COVID-19

PLUS DE LA MOITIÉ DES MORTS

Les établissements pour aînés au cœur de la crise

Plus de la moitié des morts liées à l’épidémie de COVID-19 jusqu’à maintenant concernent des personnes hébergées en CHSLD ou en résidence privée pour aînés. Des milieux à haut risque, qui représentent actuellement « le plus gros défi en soins de première ligne », selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

« Un CHSLD, c’est le milieu de vulnérabilité par excellence », affirme le directeur des communications de la FMOQ, Jean-Pierre Dion. Ce dernier explique qu’en temps normal, les CHSLD sont « déjà les milieux de soins où c’est le plus difficile en termes d’effectif ». « C’est clair qu’actuellement, c’est notre plus gros défi en première ligne », dit-il.

Mardi midi, Québec a établi le bilan des morts liées à la COVID-19 à 31. Il n’existe pas de données centralisées sur les lieux de ces décès. Mais selon un décompte non officiel et des données régionales divulguées mardi après-midi, au moins 18 décès sont survenus jusqu’à maintenant dans des CHSLD et des résidences privées pour aînés de la province.

En conférence de presse mardi, le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, a signalé que 410 établissements, dont 184 CHSLD, ont enregistré jusqu’à maintenant des cas de COVID-19 entre leurs murs. Un total de 114 résidences privées pour aînés, 59 ressources intermédiaires et 53 « milieux de vie pour aînés » sont dans la même situation.

Le CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci à Montréal, qui accueille 400 résidants, a annoncé mardi après-midi 7 décès liés à la COVID-19 et 24 cas confirmés. Devant l’établissement situé juste en face de la prison de Bordeaux, sur le boulevard Gouin, des professionnelles fumaient une cigarette en fin de journée, l’air dépité. Ces temps-ci, « c’est dur », a confié Joséphine, préposée aux bénéficiaires.

« Tout le monde a peur [du virus], mais on nous rassure. C’est stressant. »

— Joséphine, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci à Montréal

Médecin à Notre-Dame-de-la-Merci, le Dr Gabriel Mailhot-Léonard explique qu’un pavillon entier du CHSLD a été isolé et accueille tous les patients atteints de la COVID-19. En tout, 40 lits y sont disponibles et 4 médecins s'y consacrent exclusivement. Le Dr Mailhot-Léonard note que la clientèle du CHSLD est « beaucoup plus à risque de complications de cette maladie ». De nombreux patients hébergés sont très âgés et présentent beaucoup de comorbidités. 

Si certains employés ont cessé de se présenter au travail lorsque l’éclosion a débuté le 22 mars, le tout est maintenant stabilisé selon le Dr Mailhot-Léonard. « Ça va bien sur le plan du personnel et de l’équipement. […] Je veux vraiment souligner le fait que sur le terrain, tout le monde, pas juste les médecins, joue un grand rôle. Tout le monde est [dévoué] et très investi », dit-il.

Mais selon le vice-président santé et sécurité du syndicat local (FSSS-CSN), Benoît Taillefer, les CHSLD sont des milieux qui fonctionnent déjà avec peu de personnel en temps normal. « Et là, avec la COVID-19, on manque encore plus de monde », dit-il. Pour pallier ce manque, des employés de l’hôpital du Sacré-Cœur à Montréal viennent actuellement prêter main-forte. Des équipes volantes sont aussi appelées en renfort, explique M. Taillefer.

LANAUDIÈRE ET LAVAL

Mardi après-midi, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière a annoncé que deux nouveaux décès s’ajoutaient à la résidence privée pour aînés Eva de Lavaltrie, portant le total à six. C’est à cet endroit qu’avait été enregistré le premier décès lié à la COVID-19 dans la province.

Le CISSS de Laval a aussi déclaré que quatre décès sont survenus dans deux CHSLD de son territoire. Le CISSS a dit « prendre les mesures de protection nécessaires » pour éviter la propagation. 

Devant le CHSLD de Sainte-Dorothée, qui déplore 3 décès parmi ses 250 résidants, le délégué syndical Jean-François Houle ramenait de mauvaises nouvelles du front mardi après-midi. 

