Nouveau réseau d’espaces culturels « bleus »

Legault veut « un legs nationaliste assumé »

Québec — Élu quelques semaines plus tôt, François Legault avait surpris en apparaissant devant un énorme fleurdelysé, en décembre 2019. Les commentateurs étaient perplexes, retrouvaient dans cette image une réminiscence du nationalisme conservateur des années Duplessis. L’affaire a vite été pliée, le drapeau aussi. On ne l’a pas revu depuis.

Mais l’attachement de Legault à la symbolique nationaliste est, lui, toujours présent. À l’époque, Legault répétait comme un mantra son espoir de voir un jour le Québec ne plus faire appel à la péréquation. La semaine dernière, d’une seule voix, les provinces réclamaient qu’Ottawa prenne une part plus importante des dépenses en santé. Le mois prochain, il y aura 75 ans que Duplessis, dans la conférence fédérale-provinciale d’avril 1946, jetait un pavé dans la mare avec un manifeste pour un nouveau partage fiscal entre Ottawa et les provinces.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec (CAQ), bien des gestes du gouvernement évoquent le bleu du fleurdelysé. En pleine pandémie, le gouvernement annonçait le lancement du « Panier bleu », une plateforme pour promouvoir les produits québécois. Le gouvernement, à la demande des artistes, appuyait aussi financièrement l’utilisation de la « musique bleue », québécoise, lors de la diffusion de ses conférences de presse quotidiennes sur Facebook.

Et, dans la foulée du budget de la fin de mars (probablement le 30), le gouvernement Legault lèvera le voile sur un nouveau concept, les « espaces bleus », un réseau de maisons de la culture disséminées sur l’ensemble du territoire. Leur conception a été confiée au Musée de la civilisation de Québec.

À l’origine, on travaillait sur un projet de « maisons bleues », mais la controverse autour de la série télévisée aura convaincu les stratèges caquistes de corriger le tir. À l’interne, on ne se cache pas ; ces institutions seront « un legs nationaliste assumé du gouvernement Legault » et viseront surtout à fouetter la fierté des Québécois à l’égard de leur histoire, de leur culture.

Dans 17 régions

On ne l’avait pas remarqué, mais avec le budget de mars 2020 du ministre Eric Girard, le Plan québécois des infrastructures contenait une ligne nébuleuse à souhait : 222 millions de dollars pour des « infrastructures culturelles région ». On précisera le projet avant la fin d’avril. À terme, on souhaite ouvrir dans chacune des 17 régions du Québec ces centres de diffusion culturelle. D’ici la fin du mandat caquiste, à l’automne 2022, on pense pouvoir en annoncer cinq ou six.

La première sera annoncée dans les prochaines semaines, celle de la capitale, qui devrait occuper l’édifice du Petit Séminaire, dans le Vieux-Québec. L’institution de Québec sera un peu la maison-mère de tout le réseau.

Un peu partout, Québec reprendra des bâtiments historiques qui ont besoin d’un peu d’affection… et de rénovations. Le mandat donné par François Legault à la ministre de la Culture, Nathalie Roy, insistait sur la nécessité de valoriser le patrimoine culturel, rappellent des sources gouvernementales. On espère aussi en même temps enrichir l’offre touristique des régions.

Ces établissements deviendront une sorte de musée où on rappellera le passage de citoyens qui ont fait une contribution exceptionnelle à leur communauté. Des débats se profilent déjà ; Jean Béliveau est-il d’abord le fils de Victoriaville ou la vedette des As de Québec ? René Lévesque est-il d’abord un Gaspésien, un illustre résidant du Vieux-Québec ou un politicien qui a passé sa vie à Montréal ? On peut prédire toutefois que l’« espace bleu » de Trois-Rivières obtiendra, sans partage, la mémoire de Maurice Le Noblet Duplessis.

Chaque fois que François Legault faisait vibrer la corde nationaliste, le député libéral Marc Tanguay l’accusait de flirter avec le courant de droite, incarné pendant des décennies au Québec par Maurice Duplessis. Finalement, Legault a peut-être décidé, comme au judo, de transformer ces attaques à son avantage. Arrivé au pouvoir, le nationaliste René Lévesque n’avait pas fait autrement, et fait installer sur la colline Parlementaire la statue du « Cheuf » cachée depuis des décennies dans un entrepôt anonyme de la basse-ville de Québec. Son leitmotiv à l’intention d’Ottawa, « rendez-nous notre butin », tombait déjà, à point nommé, dans la stratégie de Québec.

« Bon père de famille »

Sur sa page Facebook, la semaine dernière, François Legault soulignait avoir lu avec plaisir Duplessis est encore en vie, un ouvrage publié récemment par Pierre B. Berthelot.

« Quand on pense à Duplessis, on pense à la Grande Noirceur, aux votes achetés par des routes, à la grande proximité avec l’Église, relève d’abord Legault. Mais on pense aussi à un grand nationaliste. On pense à la récupération de nos droits sur les impôts et au drapeau du Québec. »

— François Legault, sur sa page Facebook

Dans son ouvrage, publié chez Septentrion, Berthelot constate qu’« en fin de compte, malgré tous ses défauts, Maurice Duplessis aura su mieux que quiconque rejoindre les différents niveaux de la société de son temps, des petites gens aux grands décideurs ». « Bon père de famille » dans les conférences de presse où il admet fréquemment pouvoir faire des erreurs, François Legault a clairement adopté ce ton conciliant, fédérateur. « Je ne suis pas parfait », répliquait-il déjà à Philippe Couillard durant la campagne électorale. Et son interdiction du port du voile était loin du diktat d’une laïcité insensible ; « c’est comme ça qu’on vit au Québec », avait-il conclu, simplement.

Dans une entrevue l’an dernier, Denys Arcand, réalisateur de la mythique série Duplessis, faisait lui aussi un lien entre l’ancien premier ministre unioniste et la Coalition avenir Québec. « Duplessis a été au pouvoir très longtemps. Il savait quelque chose que les gauchistes ne savaient pas. Ce sont des gens qui parlent en prise directe avec la population. Et il y a toujours eu au Québec une place politique pour quelque chose qui soit de l’autonomiste provincial de centre droit. Cette place-là était laissée vacante. […] La CAQ et M. Legault, s’ils jouent bien leurs cartes, peuvent être au pouvoir très longtemps. »

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