Obésité

Bouger malgré les kilos pour sauver son cerveau

Avec l’âge, les capacités cognitives déclinent, ce qui est bien connu. On sait moins, par contre, que l’obésité a le même effet, comme si elle usait non seulement le corps, mais aussi le cerveau, et faisait vieillir plus vite. L’exercice serait-il un antidote ?

Plusieurs études antérieures ont démontré que l’obésité pouvait réduire la vitesse à laquelle on comprend et réagit à une information (la vitesse de traitement). Elle affecte aussi la mémoire à court terme et la mémoire de travail, qui permettent – ensemble – de retenir temporairement des informations et de les manipuler pour accomplir une tâche.

L’obésité nuit en prime aux « fonctions exécutives », des habilités dites « de haut niveau » qui servent entre autres à planifier, à accomplir plusieurs choses en même temps, à élaborer des stratégies, à s’ajuster aux situations nouvelles et à rester attentif.

Leur dégradation peut désavantager quelqu’un au travail et rendre la vie de tous les jours plus compliquée ou hasardeuse. Les facultés atteintes se révèlent « assez importantes », précise le chercheur Maxime Boidin. « On rencontre par exemple beaucoup d’imprévus lorsqu’on conduit et il faut pouvoir réagir vite et bien ! », expose M. Boidin, qui a voulu vérifier s’il existait en quelque sorte un antidote. D’autant plus qu’à long terme, l’obésité semble même augmenter le risque de souffrir de démence ou de la maladie d’Alzheimer.

Un bon « cardio » malgré les kilos

Les gens dotés d’un « bon cardio » conservent plus longtemps leur vivacité d’esprit, comme si la forme physique atténuait l’effet de l’âge.

Maxime Boidin est le premier à vérifier si cette aptitude aérobie permet aussi d’« annuler » ou de limiter l’impact néfaste des kilos en trop. Le jeune docteur en sciences de l’activité physique – diplômé de l’Université de Montréal – a publié ses résultats il y a quelques mois dans le Journal canadien de cardiologie, une revue scientifique respectée.

Avec d’autres scientifiques du Centre de médecine préventive et d’activité physique (EPIC) de l’Institut de cardiologie de Montréal, le chercheur a recruté une soixantaine d’hommes et de femmes âgés de 45 à 75 ans. Il les a répartis en trois catégories : les personnes obèses en bonne condition physique, les personnes obèses en piètre condition et les personnes non obèses (toutes en bonne condition).

Leur classement a été établi grâce à une épreuve d’effort cardiopulmonaire. Pendant que les participants pédalaient sur un vélo stationnaire, un dispositif a mesuré le volume maximal d’oxygène consommé par leurs muscles. Un débit d’oxygène important permet de soutenir un effort plus grand et révèle que les poumons, le cœur, les vaisseaux sanguins et les muscles sont efficaces. Cette notion bien connue des sportifs est nommée VOmax.

Tous se sont ensuite prêtés à une suite d’examens cognitifs pour évaluer les habilités que l’obésité détériore souvent. Ils devaient par exemple répéter à l’endroit ou à l’envers une série de chiffres de plus en plus longue. Relier rapidement, et dans le bon ordre, des chiffres pêle-mêle sur une page. Se rappeler de listes de mots après 5 ou 30 minutes. Ou encore, lire les noms de couleurs imprimés avec une encre de couleur différente.

Les personnes obèses en bonne condition physique ont aussi bien réussi les tests cognitifs que les non-obèses, rapporte Maxime Boidin. « C’est extraordinaire ! », se réjouit-il. Les participants obèses en piètre condition ont à l’inverse beaucoup moins bien réussi, sauf dans deux domaines – la mémoire de travail et la mémoire verbale à long terme, laquelle résiste assez bien au vieillissement.

L’âge moyen (début soixantaine) et le niveau d’instruction (15 ou 16 ans d’études) étant quasi identiques d’un groupe à l’autre, ils n’expliquent pas le fossé qui les sépare cognitivement.