« L’ambiance est très tendue. Le gros problème qu’on a, c’est le déplacement de personnel : les gens ne savent pas qu’ils ont attrapé le virus d’un usager et on les déplace dans toutes les unités, a-t-il déploré. On n’a pas d’équipement de protection : masques, gants, [blouses de protection], c’est très difficile à avoir. On a des employés qui se font faire des visières par le frère d’une travailleuse, à 5 $ la visière… » Selon lui, les quarantaines pour les employés en contact direct avec les cas de COVID-19 sont difficiles à faire respecter, par manque de personnel.

DES MILIEUX FRAGILES

Vice-présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé et des services sociaux du Québec (FIQ), Linda Lapointe indique que « même avant la crise, les ratios infirmière-patients étaient très élevés en CHSLD ». « C’est sûr que la crise n’aide pas », dit-elle. Mme Lapointe reconnaît avoir été « un peu surprise » par ces éclosions successives en CHSLD et en résidences privées pour aînés. « On pensait que ça se concentrerait plus aux urgences », note-t-elle, tout en disant espérer que les équipements se rendront rapidement sur le terrain.

« C’est clair que dans les CHSLD, il y a un problème entre autres parce qu’on est sous-staffé et que ce sont des milieux exigeants », affirme pour sa part le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley. Ce dernier dit entendre le gouvernement qui annonce sa volonté d’augmenter le personnel et les salaires des préposés aux bénéficiaires : « C’est un beau discours. Mais espérons que ça va arriver rapidement. »

Outre les CHSLD, plusieurs résidences privées pour aînés sont aussi touchées par des éclosions de COVID-19. Il n’est toutefois pas simple d’obtenir des données à ce sujet, affirme Sylvie Nelson, présidente du Syndicat québécois des employées et employés de service (FTQ). 

« On ne sait pas toujours où il y a des cas ou non. Pour nous, c’est le nerf de la guerre. Il faut savoir où sont les cas pour pouvoir protéger nos travailleuses », dit-elle. Selon Mme Nelson, la pénurie de personnel existe depuis longtemps dans le milieu privé. « Ça dure parce que les salaires sont bas. Plusieurs gagnent moins de 15 $ l’heure. Ce sont des milieux difficiles, mais peu reconnus », critique-t-elle.

DÉTRESSE CROISSANTE CHEZ LES RÉSIDANTS

Au cœur de plusieurs éclosions de COVID-19, les CHSLD et les résidences privées pour aînés du Québec sont sur le qui-vive. Et le confinement forcé des résidants, qui ne peuvent plus recevoir leur famille, augmente grandement leur anxiété, comme en témoigne Eva Dufaux, propriétaire associée de la résidence Le Castel à Saint-Lambert. 

« Priver ces personnes de leurs liens, de la présence de leurs proches, c’est gros… Je comprends la décision, mais l’impact mental est énorme. La détresse de mes résidants les met presque plus à risque que la COVID-19 », dit Mme Dufaux.

Denys Desjardins peut témoigner des tristes effets collatéraux de la COVID-19 sur les aînés isolés. Sa mère, qui était hébergée au CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci, s’est éteinte mardi matin. Elle n’avait pas la COVID-19, contrairement à 24 pensionnaires de l’établissement. Au cours des deux dernières semaines, M. Desjardins n’a pu rendre visite à sa mère comme avant. L’état de celle-ci s’est dégradé. 

« La perte de contact, c’est un choc drastique. Les préposés étaient très occupés à cause de la COVID. Il y avait un roulement de personnel. Je n’accuse personne. Je comprends. Mais j’accuse ce foutu virus », dit M. Desjardins. Selon lui, des plans de crise doivent être mis en place rapidement dans tous les CHSLD pour bien encadrer les résidants. « Parce que ce n’est pas juste ceux avec la COVID-19 qui sont touchés », dit-il. 

— Avec la collaboration d’Ariane Krol, La Presse

VERDUN

« La morgue mobile, une erreur »

L’apparition mardi matin de deux unités de « morgue mobile » aux abords de l’Hôpital de Verdun a inquiété des membres du personnel, alors que cet établissement ne compte pas jusqu’ici parmi les centres qui sont désignés pour recevoir des cas de COVID-19. « La présence de cette morgue mobile est une erreur, elle ne devrait pas être là et elle sera enlevée au cours des prochaines heures », a expliqué à La Presse Jean-Nicolas Aubé, porte-parole pour l’Hôpital de Verdun. — Louise Leduc, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.