Enterrons le troisième lien

François Legault arrive avec un sérieux boulet au pied à la COP26, la grand-messe mondiale de l’environnement qui s’ouvre en Écosse, ce week-end.

Son projet de tunnel reliant Lévis et Québec n’est pas « en ligne avec les objectifs » verts du Québec, a lui-même reconnu le premier ministre cette semaine. En plus, il s’agit d’une solution extrêmement coûteuse à un problème largement exagéré.

Alors, pourquoi aller de l’avant ?

Si la CAQ est sincère dans ses efforts de lutte contre le réchauffement climatique, si le gouvernement est sérieux avec l’argent des contribuables, il doit enterrer le troisième lien.

En a-t-on vraiment besoin ?

Le troisième lien, en a-t-on vraiment besoin ? La réponse est non.

Depuis 2002, la circulation n’a pratiquement pas augmenté sur le pont de Québec (+ 1,1 %) et sur le pont Pierre-Laporte (0,3 %). Et elle ne devrait pas augmenter dans le futur, puisque la population de 20 à 64 ans, celle qui traverse les ponts à l’heure de pointe, diminuera sur la Rive-Sud d’ici 20 ans.

En ce moment, les déplacements vers le centre-ville de Québec ne représentent que 9 % des déplacements des gens de la Rive-Sud, qui circulent beaucoup plus à l’intérieur même de Lévis, ce qui n’est pas toujours aisé. C’est là qu’il faut intervenir.

Une congestion toute relative

Personne n’aime être coincé dans un bouchon. Mais à ce chapitre, la ville de Québec s’en tire relativement bien, au 29e rang des 35 régions métropolitaines du Canada. C’est bien mieux que Montréal, qui est en 10e place, ou même Ottawa-Gatineau, Trois-Rivières ou Sherbrooke.

Parlant de bouchon, c’est surtout à l’approche des ponts que ça bloque à Québec, plutôt que sur les ponts eux-mêmes, qui ne sont pas utilisés à pleine capacité. Au lieu de bâtir un troisième lien, on devrait donc démêler le spaghetti de routes qui entravent l’accès aux ponts existants.

On ne règle pas son obésité en déboutonnant sa chemise

De toute façon, la construction d’un troisième lien n’apaiserait que temporairement la congestion routière. Combattre la congestion en bâtissant de nouvelles routes, c’est comme essayer de régler son problème d’obésité en déboutonnant sa chemise.

Les études sont claires : de nouvelles routes attirent de nouveaux conducteurs. Résultat : autant de bouchons, encore plus de pollution.

De la luzerne sur un gâteau au chocolat

Pour convaincre Ottawa d’investir, la ministre des Relations canadiennes, Sonia LeBel, a expliqué cette semaine que le projet est « gagnant pour l’environnement ».

Et elle l’a dit sans rire.

Prétendre que le tunnel est vert parce qu’on y fera circuler des autobus électriques, c’est un peu comme affirmer qu’un gâteau au chocolat est bon pour la santé parce qu’on a ajouté de la luzerne sur le glaçage.

Ce n’est pas non plus l’arrivée graduelle des véhicules électriques qui rendra le tunnel plus écologique. Même si ces véhicules ne dégagent pas de gaz à effet de serre, ils restent un tas de tôle sur quatre roues, ce qui ne règle en rien les problèmes d’étalement urbain et de congestion. Nous y reviendrons dimanche.

Ottawa n’a pas l’appétit

Québec souhaiterait qu’Ottawa finance 40 % de la facture – pouvant aller jusqu’à 10 milliards de dollars. Il rêve en couleurs, car le fédéral ne finance pas les projets d’autoroutes, seulement ceux de transports collectifs. Et c’est tant mieux.

Avant de s’embarquer dans un tel investissement, il est tout à fait normal que le fédéral mène sa propre étude environnementale, comme l’a dit le nouveau ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, vendredi.

Quand François Legault réplique que ce « dédoublement » d’études est du gaspillage de fonds publics, il est drôlement mal placé pour parler : lui-même gaspille l’argent des contribuables avec le troisième lien.

Dix milliards, c’est fou !

Le troisième lien coûtera une vraie fortune aux Québécois. À 10 milliards pour environ 50 000 utilisateurs quotidiens – une prévision gonflée, selon bien des experts –, le tunnel reviendra autour de 200 000 $ par véhicule. C’est six fois plus que le pont Samuel-De Champlain, qui a coûté 4,4 milliards pour une affluence de 136 000 véhicules par jour, l’équivalent de 31 200 $ par usager.

C’est très cher payé pour éviter un détour aux gens de Lévis.

Nos infrastructures tombent en ruine

Ces 10 milliards, il vaudrait mieux les consacrer à la réfection de nos infrastructures qui tombent en ruine. Presque la moitié du réseau routier (46 %) du Québec se trouve dans un état de décrépitude avancé. Et on ne parle pas des écoles et des hôpitaux…

Si on voulait ramener l’ensemble de nos infrastructures à un niveau acceptable, demain matin, il faudrait investir 28 milliards de dollars. Au rythme actuel, on n’y arrivera pas. Or, plus on attend, plus ça coûtera cher à réparer.

Il est temps de tirer un trait sur le troisième lien qui bloque les autres projets plus urgents.

De meilleures idées pour Lévis

Revenons donc au point de départ. Faisons une analyse des véritables besoins et identifions les solutions de rechange qui auront un meilleur coût-bénéfice pour les gens de Lévis et pour l’environnement. Une desserte fluviale plus efficace, des accès facilités aux ponts, des boulevards urbains mieux adaptés, peut-être un troisième lien qui miserait strictement sur les transports collectifs.

Le Mirabel de François Legault

François Legault présente le troisième lien comme un pari pour l’avenir, comme un projet de développement pour la région de la Capitale. Mais il s’agit surtout d’un pari électoral. L’avenir des transports est collectif, pas automobile. Si on fait fausse route, on se retrouvera avec un autre Mirabel dans le paysage. Et ce sont nos enfants qui en paieront le prix.

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