Respire

La rage au ventre

Prix du meilleur film québécois au dernier festival Cinemania, en novembre dernier, Respire, du réalisateur Onur Karaman, est un suspense qui aborde de manière assez frontale les thèmes de l’immigration, du racisme latent, des inégalités sociales et économiques.

Il a la peau blanche et les yeux clairs, mais Onur Karaman a été témoin du parcours semé d’embûches qu’a dû traverser son père en quittant sa Turquie natale pour refaire sa vie à Montréal en 1990. Il avait alors 8 ans. En vieillissant, il avoue avoir été lui-même « habité par la colère », un peu comme les protagonistes de Respire.

Son quatrième long métrage s’intéresse au destin d’une famille d’origine marocaine, qui vit dans un quartier populaire de Montréal, et qui peine à joindre les deux bouts.

Le père, Atif (Mohammed Marouazi), ingénieur de formation (comme le père d’Onur !), ne trouve pas d’emploi dans son domaine. En attendant, il gère un petit resto (Poulet à l’ail). Son fils de 15 ans, Fouad (Amedamine Ouerghi), lui, répond à toutes les provocations… Impulsif, il se trouve mêlé à toutes sortes d’histoires.

Dans le même quartier se trouve Max (Frédéric Lemay), un jeune Québécois sans envergure, qui travaille dans un centre d’appels de Vidéotron, en attendant… La seule personne qu’il fréquente est son cousin Jérémie (Guillaume Laurin), ouvertement raciste, mécano dans le garage de son père.

Voilà pour le pedigree des personnages principaux de Respire qui, grâce à la magie du cinéma, seront réunis. Pour le pire.

La rage comme moteur

Cette rage, tapie dans les personnages d’Atif ou de Fouad, mais aussi de Max et de Jé, a été inspirée à Onur Karaman par sa propre expérience.

« Quand on est au bas de l’échelle sociale, il y a une drôle de chose qui se passe : on n’a rien à perdre. Et pour essayer de grimper dans cette échelle, on se dit : je vais me faire respecter d’une manière ou d’une autre. Moi, j’étais un enfant très fâché… »

— Onur Karaman, scénariste et réalisateur

Comme dans le titre de son film, il a appris à « respirer ». À se calmer. « Mais je connais des gens qui sont allés dans d’autres directions… », laisse-t-il tomber.

La précarité et le désespoir des personnages (peu importe leur origine), qui sont en quête d’un avenir plus lumineux, auraient pu les rapprocher. Or, il n’en est rien. Et la discrimination, voire la méfiance et la peur de « l’autre », même si elle est plus manifeste du côté du personnage de Jérémie, est aussi exprimée par celui d’Atif, qui ne se sent pas bien accueilli…

Onur Karaman, qui aime répéter que « l’autre, c’est nous », aurait souhaité, lui aussi, qu’il en soit autrement, mais dans son film, comme dans la vie, on tend à se replier vers son propre camp.

« Par contre, je ne crois pas qu’on parle suffisamment du poids que portent les pères immigrants. Nous, leurs enfants, on n’a pas leur vécu. Je pense qu’ils font du mieux qu’ils peuvent, tout en essayant de se faire une place dans une société qui ne veut souvent pas d’eux… Dans le cas d’Atif, ça ne l’excuse pas, mais ça met les choses en contexte. »

— Onur Karaman, scénariste et réalisateur

Qu’est-ce qui relie les personnages des jeunes Fouad et Max ? « Je pense que c’est l’incapacité des papas à parler à leurs fils », répond Onur Karaman. Le père de Max, Gilles (Roger Léger), est aimé de tout le monde, mais il n’arrive pas à parler à son fils comme il faut. À transmettre l’amour. Pas plus qu’Atif d’ailleurs, qui incite son fils à l’intolérance, une étape juste avant la violence… »

Onur Karaman parle aussi de la solitude de ses personnages. Que ce soit celle d’Atif, de Fouad, de Max ou de Jérémie…

« C’est un thème qui revient souvent dans mes films, souligne le cinéaste de Là où Atilla passe. Quand je vivais sur le Plateau avec des colocs, je ne me suis jamais senti aussi seul. Quand j’ai déménagé à Brossard, sur la Rive-Sud, je me sentais aussi seul. Quand on essaie de courir plus vite que son ombre pour s’entourer, on peut se sentir seul sans s’en rendre compte. »

L’amour comme antidote

Ce qui l’a aidé à passer par-dessus sa colère et sa solitude, c’est l’amour de sa mère, la raison de son père, et plus tard le cinéma, quand il a enfin « trouvé » sa place.

Un témoignage qui résonne chez le jeune acteur Amedamine Ouerghi, 19 ans, remarqué par Karaman pour son « énergie », qui a joué dans L’effet secondaire et Comme des têtes pas de poules avant de se lancer dans l’aventure de Respire. « Je ne pensais jamais me lancer dans une carrière d’acteur, nous confie-t-il, mais récemment, j’ai eu envie de voir où ce milieu peut m’amener. J’ai aussi eu l’impression de trouver ma place. »

Amedamine Ouerghi, d’origine tunisienne, mais né au Québec, estime que toutes les personnes issues des minorités vivent des situations « interpellantes ». Les tensions décrites dans Respire sont réalistes, selon lui.

« Quand j’ai lu le scénario, je me suis tout de suite reconnu dans le personnage de Fouad. Je me suis dit : mais c’est moi ! »

— Amedamine Ouerghi

Au bout du compte, Onur Karaman déplore « l’incompétence au dialogue du vivre ensemble ». « Même entre amis, précise-t-il. Je vois la jeunesse d’aujourd’hui qui veut vraiment se montrer avec les réseaux sociaux. Nous quand on était jeunes, on disait : “I’m crazy, you don’t know me, I’m crazy !”Mais aujourd’hui ça va tellement plus loin. Je crois que les jeunes ont besoin de projets-guides, qui vont leur inculquer un peu de sagesse. C’est ce qui manque en ce moment dans la société en général. »

Respire sort en salle le vendredi 27 janvier.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.