Le règne animal

Instinct de survie

Mettant en vedette Paul Kircher et Romain Duris, Le règne animal, second long métrage de Thomas Cailley, raconte une émouvante histoire d’amour entre un adolescent et son père sur fond de mystérieuse pandémie qui métamorphose les êtres humains en créatures animales.

Dix ans après Les combattants, César du meilleur premier film, le réalisateur Thomas Cailley confirme avec Le règne animal, écrit avec Paule Munier (dont Cailley avait découvert le scénario original lors d’un concours à la FEMIS, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), qu’il sait manier différents genres à la fois avec aisance. Ainsi, après avoir jonglé habilement avec les codes de la comédie romantique, le western et la science-fiction pour son premier long métrage, le revoici avec un second long métrage où cohabitent harmonieusement le drame familial, le drame d’anticipation, la fable, le fantastique et le merveilleux.

Évoquant tour à tour la récente pandémie, la crise migratoire, les bouleversements climatiques et l’extinction des espèces (et bien plus encore tant le récit prête à une multitude d’interprétations), Le règne animal s’attache au destin d’Émile (sensible Paul Kircher, révélé dans Le lycéen, de Christophe Honoré), 16 ans, qui, avec son père, François (bouleversant Romain Duris), quitte Paris pour le sud de la France dans l’espoir de se rapprocher de sa mère, Lana (Florence Deretz).

Frappée par un mal mystérieux qui transforme les êtres humains en animaux, Lana, devenue trop dangereuse pour vivre en société, s’est échappée du convoi la transportant vers un centre hospitalier spécialisé dans le traitement des mutants. À l’instar des autres victimes, comme les appelle une bienveillante policière (Adèle Exarchopoulos, sous-utilisée, voire inutile), Lana a trouvé refuge dans la forêt auprès des créatures prises en chasse par une partie de la population. Tandis qu’il s’adapte tant bien que mal à sa nouvelle vie, Émile constate chez lui des changements, lesquels en font bientôt la risée de ses nouveaux camarades de classe. Pour ajouter à ses malheurs, sa relation avec son père est de plus en plus tendue.

Égal à lui-même, Thomas Cailley décrit avec finesse les tourments de la jeunesse dans cette métaphore de l’adolescence.

Lors des scènes au lycée, il rend compte avec justesse des contradictions des jeunes divisés entre la volonté d’un vivre-ensemble et le rejet de la différence. Lors des scènes en forêt, où Émile croise de fabuleuses créatures, l’homme-oiseau Fix (Tom Mercier) et la fillette-caméléon Grenouille (Maëlle Benkimoun), le désir criant d’appartenance du jeune garçon s’exprime de manière déchirante.

Par ailleurs, le cinéaste, solidement secondé à la photo par son frère, David Cailley, démontre une fois de plus l’adresse avec laquelle il sait tirer profit des paysages. Fort d’avoir repéré des endroits ayant échappé à la main de l’homme dans les forêts de la Gascogne, il déploie des lieux qui frappent l’imaginaire par leur beauté sauvage et enchanteresse. Tout en maintenant le suspense, il amène le spectateur à y découvrir d’étonnants mutants plus près du conte de fées que du drame d’horreur. À cet égard, les maquillages, prothèses et effets spéciaux s’avèrent assez convaincants.

Malgré le soin apporté à la diversité des créatures solidaires, c’est d’abord à la grande famille humaine que s’intéresse le cinéaste, qui s’applique à la représenter sous tous ses aspects, les plus glorieux comme les moins reluisants. Au cœur de cette ode à l’humanité, ce qui transcende les nombreux thèmes abordés par Cailley et Munier, tels la transmission, le deuil, la résilience et l’affirmation de soi, c’est l’histoire d’amour entre un père et son fils. Si certains passages se révèlent tire-larmes, force est de reconnaître que dans cette relation tantôt fusionnelle, tantôt conflictuelle, Thomas Cailley exploite savamment la part animale qui sommeille en chaque être humain.

Drame fantastique

Le règne animal

Thomas Cailley

Paul Kircher, Romain Duris, Adèle Exarchopoulos

2 h 10

En salle

7,5/10

Comment faire l’amour

Le (non-)consentement sur grand écran

Trois copines partent fêter la fin de leur secondaire au bord de la mer. Objectif : danser, boire, et surtout s’envoyer en l’air, dans ce qui devrait être les vacances de leur vie.

Elles s’appellent Tara, Skye et Em, et ce sont les meilleures amies du monde. Le genre complices et baveuses à la fois, à se dire je t’aime tous les soirs, à se prendre par la main en dansant furieusement, et à se caresser les cheveux, tard dans la nuit, assises par terre devant la cuvette de la toilette.

