Chronique

Les impôts, ça peut attendre

Les écoles sont fermées, tout comme les cinémas, les piscines, les centres de ski et même les églises. Les travaux sont suspendus à l’Assemblée nationale et à la Chambre des communes. Les tribunaux ne traitent que les urgences.

Logiquement, il me semble que la prochaine étape serait de reporter la saison des impôts. Normalement, les contribuables ont jusqu’au 30 avril pour envoyer leur déclaration de revenus au fisc, sous peine de pénalités qui peuvent atteindre 17 %, sans compter les intérêts.

Mais quand le gouvernement recommande aux gens de rester chez eux pour lutter contre la propagation du coronavirus, il ne peut pas exiger du même coup qu’ils sortent voir leur comptable avec leur boîte à chaussures pleine de reçus et de feuillets fiscaux.

De leur côté, des dizaines de milliers de Québécois moins nantis ou plus vulnérables font faire leur déclaration à un comptoir d’impôt gratuit parrainé par le Programme des bénévoles. Or, ces comptoirs sont souvent installés dans des cégeps, des universités et d’autres établissements communautaires. Tout cela tombera à l’eau, c’est écrit dans le ciel. Et ces contribuables seront laissés à eux-mêmes.

Certains diront qu’il est encore tôt pour reporter la date butoir pour l’ensemble de la population, puisqu’il reste encore six bonnes semaines avant l’échéance. Mais à tout le moins, les gouvernements devraient annoncer des mesures ciblées qui donneraient une bouffée d’oxygène aux contribuables les plus touchés.

Je pense à tous ceux qui sont en quarantaine, mais aussi aux travailleurs autonomes et aux PME dont les revenus sont en chute libre. Un report d’impôt leur permettrait de conserver un maximum de liquidités dans leurs coffres pour affronter la tempête et éviter de sombrer dans la faillite.

« Ce sont des mesures administratives qui sont faciles à faire et à appliquer par les agences de revenus », estime Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

L’idée n’a rien de saugrenu. Au début de mars, la France a mis en place une série de délais et de reports exceptionnels pour donner du lest aux entreprises et aux travailleurs indépendants.

Le Québec et le Canada devraient aller dans le même sens.

Concrètement, le fisc devrait reporter la date limite de production des déclarations de revenus, au moins pour les personnes âgées de 70 ans et plus que l’on exhorte à rester à la maison. Ceux-ci représentent 16 % de l’ensemble des contribuables.

Mais en ajoutant tous les gens qui reviennent de l’étranger et qui doivent rester chez eux durant 14 jours, ça commence à faire pas mal de monde confiné à la maison, d’où l’intérêt d’une mesure plus large.

Par ailleurs, M. Godbout estime que les villes pourraient évaluer la possibilité de permettre le report du prochain paiement des taxes foncières qui se fait généralement en deux ou en quatre paiements durant l’année. Pour bien des propriétaires, cela représente une lourde facture qui déséquilibre le budget, et c’est encore plus vrai en cette période difficile.

Le fisc devrait aussi donner un répit aux travailleurs autonomes qui sont particulièrement à risque.

En temps normal, ceux-ci ont jusqu’au 15 juin pour transmettre leur déclaration de revenus. Sauf que leurs impôts sont quand même payables à partir du 30 avril. « Pourquoi ne pas reporter au 15 juin le paiement des impôts ? », suggère M. Godbout.

On pourrait aussi mettre sur pause leurs acomptes provisionnels, ces paiements que tous ceux qui ne paient pas d’impôt à la source doivent remettre aux gouvernements quatre fois par année. Le dernier versement était dû le 15 mars dernier. En France, les travailleurs indépendants ont même la possibilité de récupérer leur paiement du mois de mars, s’ils l’ont déjà fait.

Pour venir en aide aux entreprises qui vont accuser de lourdes pertes à cause des fermetures reliées à la COVID-19, on pourrait aussi songer à reporter le paiement de l’impôt des sociétés, selon M. Godbout.

Les entreprises pourraient également avoir le droit de reporter le paiement de leurs cotisations au Fonds des services de santé, à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).

Ce ne serait pas la première fois que le gouvernement prend des mesures exceptionnelles pour aider les entreprises coincées par une situation d’urgence. Lors de la crise du verglas, le fisc avait annulé les pénalités et les intérêts pour les sociétés sinistrées.

Et puis les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont déjà annoncé, lundi, qu’elles donneraient un peu de jeu aux entreprises incapables de livrer leurs états financiers à temps.

Le fisc pourrait certainement faire preuve d’un peu de patience lui aussi. Pas faire de cadeau. Pas éliminer la facture fiscale. Juste donner un peu de temps aux contribuables pour passer à travers la crise.

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