Ça prend un village pour la DPJ

On pourrait l’appeler la « spirale de la mort ». On la connaît trop bien dans notre réseau public. Et la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) s’y est fait aspirer.

Le phénomène commence par des employés surchargés qui craquent ou quittent leur emploi avant de craquer. À la DPJ, deux intervenantes dans la vingtaine se sont même suicidées le mois dernier, ajoutant une dimension tragique au portrait.

Les employés qui restent se retrouvent avec une charge de travail encore plus lourde. Ils sont encore plus nombreux à partir. Quand les agences de placement privées débarquent, vous savez que rien ne va plus.

Ces agences fournissent à la DPJ des intervenantes pour boucher les trous. À court terme, ça évite les ruptures de services. Mais à long terme, l’exode qu’on tente de pallier s’accélère. Les intervenantes quittent leur emploi régulier pour rejoindre ces agences, qui offrent des conditions de travail plus flexibles.

C’est un peu comme brûler les murs de sa maison pour se réchauffer. Les choses s’améliorent un moment… jusqu’à ce qu’elles empirent beaucoup.

C’est ce cercle vicieux qu’ont décrit nos collègues Caroline Touzin et Katia Gagnon dans des articles récents. Un cercle vicieux qui provoque un roulement de personnel qui n’est souhaitable nulle part, mais qui est encore plus déchirant à la DPJ. Parce que nos enfants négligés et maltraités ont besoin de s’attacher à des intervenants stables pour tisser des liens de confiance.

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Pour freiner l’exode des employés, la solution semble évidente : réinvestir dans la DPJ, améliorer les conditions de travail et embaucher du personnel.

C’est exactement le discours de la CAQ.

Mercredi, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a parlé d’ajouter des emplois à temps complet à la DPJ, d’offrir de nouvelles primes pour les intervenants en centre jeunesse et de bonifier les primes existantes.

Le syndicat juge les offres insuffisantes. Laissons le jeu des négociations se dérouler. Mais en attendant, on aurait tort de croire que l’amélioration des conditions de travail à la DPJ, bien qu’essentielle, réglera tout.

Parce que si la DPJ est si débordée – plus de 3000 enfants en attente –, ce n’est pas seulement parce qu’elle manque de personnel. C’est aussi parce qu’elle reçoit trop de signalements.

Censée représenter les « soins intensifs » de la jeunesse, la DPJ est devenue le point de chute d’à peu près tous les problèmes touchant l’enfance au Québec.

Des intervenantes donnent l’exemple d’un enfant qui a d’importantes difficultés scolaires. Il vient d’une famille mal outillée. Incapable d’obtenir de l’aide à l’école, ses retards se creusent. Il finira par être signalé à la DPJ pour négligence.

La Loi sur la protection de la jeunesse est une loi d’exception qui n’a pas été conçue pour ça. Mais avec l’effritement des services de première ligne, tout déborde dans sa cour.

Renflouer la DPJ sans solidifier ce qui se trouve autour est donc une fuite en avant. Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, en est conscient. Son programme Agir tôt cible la prévention. Mais l’aide doit aussi être présente dans les écoles, les organismes communautaires, les CLSC.

Bref, redresser la DPJ est un vaste chantier qui dépasse la DPJ. Quand on dit que ça prend un village pour élever un enfant…

Ce mois-ci, la commission Laurent sur les droits des enfants dévoilera un rapport très attendu. Parions que les recommandations seront nombreuses et ratisseront large.

On objectera qu’intervenir partout coûte cher. Que les budgets post-pandémie sont serrés. C’est vrai. Mais il faudra songer aux coûts qu’engendreront nos enfants devenus grands si on les laisse partir sur de mauvaises trajectoires. Sans compter qu’on ne peut tolérer d’autres morts comme celle de cette petite fille de Granby, devenue le triste symbole de tout ce qui cloche à la DPJ.

Il faudra surtout s’interroger sur nos priorités. Si prendre soin de nos enfants vulnérables ne figure pas en haut de la liste, qu’est-ce qui devrait s’y trouver ?

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