COVID-19

Sommes-nous prêts pour la nouvelle normalité ?

En date du 13 août, moins du tiers de la population mondiale avait reçu une dose de vaccin, et environ 16 %, ses deux doses. Deux doses qui, pour le moment, sont le meilleur moyen de protéger la population mondiale face au virus. C’est donc dire que 5,5 milliards de personnes n’ont pas – encore – reçu de vaccin.

Certes, le génie humain et la coopération scientifique auront permis un exploit historique avec l’émergence de vaccins très efficaces en un temps record. Mais au rythme de cette vaccination mondiale, et avec les défis d’approvisionnement et de distribution dans des régions isolées ou soumises à des gouvernements incompétents, mais surtout les postures égoïstes des pays riches, cette vaccination prendra plusieurs années. Autrement formulé, nous sommes devant un scénario où des milliards de personnes non vaccinées cohabitent avec un virus ambitieux qui démontre quotidiennement sa capacité de mutation. D’ailleurs, l’arrivée du variant Delta force les scientifiques à retourner à la planche à dessin : ce que nous pensions savoir sur le virus doit être revalidé. Dans tous les cas, notre hypothèse de départ ne tient plus : si les vaccins actuels améliorent significativement notre protection, ils ne suffisent pas pour espérer en terminer avec l’épidémie. Nous devrons donc maintenir d’autres mesures sanitaires afin de contenir les éclosions et éviter les débordements sur nos systèmes de santé, ici comme ailleurs.

En effet, les recherches récentes en Israël, à Singapour et au Royaume-Uni exposent que les taux de reproduction du virus du variant Delta restent trop élevés pour pouvoir espérer que le vaccin, à lui seul, permette un « retour à la normale ».

Cette formule est d’ailleurs toujours maladroitement utilisée par la plupart de nos élus. Le « retour à la normale » donne une fausse impression de notre futur prévisible. Parce que non, il n’y aura pas de retour à la normale.

L’hypothèse que demain ressemblera à aujourd’hui prend racine et trois grandes postures émergent face à la pandémie. La première posture est celle du déni, souvent associé aux antivax, mais pas exclusivement. Elle se manifeste par la nonchalance et la désinformation, par l’absence de sentiment d’urgence. On peut aussi observer des comportements de résistance, voire de rébellion contre les mesures de prévention. Chez les élus ou dictateurs du monde, cette posture revient à ne pas considérer le principe de précaution, à annoncer trop hâtivement les mesures de relâchement, ou à plier l’échine devant certains lobbys qui n’ont pas nécessairement l’intérêt collectif au cœur de leur décision.

La seconde posture est celle de la nostalgie. Les nostalgiques s’expriment chaque fois qu’ils répètent que « ça va revenir à la normale ». Ici comme ailleurs, on entend régulièrement cette formule. Les nostalgiques pensent ou espèrent que nous pourrons, dans un avenir prévisible, rependre notre mode de vie d’avant la pandémie. Les nostalgiques sont aussi parfois simplement dans un mode « attentiste », sans comprendre l’urgence de la menace existentielle qui plane actuellement sur l’humanité.

Enfin, il y a les réalistes. Si les réalistes sont souvent tagués « d’alarmistes », ils assument généralement que la nouvelle normalité s’est désormais établie comme un nouveau paradigme social. Les réalistes comprennent aussi que l’incertitude est grande, et que l’avancement scientifique est fondé sur le doute. Les réalistes ont aussi le fardeau de la preuve pour convaincre les nostalgiques et idéalement, mais plus difficilement, ceux qui vivent dans le déni. Chez les élus, on observe plutôt un manque de réalisme flagrant. L’appréhension de confronter le public avec un sombre futur peut forcer le discours vers la nostalgie.

Nos démocraties fonctionnant sur des programmes électoraux de quatre ans et sur une rhétorique d’une croissance perpétuelle ne sont pas nécessairement synonymes de changement de paradigme.

Mais l’épidémie change la donne.

Nos élus doivent désormais assumer la posture réaliste et rendre fertile le débat sur notre cohabitation avec un virus, qui forcera nécessairement de profonds questionnements éthiques. L’arrivée du passeport vaccinal en est un petit exemple. Mais c’est l’iniquité vaccinale dans le monde qui devient aberrante : les pays pauvres sont ravagés par la pandémie exacerbant la pauvreté mondiale, pendant qu’ici, nous avons un surplus de doses.

Mais évidemment, il n’y a pas de solution simple à ce qui s’avère l’un des plus grands défis de l’humanité, pas très loin derrière les changements climatiques.

Voici ce que nous observons dans le monde actuellement : la plupart des pays tentent, en fonction de leurs moyens, de l’acceptabilité sociale et de leurs capacités de santé publique, de veiller à un certain équilibre avec la cohabitation du virus en alternant entre les mesures de mitigation et de suppression. Nos récents travaux exposent que le Québec ne fait ni mieux ni pire qu’ailleurs. Sur la gestion de la crise, il est au bas de la moyenne étant donné son manque de créativité, mais surtout, par sa réticence à ne pas toujours suivre les données probantes. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’on prépare la rentrée scolaire alors que le mur de la quatrième vague s’érige sous les yeux dubitatifs de certains élus. Plusieurs experts se questionnent sérieusement sur le processus décisionnel qui a mené le gouvernement à annoncer une rentrée sans masque dans les universités et cégeps du Québec. De toute évidence, certains conseillers de nos élus ne sont pas à jour dans leur revue de la littérature scientifique.

Dans tous les cas, quels sont les scénarios envisageables ? D’un extrême, un interminable tango entre confinement et déconfinement, mettant sous tension notre économie, nos systèmes d’éducation et notre santé mentale. De l’autre extrême, un éventuel relâchement qui favorisera inexorablement l’augmentation significative des contacts et, donc, des éclosions mettant sous tension notre système de santé. Quoi qu’il advienne et jusqu’à ce qu’un traitement efficace soit développé, nous devrons assumer que notre nouvelle normalité se retrouve quelque part entre les deux : sommes-nous prêts ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.