Plan d’action contre la deuxième vague

Le réseau doit être prêt d’ici le 30 septembre

Plus de responsabilité, moins de mobilité et l’ajout de 1000 ressources en santé publique. L’imposant réseau de la santé québécois devra être prêt à affronter une deuxième vague de COVID-19 d’ici six semaines. Tel est le souhait du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, qui réclame que son plan d’action soit appliqué sur le terrain, sans autre délai.

Responsabilité : « une commande claire »

Le mot « imputabilité » est revenu à plusieurs reprises lors de la présentation mardi à Québec du plan d’action en prévision de la deuxième vague. « Il y a une commande très, très claire du premier ministre de faire arriver ce plan-là alors pour chacune des actions, on va s’assurer d’avoir une personne responsable et, vous allez l’entendre souvent, imputable », a lancé le ministre Dubé. Les gestionnaires doivent s’assurer de « l’application des directives sur le terrain » d’ici le 30 septembre. « Ils vont être imputables. Je ne veux plus comme excuse que ce n’était pas clair », a-t-il ajouté. Plus d’« imputabilité », oui, mais le ministre refuse d’évoquer quelles pourraient être les conséquences pour un gestionnaire qui n’atteindra pas les objectifs. « On n’est pas ici pour viser spécifiquement un groupe », a-t-il souligné, affirmant que les élus sont aussi tenus responsables. Mais « pour être imputable […], [il faut] s’assurer que les gens ont les ressources et les moyens pour agir dans ce qu’on leur demande de faire ».

Un CHSLD, un gestionnaire

Particulièrement touchés pendant la première vague, les CHSLD de la province devront tous avoir « un gestionnaire responsable ». C’est une mesure qui, encore là, n’est pas étrangère au mandat confié par M. Legault à son ministre de la Santé lors du remaniement ministériel de juin. Selon nos informations, environ la moitié des quelque 400 CHSLD n’auraient pas un « gestionnaire dédié » sur place. Québec ne veut plus qu’un même directeur soit responsable de plusieurs établissements. Les postes à pourvoir seront affichés d’ici les « prochains jours », a précisé M. Dubé. « Le principe est simple, ça nous prend un gestionnaire imputable par établissement », a-t-il répété. Il s’agit d’une mesure saluée par la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), qui rapportent que leurs membres en CHSLD ne savaient parfois plus à qui s’adresser.

1000 embauches en santé publique

Le gouvernement Legault débloque également un fonds d’urgence de 106 millions pour soutenir la Santé publique dans ses activités de retraçage, de prévention et de gestion des futures éclosions. L’argent sera distribué aux directions régionales de santé publique de la province. La somme permettra notamment l’embauche d’environ 1000 ressources à temps complet et servira aussi à mieux « coordonner l’administration d’un éventuel vaccin ». Montréal, où la première vague a fait davantage de ravages, devrait obtenir « une bonne proportion » des sommes annoncées, nous a-t-on indiqué. Sur Twitter, la mairesse Valérie Plante a affirmé que le plan du ministre Dubé permettra à la métropole « d’être mieux préparée face à une éventuelle deuxième vague ».

Mobilité interdite

La mobilité de la main-d’œuvre entre établissements ou entre « zones chaudes et froides » demeure interdite, a martelé le ministre Dubé. Reste que sa prédécesseure, Danielle McCann, a eu du mal à faire respecter cette consigne sur le terrain lors de la première vague, notamment en raison de la pénurie de personnel. M. Dubé affirme avoir « discuté de la praticabilité » de la consigne avec les dirigeants du réseau. « On demande aux gestionnaires de nous dire comment ils vont le faire », a-t-il affirmé. Avec l’arrivée de 10 000 nouveaux préposés en CHSLD, la mobilité des préposés aux bénéficiaires ne devrait pas être un enjeu. Pour ce qui est des infirmières et des auxiliaires, s’il devait y avoir du mouvement, cela devra se faire selon les consignes de Prévention et contrôle des infections (PCI), soutient le ministre. Il ne cache pas d’ailleurs que ce volet a été « un enjeu » pendant la crise. Les agences de placement devront aussi « répondre aux mêmes exigences de PCI ».