Et disons que dans leur complexe festif quelque part en Méditerranée où elles vont se retrouver une semaine à festoyer, ça n’est pas exactement la modération qui règne.

C’est sur cette prémisse stéréotypée à l’eau de rose et fortement houblonnée que commence le tout premier long métrage de la Britannique Molly Manning Walker (une « révélation » selon le Guardian), qui réussit ici à s’éloigner subtilement du scénario de type Spring Break, pour raconter le plus complexe et poignant des récits, avec toutes ses nuances de gris, émotions contradictoires incluses : le consentement.

Ça a l’air didactique, résumé comme ça, mais ça ne l’est pas. Et ça n’est pas pour rien que le film, ovationné à Cannes, a aussi remporté le prix Un certain regard. En fait, on suit essentiellement la jeune Tara, bouleversante de justesse Mia McKenna Bruce (The Witcher, Vampire Academy, Persuasion), aussi festive quoiqu’un peu moins délurée que ses amies Skye (sournoise Lara Peake) et Em (plus effacée, mais finalement essentielle Enva Lewis).

Et c’est ici que tout se complique, parce que dans cette enfilade de fêtes, Tara espère se défaire de son malaimé statut de « vierge ». Si ses amies l’appuient, sans doute trop, on se doute d’emblée avec ce malaise subtil, mais si bien joué, que ça ne peut que mal se passer.

Là repose la force du scénario (qui, oui, se résume précisément à cela) et surtout du jeu des acteurs, qui arrivent à mettre en lumière toute la complexité des relations humaines en général, et des relations entre ados dopés aux hormones en particulier. Filles et gars, faut-il le signaler. Le tout sur fond de légèreté, un sourire gêné ici, un non timide là, un oui insistant plus loin, et on devine la fin.

Tout est suggéré. Rien n’est vraiment dit. Mais dur de faire plus senti. Le non-dit crève l’écran, et c’est un tour de force.

Saluons les jeux de pouvoir, si bien amenés, subtiles manipulations ici et là, qui sonnent si vrai qu’on s’y croirait. Saluons enfin les franches amitiés, imprévues et inattendues, loin des clichés, qui donnent finalement espoir parce que rien n’est exactement blanc ni noir. Encore faut-il en parler. Et ce film est un tremplin idéal, réaliste, nuancé, parfaitement trash pour le faire.

Le film How to Have Sex (Comment faire l’amour, en version française) est présenté en version originale anglaise et en version originale anglaise avec sous-titres français.

Drame

How to Have Sex

(V. F. :Comment faire l’amour)

Molly Manning Walker

Avec Mia McKenna Bruce, Lara Peake, Samuel Bottomley et Shaun Thomas

1 h 38

En salle

8/10

Suncoast

Éprouvant passage à l’âge adulte

Doris, 17 ans, et sa mère sont proches aidantes de l’aîné de la famille depuis des années. Alors que son frère entre dans un hospice pour y passer ses derniers jours, l’adolescente se permet de vivre ses premières expériences, tandis que sa mère peine à accepter un deuil inévitable.

L’adolescence n’est pas facile. Encore moins lorsqu’elle est en grande partie consacrée aux soins d’un membre de sa famille.

C’est la réalité de Doris (épatante Nico Parker) qui, avec sa mère Kristine (très juste Laura Linney), veille sur son frère Max, atteint d’un cancer du cerveau qui l’a paralysé et rendu aveugle. L’histoire « semi-autobiographique » de la scénariste et réalisatrice Laura Chinn est racontée avec éloquence et délicatesse, mais ne parvient pas à trouver l’équilibre entre les différents thèmes abordés.

La relation mère-fille relatée dans Suncoast est ce qui distingue la première réalisation de l’Américaine, vue dans diverses séries comme Childrens Hospital et Grandfathered, et qui a écrit quelques épisodes. Bien que Doris s’occupe de son frère de façon exemplaire, sa mère lui en demande toujours plus et ne semble pas reconnaissante. On a tendance à se ranger derrière la jeune femme, mais plus le récit progresse, plus on ressent la tristesse et l’épuisement de la mère, et plus on compatit.

Dès que Max est admis dans un centre de soins palliatifs, Doris se sent libérée d’un poids, alors que Kristine tente un rapprochement ultime avec son fils qui ne parle plus depuis des années. Lorsqu’elle décide de passer les nuits dans un lit de camp à ses côtés, Doris en profite pour inviter ses camarades de classe, qui n’ont aucune idée de qui elle est, à faire la fête chez elle. On peine à croire qu’elle soit invisible à ce point des autres élèves, mais les amitiés qu’elle développe sont crédibles et exemptes de l’excès de drame qu’on retrouve souvent dans des films d’ado.

