production d’uranium enrichi et la relance du projet de construction d’une centrale nucléaire destinée à la production de plutonium.

Résultat : s’ils le décidaient, les Iraniens pourraient fabriquer une bombe nucléaire en quelques semaines.

On peut dès lors se demander sérieusement si un retour à l’accord de 2015 est encore pertinent. Celui-ci aurait une durée de vie de moins de 10 ans et il ne pourrait sans doute pas effacer les progrès significatifs que les scientifiques iraniens ont faits sur le chemin de l’arme nucléaire depuis deux ans. Par ailleurs, l’élection à la présidence en août 2021 d’un religieux ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, ne laisse présager rien de bon pour un retour de l’Iran au sein de la communauté internationale. Comme d’autres pays, l’Iran semble faire le pari que la puissance américaine est en train de décliner et que Washington ne se risquerait pas à un affrontement militaire direct. Le raidissement des négociateurs iraniens, ces dernières semaines, semble donc indiquer qu’ils n’ont guère la volonté de sauver l’accord de 2015.

Une décision prise de longue date

Il est aussi de plus en plus clair que la décision iranienne de développer une capacité nucléaire militaire a été prise il y a longtemps, et que le gouvernement des ayatollahs n’a pas dévié de cette décision depuis l’origine.

L’information la plus préoccupante à ce sujet remonte à 2019. Elle a pourtant été longtemps occultée. En janvier 2018, les services secrets israéliens ont réussi à mettre la main sur les archives secrètes du projet nucléaire iranien dans un hangar de la banlieue de Téhéran. Et ce n’est qu’il y a quelques mois que des experts occidentaux ont pu s’y plonger et présenter leurs conclusions. Celles-ci sont alarmantes.

Contrairement à ce qu’ont prétendu les autorités iraniennes depuis 2002, la décision de lancer un programme de développement de l’arme nucléaire a été prise dès 1984, au plus haut niveau de l’État, par l’ayatollah Ali Khamenei, aujourd’hui encore guide suprême de la Révolution.

Dans ses propres termes, et contrairement à ses déclarations décrivant l’arme nucléaire comme non conforme aux enseignements du Coran, « [u]n arsenal nucléaire servirait de force de dissuasion aux mains des soldats de Dieu ». D’après les documents, c’est à la fin des années 1990 que l’Iran décide formellement de lancer un programme accéléré, destiné à la fabrication d’un arsenal nucléaire d’au moins cinq bombes. C’est le plan Amad. Les données disponibles prouvent ainsi que les experts iraniens maîtrisent d’ores et déjà les techniques de fabrication d’une tête nucléaire.

Que conclure ? Considérant qu’un programme nucléaire militaire repose sur trois piliers – la capacité de produire la matière fissile, l’expertise nécessaire à la fabrication d’une bombe et la possession de vecteurs de lancement, à savoir des missiles à longue portée –, l’Iran maîtrise sans conteste ces trois capacités. En fait, on peut considérer que l’Iran est capable de produire des armes nucléaires « sur demande », dès que les autorités politiques le décideront. La seule question est de savoir quand cela aura lieu.

L’accord de 2015 n’est tout simplement plus d’actualité et, dans le cas où l’Iran officialiserait son statut de puissance nucléaire, il faudra se préparer à l’éventualité d’une accélération de la prolifération au Moyen-Orient, phénomène dont on ne peut minimiser la gravité. L’Arabie saoudite a déjà annoncé que si l’Iran se dotait d’un arsenal nucléaire, Riyad l’imiterait.

La grande inconnue est Israël. Pour l’État hébreu, un voisin hostile disposant de l’arme nucléaire représente une menace mortelle. Les autorités israéliennes iraient-elles jusqu’à prendre des mesures militaires radicales pour stopper le programme nucléaire iranien au stade actuel ? Et quelles pourraient être les répercussions d’une telle initiative sur le plan international ? On ose à peine soulever la question.

Plus près qu’on pense

L’Iran semble être arrivé au seuil de la nucléarisation, mettant en péril non seulement la stabilité stratégique du Moyen-Orient, mais également la norme de la non-prolifération à laquelle souscrit la grande majorité de la communauté internationale. Le sujet nous concerne tous, et on peut se demander pourquoi le Canada, qui a pourtant une longue tradition dans la promotion du désarmement et de la non-prolifération, ne fait pas entendre sa voix à ce sujet.

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