Équipements suffisants

Le ministre de la Santé a également indiqué que le Québec avait garni ces derniers mois ses réserves d’équipements médicaux de protection, comme les blouses, les gants et les masques, en prévision d’une deuxième vague. Or, M. Dubé a affirmé que le Québec n’avait toujours pas le nombre de masques N95 que le gouvernement souhaiterait et qu’il ne l’aurait pas avant le début de l’année 2021. Ces masques sont notamment utilisés par des professionnels de la santé lors de certaines manœuvres avec des gens malades. Dans son plan d’action, le gouvernement Legault prévoit conclure « des ententes avec des fabricants québécois pour la production de produits stratégiques », comme les masques N95. Québec a déjà une entente avec une entreprise montréalaise qui produira ces masques à compter de la fin d'octobre ou du début de novembre, mais les procédures d’homologation ne seront terminées qu’à la fin de décembre, a dit M. Dubé. La FSSS-CSN continue de militer pour que ses membres en CHSLD puissent porter le masque N95, ce qui n’est pas encore possible.

Dépistage plus rapide

Le ministre de la Santé ne cache pas, depuis quelques semaines, que le délai pour obtenir le résultat d’un test de dépistage à la COVID-19 est trop long. Dans certaines régions, cela peut prendre jusqu’à cinq jours. Dans son plan pour la deuxième vague, M. Dubé s’engage à « réviser les processus et standardiser les pratiques » partout dans la province. En entrevue récemment avec La Presse, il a évoqué le souhait que les résultats soient connus « le lendemain du test ».

Gouvernance simplifiée

Dans le rapport « diagnostic » de la première vague, la nouvelle sous-ministre à la Santé, Dominique Savoie, a mis en relief une gouvernance particulièrement « complexe » dans la métropole, où l’on compte cinq centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Ces problèmes « ont nui à une réponse efficace », peut-on lire dans le plan d’action. « On va mettre en place une gouvernance beaucoup plus claire et agile », promet le ministre Dubé. La création d’un centre de commandement à Montréal afin d’y centraliser les décisions propres à l’agglomération a déjà été annoncée. Québec s’engage aussi à donner suite à la vingtaine de recommandations de Mme Savoie.

Autres actions en bref

Maintenir un « accès sécuritaire » aux proches aidants

Offrir des services de soutien à domicile pour les personnes vulnérables

Maintenir le délestage au minimum pour les services sociaux

Soutenir une offre de services « optimale » en chirurgie, en endoscopie et en imagerie médicale

Quelques réactions

« Ce plan fait la démonstration que le gouvernement n’était même pas proche d’être prêt la première fois et ne l’est toujours pas et ne le sera pas au minimum avant 40 jours. […] Le premier ministre Legault et le ministre Dubé ont déjà désigné les prochains coupables à l’avance s’il y a des ratés… Voilà leur définition de l’imputabilité. »

— Marie Montpetit, Parti libéral du Québec

« Ça fait des mois que Québec solidaire demande un plan […]. Instaurer des mesures plus rapidement aurait permis de faire face à la seconde vague, mais surtout de l’atténuer. On s’entend que d’annoncer qu’il n’y aura pas de déplacement du personnel entre les établissements, ce n’est pas une idée révolutionnaire : c’est le strict minimum ! »

— Sol Zanetti, Québec solidaire

« Nous souhaitons aussi, toujours, que le gouvernement instaure des mécanismes de reddition de comptes pour la première vague, qu’on puisse donc mener une enquête en toute indépendance et en toute transparence. On ne peut pas remettre ça, là, aux calendes grecques. »

— Joël Arseneau, Parti québécois

« Nous ne souhaitons pas revivre la situation que nous avons vécue. Il faut changer et améliorer les approches de gestion en mettant toutes les énergies pour stabiliser les équipes de travail. Les professionnelles en soins s’attendent à avoir des horaires décents et des périodes de repos. »

— Nancy Bédard, présidente de la FIQ

« J’ai beaucoup de médecins qui ont été très, très impliqués sur le terrain en CHSLD et un moment donné, ils ne savaient plus à qui parler. D’avoir une ligne bien établie qui se rend dans les établissements et à une personne en autorité, ça ne peut qu’être bénéfique. »

— Le Dr Louis Godin, FMOQ

« Nous saluons la lucidité et le leadership du ministre Christian Dubé sur les leçons à tirer de la première vague et les défis réalistes et mesurables de la deuxième vague. […] La mobilité du personnel […] demeure un enjeu. Les consignes devront toutefois être claires pour être respectées. »

— Fédération des médecins spécialistes du Québec

COVID-19

46 nouveaux cas et 6 morts au Québec

Québec a annoncé mardi 46 nouveaux cas de COVID-19 dans la province, en plus de 6 morts supplémentaires Parmi celles-ci, 2 ont été enregistrées au cours des 24 dernières heures, alors que les autres sont survenues au cours des jours précédents. Le nombre d’hospitalisations est resté stable à 145. Du lot, 27 patients sont aux soins intensifs, une hausse de 2.