L’autre amitié qui se forge dans Suncoast est davantage curieuse. Il se trouve que l’hospice où est Max est le même où l’on retrouve Terri Schiavo. Dans un état végétatif à la suite d’un arrêt cardiaque en 1990, cette femme a été au cœur d’un débat national relativement à l’acharnement médical de 1998 à 2005. Les évènements du film se déroulent à la fin de ce feuilleton, alors que de nombreux manifestants encerclent le centre de soins jour et nuit. Parmi eux, Paul (Woody Harrelson, fidèle à lui-même). Veuf, il rappelle à Doris que toutes les vies sont précieuses après lui avoir acheté un lait frappé. Son discours est moralisateur, mais on croit à cet homme qui s’est donné pour mission de répandre le bien. Certaines des scènes avec les deux sont toutefois légèrement plaquées.

En dépit de la lourdeur de certains éléments, Suncoast est un film lumineux, élevé par les brillantes performances de Nico Parker – fille de l’actrice Thandiwe Newton et du cinéaste Ol Parker – et de Laura Linney. À l’image de la mère, le scénario veut trop en faire, mais, comme elle, il parvient à nous charmer par sa sincérité.

Comédie dramatique

Suncoast

Laura Chinn

Nico Parker, Laura Linney, Woody Harrelson

1 h 49

Sur Disney+

7/10

Lisa Frankenstein

Faire du monstre son prince charmant

En 1989, une adolescente incomprise réanime accidentellement un prince de l’ère victorienne et l’initie à la vie moderne tout en le transformant en l’homme de ses rêves.

Le Frankenstein de Mary Shelley n’a pas fini d’inspirer des œuvres singulières. Après avoir fait germer des bandes dessinées, des chansons, des jeux et plus encore, il fait l’objet d’une énième relecture cinématographique, dont le scénario est signé Diablo Cody (Juno, Le corps de Jennifer).

Lisa Frankenstein, premier long métrage de la réalisatrice Zelda Williams (fille d’un certain Robin Williams), s’articule autour du personnage de Lisa Swallows (Kathryn Newton, vue dans Ant-Man et la Guêpe – Quantumania), jeune femme excentrique, mais peu loquace, qui peine à s’intégrer à l’école secondaire. Hantée par le meurtre sordide de sa mère ayant eu lieu sous ses yeux, Lisa est forcée de cohabiter avec l’exigeante nouvelle femme de son père, Janet (Carla Gugino), et sa fille, la trop pétillante cheerleader Taffy (Liza Soberano).

Errant fréquemment au cimetière, Lisa fait la rencontre d’un monstrueux mort-vivant aux allures victoriennes (Cole Sprouse, le Jughead de Riverdale), mystérieusement ramené à la vie lors d’un orage. Une fois les quelques couches de terre souillant son visage nettoyées, un veston et un t-shirt de Joy Division enfilés, le jeune homme est fin prêt à entrer dans la société... ou du moins, l’illusion est presque parfaite. Les tourtereaux vont, de fil en aiguille, développer une idylle qui n’est pas sans rappeler la relation entre Edward et Kim dans le Edward aux mains d’argent de Tim Burton. Deux mal-aimés main dans la main, envers et contre tous.

Puisant tant parmi les codes du slasher que de la comédie romantique pure, Lisa Frankenstein souffre de cet éparpillement. Malgré les quelques bonnes idées et la direction artistique éclatante, c’est un récit dont le sens est difficile à dégager. Le clou de spectacle est assurément la magnétique Kathryn Newton, qui rend le personnage de Lisa avec brio. Campé vers la fin des années 1980, le film de Zelda Williams parvient à imiter l’esthétique de l’époque à la perfection. Couleurs fluo, cheveux crêpés, bas en résille et effets visuels kitsch : tout y est. Ça devient étourdissant, par moments.

Dans une entrevue accordée au magazine Rolling Stone en janvier, la réalisatrice dit considérer son film comme une réponse féministe au misogyne Une créature de rêve de John Hughes (1985), dans lequel deux lycéens développent un logiciel permettant de créer la « femme parfaite » afin de devenir populaires. L’idée est très bonne, mais l’exécution n’est tout simplement pas à la hauteur.

Comédie romantique horrifique

Lisa Frankenstein

Zelda Williams

Avec Kathryn Newton, Cole Sprouse et Liza Soberano

1 h 41

En salle

5/10

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