« Indépendamment de tout le reste, le VO2 permettait de prédire si les fonctions cognitives allaient être détériorées. »

— Maxime Boidin, chercheur au Centre de médecine préventive et d’activité physique (EPIC) et coauteur de l'étude publiée dans le Journal canadien de cardiologie

Un antidote au déclin accéléré ?

D’ici 10 ans, plus de 2,5 millions de Canadiens souffriront de la maladie d’Alzheimer ou vivront avec un déficit cognitif léger, préviennent les auteurs d’un éditorial soulignant l’intérêt de l’étude du Centre EPIC. Pour le tiers des victimes, des facteurs de risque modifiables seront probablement en cause.

Guérir de l’obésité est ardu pour la plupart des gens. Est-ce que bouger assidûment permettrait de protéger ses facultés – ou d’en retrouver une partie –, même quand l’aiguille de la balance demeure obstinément coincée à droite ?

Cela reste « un petit suspense », répond Maxime Boidin, puisque le hasard autant que l’effort pourraient expliquer la performance physique des obèses en forme. « Certaines personnes sont inactives, mais “bien faites’’ génétiquement et ont quand même un bon VO2, par chance. Mais malheureusement, certaines sont vraiment très actives et leur VO2 n’augmente pas beaucoup. Ce sont les dures lois de la nature. »

Pour cerner le rôle de l’activité physique, les sujets de futures études devraient répondre à des questionnaires ou porter des appareils permettant de savoir s’ils bougent beaucoup ou non, suggère M. Boidin.

Autre possibilité : soumettre des personnes obèses à un programme d’entraînement structuré. On saurait de cette manière si élever leur VO2 les aide à améliorer du même coup leur performance cognitive.

Un tel progrès est concevable, pense le chercheur, puisque les régions frontales du cortex frontal – associées aux fonctions exécutives – sont très malléables. « Il se détériore donc facilement avec le temps, c’est l’un des premiers touchés. Mais c’est également celui qui répond le mieux à l’exercice. Ça joue dans les deux sens. »

L’amaigrissement du cerveau

Comment l’obésité nuit-elle au fonctionnement du cerveau ? Les scientifiques croient qu’elle fait fondre une partie de la matière grise, composée de neurones, et une partie de la matière blanche, grâce à laquelle les neurones se relaient l’information.

Par ailleurs, les vaisseaux sanguins des personnes obèses s’élargissent et se rétrécissent souvent moins efficacement. « Le cerveau reçoit alors moins de sang oxygéné », précise M. Boidin, qui complète maintenant en Angleterre un postdoctorat sur l’exercice et la physiologie cardiovasculaire.

Autre cause probable : le diabète – plus fréquent avec l’excès de poids – réduit le nombre de récepteurs à insuline dans le cerveau. Ce dernier en manque donc, « ce qui entraîne des cascades d’inflammation menant à un déclin », expose M. Boidin.

Fait à noter : les sujets du Centre EPIC, les personnes obèses en piètre forme, étaient plus souvent diabétiques que les obèses en forme. Mais leur VO2 max permettait de prédire leurs performances cognitives, indépendamment de ce facteur.

Lorsque le mal est fait, la forme la plus commune de démence, la maladie d’Alzheimer, est impossible à guérir, souligne l’éditorial du Journal canadien de cardiologie.

« ll ne faut pas juste penser à la balance lorsqu’on est obèse, conclut Maxime Boidin. Garder la forme peut avoir des bienfaits ailleurs, comme au cerveau ! »

VO2 max plus précis

Le VO2 max se mesure en millilitres d’oxygène consommé par minute d’effort. On divise typiquement ce résultat par le poids total d’une personne, afin de l’exprimer par kilo. Le VO2 max des participants à l’étude a plutôt été calculé de façon particulière – en considérant uniquement leur masse maigre pour que leur importante masse grasse ne fausse pas les résultats. (Seuls les muscles consomment de l’oxygène lors d’un effort, la graisse n’aide en rien.) Avec cette méthode plus précise, les non-obèses et les obèses en bonne condition physique ont obtenu des résultats quasi identiques – beaucoup plus proches (et plus élevés) qu’ils ne l’auraient été avec la méthode traditionnelle.

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