La Presse

covid-19

100 millions pour aider la santé publique

Longues heures de travail, stress, épuisement : occuper un emploi dans le réseau de la Santé publique du Québec n’est pas de tout repos pendant la pandémie. Le gouvernement Legault, qui a débloqué mardi de nouvelles ressources, espère toutefois corriger le tir à l’aube d’une deuxième vague.

« Le niveau de fatigue est vraiment élevé. Tout le monde est à bout. La pression a été très forte. À force d’accumuler les semaines de stress et de surcharge, on est épuisés », explique une personne employée de la Direction générale de santé publique (DGSP), qui a requis l’anonymat pour éviter des représailles.

« Du jour au lendemain, tout le monde a lâché ses dossiers pour se consacrer à la pandémie. On est passé d’un horaire 9-5 pour du “très tôt le matin” à “je ne sais pas à quelle heure je vais finir et je ne sais pas combien de temps ça va durer”. C’est excessivement exigeant », décrit une seconde source dans une direction de santé publique qui n’est pas autorisée à parler publiquement.

Cette travailleuse en santé publique affirme avoir réalisé des semaines de 120 heures au plus fort de la pandémie ; heures qu’elle n’a pas toutes colligées dans ses feuilles de temps. « J’ai fait le choix de travailler en santé publique. C’est la plus grosse crise qu’on vivra sans doute jamais. On se serre les coudes et on se sent utile », ajoute-t-elle.

« On aurait dû avoir des équipes beaucoup plus grosses dès le départ », illustre de son côté la première source, pour qui c’est la manière dont on conçoit la santé publique au Québec qui pose problème. « Ce n’est pas vendeur politiquement. On fait dans la prévention, la protection de la population. C’est de l’argent investi pour lequel il n’y a pas de résultats apparents », ajoute cette personne.

À la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), le président, Jeff Begley, est catégorique. « La plupart des gens ont dû mettre les bouchées doubles pour livrer une commande énorme sans avoir le soutien suffisant. Ce n’est pas du tout surprenant qu’on se retrouve dans un état de fatigue avancée. C’était écrit dans le ciel », illustre-t-il.

Québec accorde plus de ressources

Mardi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a annoncé que Québec verserait 106 millions de dollars à la Santé publique pour l’embauche de 1000 nouvelles ressources afin d’augmenter la capacité de retraçage, en prévision de la deuxième vague.

« On est arrivés dans la pandémie avec peu de ressources, un système fragilisé. Aujourd’hui, on donne les moyens à nos gestionnaires et aux élus de travailler avec les bons outils. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dit aussi être bien au fait des réalités. « Nous sommes conscients que le contexte de la pandémie peut engendrer une charge de travail supplémentaire et de la fatigue pour certains employés », avance sa porte-parole Marjorie Larouche.

Des « échanges réguliers » ont eu lieu dans les dernières semaines avec la sous-ministre, Dominique Savoie. Celle-ci serait « très au fait de la situation » du manque de personnel en santé publique.

« Tout comme le télétravail, la distanciation physique, la gestion de la vie familiale, les inquiétudes relatives à la santé et aux finances sont autant de facteurs qui contribuent à augmenter le niveau de stress du personnel », explique Marjorie Larouche, porte-parole du MSSS.

Une histoire de sous-financement

Depuis la réforme de la Santé, pilotée par l’ex-ministre Gaétan Barrette, les budgets en santé publique ont été amputés de près du tiers de leurs ressources.

Aujourd’hui professeure en santé publique à l’Université de Montréal (UdeM), Roxane Borgès Da Silva a fait partie il y a quelques années de l’Équipe santé des populations et services de santé (ESPSS) à la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal. Sa division a été supprimée à l’époque de la réforme.

« Le Québec a mis de côté la santé publique au profit de l’hospitalocentrisme. On a sabré le personnel, dans les ressources et les services, alors qu’on aurait dû tripler les effectifs. »

— Roxane Borgès Da Silva, ancienne employée de la DRSP de Montréal

Même son de cloche pour l’experte en politiques de santé à l’École de santé publique Marie-Pascale Pomey. « C’est comme si on avait décidé que la santé publique était marginale. Les coupes ont fait résonner ce message que le travail des gens n’était pas équivalent à celui dans le réseau de la santé », lâche-t-elle.

La spécialiste appelle Québec à considérer la DGSP comme « étant intégrée dans la promotion de la santé ». « C’est nécessaire de revoir la notion de santé publique, en sachant que, globalement, [la DGSP] travaille au service du réseau », illustre-t-elle.

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