Projet de loi sur l’aide médicale à mourir

La dignité humaine, un rempart à la démentophobie

L’âgisme, le capacitisme et la stigmatisation de la santé mentale sont à la base du souhait de permettre l’aide médicale à mourir (AMM) par directives médicales anticipées, comme proposé par Québec dans le projet de loi 38. Ce carrefour de discrimination mène à ce que j’appelle la démentophobie.

Cette dernière est acceptée et même encouragée. Ce terme ne fait pas encore partie officiellement de la littérature médicale, mais je le suggère comme cette crainte des gens atteints de démence. En effet, la démentophobie est à la démence ce que la xénophobie est à l’immigration.

Bien que je comprenne, en tant que médecin, l’importance à accorder aux phobies spécifiques (par exemple, la peur des aiguilles), il n’est pas question de cela avec la démentophobie.

Certes, les gens démentophobes craignent de devenir comme ceux dont l’état les rebute, car ceux-là sont à la fois âgés (âgisme), vivent en situation de handicap physique et mental (capabilisme) et sont atteints de problématiques psychiatriques (stigmatisation de la santé mentale).

La démentophobie est une forme de peur qui peut mener à la répulsion.

D’emblée, l’absence de reconnaissance de dignité humaine aux gens atteints de démence est centrale à la perspective démentophobe, défendue par la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie de 2021 et le Collège des médecins du Québec.

Ne pas reconnaître de valeur propre aux personnes avec trouble neurocognitif majeur est gravement inexact d’un point de vue éthique. Il est horrifiant de constater qu’on suppose que ces personnes n’ont aucune valeur si elles en décidaient ainsi elles-mêmes, subjectivement.

C’est la dignité subjective qui primerait. Or, cette dernière ne saurait exister sans la dignité définie comme intrinsèque.

Aussi, la dignité intrinsèque interdit éthiquement l’euthanasie de la personne atteinte de démence et inapte, car malgré les handicaps et maladies mentales ou cognitives, cet individu a toujours une valeur absolue inextirpable.

Également, en défendant le supposé « droit de mourir dans la dignité » en démence, on encourage la discrimination injustifiée des gens vivant en situation de handicap. En effet, on suggère ainsi que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue, car ils seraient trop dépendants et, donc, sans dignité.

De plus, la démentophobie peut s’internaliser, c’est-à-dire qu’une personne vient à croire les propos méprisants à son égard. Une personne avec une démence croira alors qu’elle ne vaut plus rien, puisque son entourage et la société trop souvent démentophobe le lui répètent souvent ouvertement ou insidieusement.

L’internalisation de la démentophobie a alors un impact important. La démentophobie doit être plus étudiée, mais il est évident pour le reste qu’il existe de l’âgisme, du capacitisme et de la stigmatisation de la santé mentale, de manière ambiante et internalisée.

Également, il faut considérer le très petit nombre de médecins spécialisés pour évaluer les souffrances de gens atteints de démence au Québec. Les gériatres de la Belle Province ne suffiront pas pour évaluer la souffrance de gens atteints de démence, surtout en considérant l’absence de données probantes.

Ceux et celles qui prétendent à tort l’existence d’échelles validées par la science d’évaluation de la souffrance en démence se rapprochent dangereusement du charlatanisme. Les évaluer avec certitude relève plus d’un art que d’une science qui n’est jamais certaine et toujours par essais et erreurs.

Il importe de fournir de vrais soins aux personnes atteintes de démence par respect de leur dignité et il ne faut pas les encourager à mourir par AMM dans le contexte de démentophobie.

J’aurais bien aimé exprimer ces réserves devant la Commission parlementaire étudiant le projet de loi 38, mais je constate l’exclusion de toute voix opposée à l’AMM par demandes anticipées lors des auditions publiques récentes.

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